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Mémoires Recensions

Georges Clemenceau – Correspondance (1858-1929)

Broché: 1120 pages
Editeur : ROBERT LAFFONT (16 octobre 2008)
Langue : Français
ISBN-10: 222111051X
ISBN-13: 978-2221110515
Dimensions : 19,6 x 13,4 x 2 cm

 Correspondance (1858-1929)

La collection Bouquins n’en finit pas de nous étonner. Elle s’adresse à de gros lecteurs, à des gens capables et désireux de prendre leur temps pour mieux savourer une œuvre. Voici qu’après la correspondance de François Mauriac elle s’intéresse à celle de Georges Clemenceau. Devant une telle masse, l’exercice de lecture paraît périlleux, hasardeux. Toutes les lettres ne sont pas d’un intérêt égal. Malgré cette difficulté, il vaut le coup de s’accrocher car il n’y a rien de mieux qu’une correspondance pour découvrir une personnalité, ses goûts et ses dégoûts. Celle de Clemenceau est riche, à l’image de son parcours, lui qui tour à tour a été médecin, journaliste, député, ministre, Président du Conseil et, pour finir, simple retraité retiré dans sa Vendée natale. Que nous apprennent ces centaines de lettres ? Il y a bien sûr ce que l’on sait, son anglomanie, sa vaste culture, sa méfiance viscérale à l’égard de l’Allemagne, etc. Il y a plus ! Rien de telle qu’une correspondance pour cerner une personnalité, jusqu’au plus secret de son intimité. On est surpris par les attachements de Clemenceau, son sentimentalisme, son souci des autres… pas évidents à première vue de la part d’un homme politique qui savait ne pas faire dans la dentelle. Le même qui n’hésite pas, en tant que Ministre de l’Intérieur, à faire donner l’Armée pour réprimer une manifestation prend le soin le plus extrême de ses compagnons. On croit entendre le conseil d’un ami à un proche lorsque l’ancien Président du Conseil objurgue son vieil ami Claude Monnet, quasi-aveugle, de se faire opérer. Oui, si l’on veut entrer dans l’intimité d’un personnage aussi considérable que Clemenceau, cela demande du temps et de la persévérance. Au fil des pages, l’homme politique, parfois roué et vindicatif qu’il pouvait être, cède le pas à un homme délicat et cultivé. Comment, puisqu’il s’agit là de culture, ne pas faire la comparaison avec les politiques actuels, dont la connaissance des dossiers n’a d’égale que la nullité culturelle ? Clemenceau, comme à peu près tout le personnel politique du début du siècle dernier, révèle une culture puisée chez les classiques, à commencer par les grands auteurs grecs et latins.

Mille grâces soient rendues à la collection « Bouquins » qui, pour un prix raisonnable, donne à lire des inédits. Du bel ouvrage !

 

Georges Clemenceau, Correspondance (1858-1929), Bouquins, Robert Laffont, 2008, 1 120 pages, 31 €

 

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Littérature Recensions

Réenchanter la science

Broché: 450 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (28 août 2013)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10: 2226245456
ISBN-13: 978-2226245458
Dimensions : 23,8 x 15,4 x 3,4 cm

 Réenchanter la science

En conclusion de son livre Notre existence a-t-elle un sens ?, l’historien des sciences Jean Staune écrivait que désormais les matérialistes avaient du souci à se faire. En effet, beaucoup de leurs positions, à force d’être rabotées depuis quelques décennies, deviennent intenables. En dix chapitres fort lisibles par les néophytes, Rupert Sheldrake démonte la majorité des éléments sur lesquels s’établit la science mécaniste. L’établissement de celle-ci, au XIX° siècle, n’est plus qu’un lointain souvenir. L’avènement de la physique quantique et l’idée qu’il existe un autre niveau de réalité, non perceptible à nos sens, fait de plus en plus de chemin, au grand dam des matérialistes qui, pour s’y opposer, n’ont d’autre choix que la dénégation. Entre ces deux conceptions de la science, le débat est devenu difficile tant les tenants du matérialisme sont dogmatiques. Si vous leur dites : « prodige », « inexpliqué » ou « télépathie », ils répondent aussi sec : « charlatanisme », « illusion » et « tromperie ». Pour R. Sheldrake, un tel comportement, fermé à tout ce qui n’est pas rationnellement expliqué ressort du dogmatisme le plus obtus.

