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Histoire Recensions

Recherches de la France

Broché : 608 pages
Editeur : Gallimard (3 octobre 2013)
Collection : Bibliothèque des Histoires
Langue : Français
ISBN-10 : 2070140466
ISBN-13 : 978-2070140466
Dimensions : 22,5 x 3,9 x 14,2 cm

 Recherches de la France

Membre de l’Académie française depuis 2001, Pierre Nora figure au premier rang des grands historiens français. Les initiés se souviennent encore de la publication, en 1997, des trois gros volumes des Lieux de mémoire, œuvre collective d’immense ampleur, « exploration sélective et savante de notre héritage collectif ». Ce pilier des Editions Gallimard a colligé dans ces Recherches de la France divers travaux – articles de revues savantes, conférences et autres contributions – sur notre pays en s’intéressant spécialement à l’histoire contemporaine, depuis 1789 et la naissance de la République. Comme l’historien l’indique en préface, nous sommes loin, ici, d’une « histoire personnelle de la France ». En revanche, tout à sa « manière personnelle d’écrire cette histoire », Pierre Nora se penche sur des objets d’études dont il est devenu un spécialiste : l’avènement de la nation, la genèse de la République, les grandes figures républicaines et nationales que furent des Lavisse et des Buisson. Les contributions versées dans ce volume sont, il faut le dire, d’une lecture exigeante ; elles supposent une connaissance plutôt approfondie du roman national. Pierre Nora est davantage un analyste qu’un conteur. Au-delà des thèmes de prédilection de l’historien, on remarquera son intérêt pour l’histoire longue, laquelle ne s’épuise pas dans la seule République, et surtout l’appétence qui est la sienne pour l’attachement à la France. La diversité des sujets abordés ne doit pas cacher l’essentiel. Au fond, prévient l’auteur dès la préface, l’histoire éclatée qui est livrée dans ce volume révèle une analyse approfondie où « chaque éclat dit quelques chose de la singularité mystérieuse du tout ». Terminons en signalant, à l’heure où l’enseignement de l’histoire laisse plus qu’à désirer dans les cénacles de l’Education nationale, les articles lumineux que P. Nora consacre à ces maîtres que furent Jules Michelet et Ernest Lavisse.

Pierre Nora, Recherches de la France, Galllimard, 2013, 590 pages, 24.50€

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Recensions Religion

Gouverner au nom d’Allah

Broché : 160 pages Editeur : Gallimard; Édition : 01 (10 octobre 2013) Collection : HORS SER CONNAI Langue : Français ISBN-10 : 2070142892 ISBN-13 : 978-2070142897 Dimensions : 20,5 x 1,4 x 14 cm
Broché : 160 pages
Editeur : Gallimard; Édition : 01 (10 octobre 2013)
Collection : HORS SER CONNAI
Langue : Français
ISBN-10 : 2070142892
ISBN-13 : 978-2070142897
Dimensions : 20,5 x 1,4 x 14 cm

 Gouverner au nom d’Allah

Bien souvent, ce sont les intellectuels occidentaux qui écrivent sur l’islam. Le premier intérêt de Gouverner au nom d’Allah vient de ce que l’auteur est un écrivain algérien vivant en Algérie. Si on le sent très méfiant à l’égard de l’islamisme, il tâche d’en décrire la montée le pus objectivement possible. Avant cela, il donne une vue d’ensemble de l’islam, avec ses courants, ses schismes, ses chapelles… Il s’interroge ensuite sur la nature de l’expansionnisme musulman aisi que sur les vecteurs sur lesquels il s’appuie : courants religieux radicaux, médias, universités, émigration… Religion jeune, dynamique, en expansion, l’islam est de plus en plus travaillé par l’islamisme, sa version rigoriste dont une partie des membres – les salafistes – souhaite le retour à la communauté primitive, celle qui entourait Mahomet. Pour l’auteur, le monde musulman se trouve à la croisée des chemins, tiraillé de tous côtés par des aspirations contraires : modernité contre rigorisme, liberté de conscience et contre coercition, liberté de religion contre conformisme, désir de copier l’Occident tout en maintenant ses particularismes, etc. Si nombreux sont les musulmans à réprouver la violence islamiste, il n’est pas certain qu’ils en rejettent le programme. Boualem Sansal insiste sur le fait que, bien que soumis à la publicité déplorable qu’en fait l’islamisme, l’islam demeure en ascension constante. S’il en cherche les cases au sein du monde musulman, peut-être minore-t-il excessivement la perméabilité du monde occidental qui, après avoir largué ses croyances ancestrales, submergé par le consumérisme, n’a plus guère d’anticorps. Une religion aussi assise que l’islam donne sens à sa vie ; c’est autre chose que l’épuisement contemporain pris entre consommation et illusion technologique. Tant est si bien que l’auteur a raison, à la fin, de se poser la question : pour qui l’islamisme est-il un problème, pour l’Occident ou le monde musulman ? Au total, un petit livre instructif et facile à lire.
Boualem Sansal, Gouverner au nom d’Allah, Gallimard, 2013, 156 pages, 12.50€