En dix points, l’auteur, scientifique de son état, met à mal les croyances les plus fermes des matérialistes. Il tente de prendre ces derniers au mot en leur mettant les yeux devant dix défis. S’ils le peuvent, qu’ils démontrent par exemple l’immuabilité des lois de la nature ! Qu’ils donnent la preuve que la mémoire est stockée dans une partie précise du cerveau ou que la médecine mécanique contemporaine est la seule efficace ! Il faut lire Sheldrake pour se rendre compte à quel point de tels arguments ont du poids. Ses demandes insistantes pour l’émergence d’un débat fécond entre scientifiques sont plus que jamais à prendre en considération. Cette discussion doit être ouverte aux familles philosophiques et religieuses.

Alors que les découvertes scientifiques connaissent une stagnation, l’auteur s’interroge. Pour lui, pas de doute, il faut s’aventurer « hors des sentiers battus de la recherche conventionnelle », se poser enfin les questions interdites depuis trop longtemps. Passionnant de bout en bout, Réenchanter la science y incite fortement.

 

Rupert Sheldrake, Réenchanter la science, Albin Michel, 2013, 424 pages, 24 €

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Actualités Recensions

Miser (vraiment) sur la transition écologique

 Miser (vraiment) sur la transition écologique

Broché: 191 pages
Editeur : Editions de l’Atelier (13 mars 2014)
Collection : D’autres lendemains
Langue : Français
ISBN-10: 2708242598
ISBN-13: 978-2708242593
Dimensions : 19,8 x 12,4 x 1,6 cm

« Nous avons le pied collé sur l’accélérateur et nous fonçons vers l’abîme ». C’est sur ces mots d’introduction que commence un ouvrage qui se donne pour vocation de tracer des pistes concrètes afin d’aborder les mutations prochaines. Car, inéluctablement, mutations il y aura et, comme les auteurs le disent avec humour, mieux vaut « penser le changement que changer le pansement ». C’est que le temps presse. La fonte des calottes polaires, la désertification, la pollution des sols et des sous-sols, la volonté de bétonner encore et toujours ont drastiquement réduit notre marge de manœuvre. Il devient grand temps d’agir. Après un rapide tour d’horizon de la situation mondiale, les auteurs avancent résolument des alternatives susceptibles d’enrayer la crise écologique sans trop perturber les sociétés. Il va falloir, avancent-ils, faire aussi bien avec moins. Ils mettent en avant des recherches et des travaux ayant des conséquences très pratiques. Mais tout cela n’est rien si la volonté n’y est pas : celle des décideurs comme celle des consommateurs. Les auteurs promeuvent maintes solutions d’ordre technique ou financier afin de réaliser la transition écologique qu’ils appellent de leurs vœux et qui avance à pas comptés. L’important, au fond, quel que soit le domaine concerné (l’énergie, l’agriculture, la démographie, la technologie, etc.), réside moins dans les recettes techniques que dans l’envie, le courage, le désir de faire ensemble. Les meilleures solutions, même appuyées par des ponts d’or, ne peuvent pas grand-chose si elles ne sont pas sous-tendues par une envie et une énergie débordantes. « La transition aura lieu, affirment les auteurs, avec plus de succès si nous sommes animés d’une envie de faire ensemble, d’un désir de transmission de savoir-faire entre nous, de don de soi, et d’un goût du partage sans contrepartie systématique » (p. 121).Sans ces préalables, toutes les questions touchant l’argent, le désintérêt des élites ou les défis technologiques deviennent vaines.

Intelligent et mené de bout en bout par un bel entrain, Miser (vraiment) sur la transition écologique a de quoi titiller la conscience des plus sceptiques. Si c’était le but des auteurs, eh bien il est réussi.

 

Alain Grandjean & Hélène Le Teno, Miser (vraiment) sur la transition écologique, Editions de l’Atelier, 2014, 191 pages, 17 €

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Recensions

Les hommes de l’ombre

Broché: 420 pages
Editeur : PERRIN (6 mars 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 226203754X
ISBN-13: 978-2262037543
Dimensions : 23,8 x 15,4 x 3,8 cm

 Les hommes de l’ombre

Avec ce nouvel ouvrage, François Dosse marque de son empreinte l’histoire intellectuelle de la France contemporaine. Il revient sur les parcours de grands éditeurs français dont il dresse des portraits éclairants. Parmi ces grandes figures on trouve René Julliard et Robert Laffont, fondateurs des maisons éponymes, Claude Durand, pilier des Editions Fayard comme Paul Flamand le fut pour Le Seuil. A côté de ces illustres noms on en trouve d’autres, moins célèbres sans doute, mais qui firent beaucoup pour la promotion du livre, par exemple Françoise Verny et Charles Orengo. Beaucoup de grands noms de l’édition nous ont quittés et c’est à peine si l’on connaît leurs successeurs. A cette perte il y a plusieurs raisons : l’affaiblissement de la véritable culture – par exemple, rien après Apostrophe et Bouillon de culture !-, la chute des ventes, l’effacement de la littérature et du papier devant les écrans et les nouvelles technologies… L’engouement du public se porte davantage sur l’élection de Miss France que sur la dernière rentrée littéraire. Il existe d’autres causes à ce brouillage, internes cette fois-ci : la masse des livres publiés n’aide pas le public à faire des choix. Les impératifs économiques commandent : on publie beaucoup, de crainte de laisser passer le best seller.

Si ces éditeurs se sont faits les noms que l’on sait, leurs qualités y sont pour beaucoup. Bourreaux de travail, passionnés de lecture, cultivés en diable, leur apostolat reposait bien plus sur la volonté de faire découvrir un auteur que de pousser les ventes. L’édition, c’est beaucoup de travail et des revenus modestes. L’essentiel, c’est l’amour d’un métier qui ressort d’une vraie vocation, avec ses peines et ses joies. Ce n’est pas rien d’être persuadé que l’on signe avec le futur Proust ou l’émule de Mauriac. Mais il y a plus ! Ces éditeurs, dont François Dosse dresse consciencieusement le portrait, ont pu jouer un rôle encore plus grand, surtout à la belle époque des sciences humaines (1960 à 1990). Il n’y a qu’à se souvenir du rôle joué par Claude Durand, quand il était au Seuil, dans la publication en Occident de L’Archipel du Goulag, sacré coup de pied de l’âne dans le flanc du totalitarisme communiste.

Au final, un livre dense, passionné et passionnant.

 

François Dosse, Les hommes de l’ombre, Perrin, 2014, 419 pages, 25 €

 

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Recensions

Les petits Blancs – Un voyage dans la France d’en bas

Relié: 168 pages
Editeur : PLEIN JOUR (17 octobre 2013)
Langue : Français
ISBN-10: 2843377242
ISBN-13: 978-2843377242
Dimensions : 20,4 x 13,8 x 1,6 cm