 

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Recensions Religion

L’essor du christianisme

Broché : 304 pages
Editeur : Excelsis (17 juin 2013)
Collection : L’Eglise dans l’histoire
Langue : Français
ISBN-10 : 2755001887
ISBN-13 : 978-2755001884
Dimensions : 21,9 x 1,5 x 16 cm

 L’essor du christianisme

Connu pour son retentissant Triomphe de la raison (sous-titre : Pourquoi la réussite du modèle occidentale est le fruit du christianisme), paru en 2007, le sociologue des religions Rodney Stark récidive dans sa défense et son apologie du christianisme. Agnostique, l’auteur réfléchit sur un mode uniquement scientifique : comment expliquer la propagation du christianisme au cours des premiers siècles de notre ère ? Mettant au service de sa thèse ses connaissances en sociologie et en histoire, Rodney Stark livre un ouvrage passionnant et convaincant. Il commence à expliquer de façon mathématique la croissance démographique des premières communautés chrétiennes ainsi que l’attraction du christianisme auprès de nombreuses communautés juives. Mais, a-t-on envie de dire, là n’est pas l’essentiel. Pourquoi, en dépit des persécutions (moins nombreuses qu’on le croit), le christianisme a-t-il supplanté le paganisme de façon aussi définitive ? Il y a, remarque Rodney Stark, deux sortes d’explications. Les premières ont trait à l’épuisement du paganisme, devenu aux I° et II° siècles un ensemble de superstitions en voie d’épuisement auquel plus personne ne croyait. Reste la question : qu’est-ce qui, dans la religion nouvelle, attirait païens et juifs ? Pourquoi de nombreux païens ont-ils cessé de croire en leur improbable panthéon pour rejoindre la foi véhiculée par les premiers disciples de Jésus de Nazareth. La réponse, déjà prononcée par un antiquisant comme Lucien Jerphagnon, est évidente : beaucoup de gens ont décidé de se convertir au christianisme parce qu’ils jugeaient cette religion supérieure aux autres. Cette supériorité s’était par exemple manifestée avec éclat durant la peste qui avait touché l’Empire romain au III° siècle : la solidarité et la compassion vécues entre chrétiens avaient montré que l’amour et la miséricorde n’étaient pas des mots creux. Comme l’écrit l’auteur en conclusion, « le christianisme a apporté une nouvelle conception de l’humanité à un monde accablé par une cruauté capricieuse et par un amour de la mort par procuration. » (p. 266). Le christianisme et ses organisations sociales étaient jugés attirants, libérateurs et efficaces. Un livre éloquent et nécessaire.

 

Rodney Stark, L’essor du christianisme, Excelsis, 2013, 303 pages, 23 €

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Recensions Religion

Chrétiens en danger. Vingt raisons d’espérer

Broché: 194 pages
Editeur : Béatitudes (1 septembre 2013)
Langue : Français
ISBN-10 : 2840245124
ISBN-13 : 978-2840245124
Dimensions : 21 x 1,7 x 13,5 cm

 Chrétiens en danger. Vingt raisons d’espérer

Dans ce petit livre, facile et plaisant à lire, Marc Fromager, l’actuel directeur de l’Aide à l’Eglise en Détresse, se livre à l’examen de vingt pays dans lesquels la vie des chrétiens n’est pas de tout repos. Le catalogue des maux qu’ils subissent, du meurtre à la vexation, est large. Si les situations sont évidemment différentes selon les pays, il ressort de ce tableau que les chrétiens constituent la minorité religieuse la plus persécutée dans le monde.