 Les petits Blancs – Un voyage dans la France d’en bas

Le livre d’Aymeric Patricot a bénéficié de la publicité que lui a assurée Alain Finkielkraut à la télévision et dans son dernier ouvrage, L’identité malheureuse. Si Aymeric Patricot n’emploie jamais l’expression, c’est pourtant à eux, les Français de souche, perdants du système, paumés et précaires, qu’il s’est intéressé. Qui sont ces petits Blancs à qui s’est consacré A. Patricot ? Il s’agit de « ceux qui, tombés si bas sur l’échelle de la misère et de la déchéance, font honte au Blancs de condition correcte comme aux Noirs pourtant aussi pauvres » (p. 13).Salariés pauvres, smicards, allocataires miséreux, ils vivent comme ils peuvent, fuyant les centres-villes livrés aux caprices de la bourgeoisie, quittant peu à peu les grands ensembles des proches banlieues gagnés au communautarisme. Dans ce monde de la misère et de la désespérance, il y a de tout. C’est la force du livre d’Aymeric Patricot de montrer une population hétérogène, souvent éloignée de l’image d’Epinal qu’en livrent les médias. Le petit Blanc n’est pas forcément, et loin de là, un électeur du Front national, voire un fasciste en puissance portant béret basque et baguette de pain à la main. Bien sûr, beaucoup ne comprennent plus un pays qui, de leur point de vue, semble accorder plus de place à l’étranger qu’au Français de souche. L’exclusion dont ils sont victimes a tôt fait de les faire basculer dans un racisme primaire. Minoritaires chez eux, obligés de raser les murs, beaucoup d’entre eux ont basculé dans l’extrémisme. Mais, souligne l’auteur, ils sont également beaucoup à voir dans l’immigré qui s’installe à côté de chez eux les mêmes hommes et femmes qui, tout comme eux, connaissent la galère. Devant une vie aussi médiocre, où le moindre aléa peut faire tomber dans la misère et la déchéance, la couleur de peau et la religion importent peu.

Les petits blancs n’est pas un livre de sociologie comme beaucoup d’autres. Ici, ni jargon, ni courbes, ni statistiques compliquées. La force du livre tient en une accumulation de témoignages. L’ouvrage met également en lumière, même si au final il en parle très peu, l’aveuglement et la naïveté d’une classe politique qui semble se débarrasser avec désinvolture d’un problème qui risque de devenir explosif. Réintégrer tous ces Français ayant définitivement décroché est d’ores et déjà un défi majeur pour une société passablement déliquescente.

 

Aymeric Patricot, Les petits Blancs, Plein Jour, 2013, 163 pages, 17 €

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Recensions Religion

Les lumières de la religion

Broché: 225 pages
Editeur : Bayard Jeunesse (3 octobre 2013)
Collection : ESSAIS
Langue : Français
ISBN-10: 2227485345
ISBN-13: 978-2227485341
Dimensions : 18,8 x 14,2 x 2 cm

 Les lumières de la religion

S’il n’existe plus guère de grands théologiens en Europe, les philosophes, eux, n’ont pas désarmé. Ils travaillent et publient et Jean-Marc Ferry, professeur de philosophie à l’Université de Nantes, n’est pas le dernier à le faire. Si ces intellectuels ne reprennent pas le flambeau des théologiens – ce qui n’est, évidemment, pas leur rôle -, on constate toutefois qu’ils prennent à bras de corps des questions qui autrefois étaient davantage portées par des hommes de religion que par des universitaires.

Quand on évoque les « lumières de la religion », de quoi s’agit-il ? Elodie Maurot, qui interviewe Jean-Marc Ferry, donne la réponse en introduction : par cette expression « le philosophe entend signifier que les religions ne sont pas en opposition avec la modernité et qu’elles peuvent apporter leur contribution à la vie des sociétés démocratiques. » (p. 8)On entend d’ici les cris d’orfraie poussés par certains hérauts de la laïcité qui, par principe, estiment que la religion doit se cantonner dans la sphère privée, voire l’intimité des personnes. Jean-Marc Ferry n’est manifestement pas d’accord avec cette vision rétrécie de la laïcité ; il pense, au contraire, que « les religions sont invités à porter leurs lumières » car « elles sont porteuses d’un patrimoine, de traditions, d’une expérience, ce qui n’est pas superflu dans la situation démunie où nous trouvons parfois, face à des problèmes délicats qui touchent à la vie et à la dignité humaine. » (p. 99) Grâce à leur capital d’expérience, les religions peuvent être d’un précieux secours, spécialement dans les domaines qui concernent la dignité de la personne, de la gestation pour autrui à l’euthanasie. Mieux, selon l’auteur, de nombreux problèmes éthiques frappent à la porte de la société dont les religions sont pratiquement les seules, jusqu’à présent, à s’être emparées. « La religion », lance l’auteur, « est un protagoniste important pour des débats qui touchent à la vie, à la mort, à la souffrance morale, à la vulnérabilité […], au sen de l’existence. » Pourquoi faudrait-il, au nom d’une conception étroite et mesquine de principes juridiques qui datent, se priver d’emblée de leurs compétences ? En vertu de leur empathie naturelle envers tout ce qui touche à la dignité des personnes, et d’abord des plus faibles, voyons, affirme Jean-Marc Ferry, ce que les religions ont à nous dire. Ne nous privons pas de leurs lumières face à des problèmes aussi compliqués qu’inédits.

Les lumières de la religion ne constituent pas un livre facile. La subtilité de la pensée de Jean-Marc Ferry et l’utilisation d’un vocabulaire philosophique ne simplifient pas la tâche du lecteur. Cette difficulté surmontée, on prendra acte d’une pensée vivante et ouverte qui, grâce à la compétence philosophique et juridique de l’auteur, mesure le tournant dans lequel se trouve notre société.

 

Jean-Marc Ferry, Les lumières de la religion (entretien avec Elodie Maurot), Bayard, 2014, 226 pages, 19 €

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Recensions

Le soldat impossible

Broché: 281 pages
Editeur : Pierre-Guillaume de Roux Editions (16 janvier 2014)
Collection : PGDR EDITIONS
Langue : Français
ISBN-10: 2363710762
ISBN-13: 978-2363710765
Dimensions : 22,2 x 13,8 x 2,4 cm

 Le soldat impossible

Quel que soit le sujet traité (hier le sport et le corps, aujourd’hui le soldat), le philosophe Robert Redeker continue de pister les dérives historique et psychologique qui caractérisent l’Occident contemporain. Cette traque de longue haleine le conduit à réfléchir sur le sort que nos sociétés hédonistes font au soldat. Combattant autrefois pour le salut de la patrie et la défense de sa civilisation, le soldat d’aujourd’hui défend le Bien, la justice et les droits de l’homme. Il est devenu autant un humanitaire qu’un militaire, portant le souci de la démocratie un peu partout dans le monde. Pour de multiples raisons, l’auteur montre que la figure du militaire, avec ce qu’elle suppose de sens du devoir, de sacrifice, de patriotisme, devient impossible, d’où le titre. Si la modernité tente d’arrimer le soldat à sa doxa – ah ! ces défilés du 14 Juillet qui tournent à la fête et se font forts d’être conviviaux ! -, la figure ontologique du soldat en est irréductiblement éloignée. Que peut dire et comprendre le contentement de soi contemporain quand il est renvoyé aux valeurs traditionnellement portées par le statut de militaire ? Que peut entendre le monde festif moqué par Philippe Murray, obnubilé par l’ouverture à l’autre, au culte des morts et à la défense de la terre natale ? Un De Gaulle ou un Bigeard appartiennent définitivement à un temps révolu. A l’instar de l’Ecole et des Eglises, l’Armée, comme instance de transmission, n’est plus vraiment écoutée. « L’Européen de la modernité tardive » vivant « comme en maison de retraite ou comme en jardin d’enfant » (p. 169), au nom de quoi voudrait-on qu’il se consacre au métier des armes ? Autrefois les Français communiaient au culte des morts et leur dressaient des monuments ; aujourd’hui ils traînent leur vague à l’âme dans les grandes surfaces. C’est sans doute ce qu’on appelle le progrès… Si nous en sommes là, c’est que « […] le culte de la victime, celui du civil de préférence au militaire, la honte d’être soi grimée en repentance, la défamiliarisation d’avec la mort, la transformation du citoyen en un inhéritier, la montée de l’Indifférent, le déclassement de la notion de sacrifice gratuit, sont autant d’éléments formant un climat favorable à l’effacement du soldat. » (p. 275)

S’appuyant sur la philosophie et l’histoire, Robert Redeker signe ici un de ses ouvrages les plus aboutis. Comme d’autres Robinson, il lance une nouvelle bouteille à la mer. Puisse-t-elle trouver des rivages accueillants.

 

Robert Redeker, Le soldat impossible, P.-G. de Roux, 2014, 282 pages, 23 €

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Biographies Recensions

Gorbatchev

Broché: 462 pages
Editeur : PERRIN (6 mars 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262031436
ISBN-13: 978-2262031435
Dimensions : 23,4 x 15,2 x 3,4 cm

 Gorbatchev

Le temps passe si vite et les événements se bousculent à une allure telle que l’on a parfois l’impression que ce qu’a connu l’Union soviétique de 1985 à 1991 est allé tout droit dans les poubelles de l’Histoire.

La carrière de Mikhaïl Gorbatchev ressemble à celle des apparatchiks de l’ancienne URSS. Elle prend un envol décisif en 1985 lorsqu’il devient secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS). Gorbatchev prend vite la mesure des maux qui accablent le pays : économie à la dérive, irresponsabilité, corruption, etc. Les réformes qu’il lance dans le cadre de la perestroïka ont pour but de faire entrer l’Urss dans le troisième millénaire. Hélas pour lui, s’il est vite populaire à l’Ouest, notamment à cause de la chute du Mur de Berlin, ses mesures de politique interne accumulent les déboires : abandon de puissance, chute de la production, anarchie, freins bureaucratiques… Comment réformer à la va-vite un pays qui a connu soixante-dix ans de glaciation ? Pour ambitieuses qu’elles étaient, les réformes promues par Gorbatchev ne pouvaient s’affranchir des pesanteurs léguées par un système à bout de souffle. Ce qu’en introduction Bernard Lecomte traduit ainsi : « Vouloir instiller un peu de transparence, de démocratie ou de liberté dans un système global dont la matrice était précisément la négation ‘révolutionnaire’ de ces trois valeurs ‘bourgeoises’, c’était en miner les fondements et le condamner à mort. » (p. 9) S’il n’a pas voulu mettre fin au système soviétique et au « socialisme réel » tels qu’ils ont été pratiqués en Europe de l’Est, les réformes promues par Mikhaïl Gorbatchev ont tellement dépassé leur initiateur et exécuteur qu’elles ont finir par exercer un effet dissolvant.

Sans jamais sacrifier à la rigueur du récit historique, Bernard Lecomte parvient à rendre proche et passionnante une histoire dont les conséquences demeurent très présentes. Un livre essentiel pour comprendre la façon dont l’ancienne Union Soviétique a donné naissance aux Etats de l’Europe de l’Est. Un changement primordial dans la course au monde multipolaire des temps qui s’ouvrent.

 

Bernard Lecomte, Gorbatchev, Perrin, 2014, 462 pages, 24 €

 

 

 

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Histoire Recensions

La Grande Guerre

Broché: 517 pages
Editeur : PERRIN (2 janvier 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262033137
ISBN-13: 978-2262033132
Dimensions : 24 x 15,6 x 4,4 cm

 La Grande Guerre

Les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale sont l’occasion d’une pluie d’ouvrages : synthèses, témoignages, lettres de combattants… Les titres nouveaux sont si nombreux que vouloir en donner une liste exhaustive ressort d’un combat perdu d’avance. Beaucoup de spécialistes ont ou vont donner leur histoire de la Grande Guerre. François Cochet, déjà auteur de nombreux ouvrages consacrés au sujet, fait partie des spécialistes qui ont décidé de mettre leur science au service du grand public. Autant dire qu’ici le pari est réussi. Aidé d’une plume alerte, l’auteur donne une synthèse passionnante, bâtie sur une chronologie régulièrement étayée par une fine analyse des événements. Un tel souci pédagogique ne peut s’expliquer que par la pleine possession du sujet.

Cette Grande Guerre est enrichie d’une vision originale du conflit. Les grandes batailles de la guerre – appelées ici les « hyperbatailles » comme Verdun et la Somme – ne sont pas analysées dans le détail. Si l’auteur avait voulu entrer dans les détails des opérations militaires, il aurait fallu un volume beaucoup plus gros. Les grandes lignes qu’il en donne sont éclairées par des aspects techniques sur lesquels les historiens sont généralement peu bavards. François Cochet explique par exemple que les combats rapprochés étaient extrêmement rares et que ceux que l’on a appelés les « nettoyeurs de tranchées » ont fait l’objet d’une mythologie pas vraiment en rapport avec la réalité historique. C’est le feu qui tuait, autrement dit l’artillerie et la mitrailleuse employées de façon massive. Autre originalité : l’auteur ne s’interdit pas de visiter l’historiographie. Le premier chapitre – Pourquoi la guerre ? – est à cet égard exemplaire lorsqu’il explique la vision donnée par de jeunes historiens sur les causes du conflit. Ces dernières ont fait couler beaucoup d’encre tant les responsabilités paraissent partagées et diluées. Or, explique François Cochet, il est possible que « la Grande Guerre se situe dans la queue de comète des XVIII° et XIX° siècles, où bien des responsables politiques ont déclenché des guerres pour des raisons parfois futiles en estimant que les opinions publiques les suivraient. ». Cette Grande Guerre est vraiment ce que l’on fait de mieux dans le genre.

 

François Cochet, La Grande Guerre, Perrin, 2014, 517 pages, 25 €

 

 

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Histoire Recensions

Encyclopédie de la Grande Guerre

Relié: 1810 pages
Editeur : TEMPUS PERRIN (8 novembre 2012)
Collection : Tempus
Langue : Français
ISBN-10: 2262031266
ISBN-13: 978-2262031268
Dimensions : 18,2 x 11,2 x 7,6 cm

 Encyclopédie de la Grande Guerre

Il y a maintes façons de raconter l’histoire de la Première Guerre Mondiale. Beaucoup l’on fait, très classiquement, en empruntant le chemin linéaire emprunté par la chronologie : des déclarations de guerre en cascade qui s’étalent de fin juillet aux premiers jours d’août 14 jusqu’au clairon qui signale la fin des hostilités. Evidemment, une encyclopédie n’a pas pour vocation de dérouler une telle trame chronologique. Dans cette gigantesque Encyclopédie de la Grande Guerre publiée voici dix ans conjointement par Perrin et Bayard, et intelligemment rééditée dans la collection de poche Tempus, tous les aspects de ce conflit planétaire sont passés en revue, offrant ainsi un tableau complet de la guerre. Car celle-ci ne se résume pas aux champs de bataille, au nombre de divisions, de canons et d’avions, aux opérations précédées de milliers – parfois de millions – d’obus destinés soi-disant à emporter la décision et à en finir une bonne fois pour toutes. En plus de la guerre elle-même et des opérations militaires qui lui sont liées, restait à balayer les nombreux domaines dans lesquels leurs effets se sont longtemps fait sentir. La démobilisation et le retour des soldats à la maison, le culte des morts, la reconstruction, l’application des traités, les effets économiques, le sort des réfugiés et des invalides, etc. font l’objet de chapitres écrits par des spécialistes, français et étrangers. Les guerres de ce type étant de phénoménaux accélérateurs de l’Histoire, les auteurs sont allés voir en quoi la Grande Guerre avait par exemple influencé la mode et la musique. Elément essentiel du roman national français, la Grande Guerre aura d’autres conséquences qui mettront du temps à émerger. Par exemple, de jeunes historiens en sont à se demander si la crise de l’autorité, dont on voit depuis quelques décennies les effets jusque dans la vie professionnelle, n’est pas consécutive aux ordres absurdes lancés par certains généraux et dont l’année 1917 vit la contestation la plus sérieuse. Dans son remarquable Siècle de 1914, Dominique Venner a écrit que la Grande Guerre risquait de demeurer longtemps la matrice de la civilisation européenne, quelquefois pour le meilleur, souvent pour le pire.

Cette Encyclopédie est un must, un outil complet pour les passionnés de la période, ceux qui ont déjà une connaissance de cette tragédie dans ses grandes lignes.

 

Stéphane Audoin-Rouzeau & Jean-Jacques Becker, Encyclopédie de la Grande Guerre, Tempus, 2012, 1 810 pages (2 volumes), 25 €