Continent par continent, Marc Fromager a choisi vingt pays dans lesquels les chrétiens sont exposés à une persécution quasi continue. Quand ils sont minoritaires, les chrétiens souffrent des brimades des extrémistes, musulmans quand il s’agit de l’Asie et de l’Afrique, hindous quand sont concernés les vingt-cinq millions de chrétiens qui vivent en Inde. Même s’ils sont majoritaires, leur situation peut devenir dangereuse ; par exemple, les assassinats de prêtres, au Brésil ou en Colombie, sont monnaie courante. S’il ne se livre pas à une analyse des raisons qui expliquent la recrudescence des violences anti-chrétiennes, l’auteur n’hésite pas à mêler ses expériences personnelles à des considérations plus larges touchant aussi bien la géopolitique que l’évolution des phénomènes religieux sur la planète. Pour chaque cas rencontré, qui va de l’Irak à la Chine en passant par le Kosovo, Marc Fromager explique les raisons qu’il y a d’espérer. Car, malgré les avanies et les persécutions, les chrétiens tiennent debout. Les chrétiens de Mossoul, qui ont tout perdu, et qui n’avaient de choix qu’entre la conversion à l’islam ou la fuite, viennent de prouver combien les mots de saint Paul résonnent dans notre monde : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2ème épître aux Corinthiens). Ils ont quitté leur foyer, ont tout perdu et pourtant aucun n’a renié sa foi. On imagine difficilement la force de tels témoignages. En Inde, les extrémistes hindous s’en prennent aux chrétiens parce qu’ils savent que ces derniers ne répliqueront pas, mais cela n’empêche pas les conversions. Au Nigeria, nombreux sont les musulmans à être impressionnés devant la patience et l’esprit de pardon qui animent les communautés chrétiennes. Si le sang des martyrs est semence de chrétiens, leur ténacité et leur accueil de l’autre l’est tout autant.

Une belle et poignante leçon pour les chrétiens pépères que nous sommes.

 

 

Marc Fromager, Chrétiens en danger. Vingt raisons d’espérer, Editions des Béatitudes, 2013, 194 pages, 14 €

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Portraits Recensions

Von Manstein, le stratège du III° Reich

Broché: 258 pages
Editeur : PERRIN (1 mai 2013)
Collection : Maîtres de guerre
Langue : Français
ISBN-10 : 2262040893
ISBN-13 : 978-2262040895
Dimensions : 21,2 x 2,2 x 16,3 cm

 Von Manstein, le stratège du III° Reich

La collection « Maîtres de guerre » prend peu à peu de la consistance. Elle est consacrée, rappelons-le, aux stratèges et aux généraux les plus habiles de la Seconde Guerre mondiale ainsi qu’à ceux qui eurent le plus d’influence sur le déroulement du conflit. Après les volumes consacrés à Hitler, Staline et Patton, il était assez logique qu’un livre fût consacré à celui qui s’est révélé comme « un stratège audacieux et génial tacticien ». C’est von Manstein qui est à l’origine du célèbre coup de faux de mai 1940 qui condamna à mort les armées franco-britanniques aventurées en Belgique. En plus de deux cents pages à l’écriture fluide, agrémentées de photos rarement publiées et de cartes rendant compte des batailles les plus âpres auxquelles a participé von Manstein, le livre de Pierre Servent réussit l’essentiel : donner une vision correcte du meilleur général de la Wehrmacht à qui fut souvent demandé l’impossible. Sur le front de l’Est, alors que l’armée allemande, souvent épuisée, doit parer les coups d’une Armée rouge de plus en plus puissante et sûr de son art, Manstein est considéré comme le pompier de service : celui qui est chargé d’éteindre les incendies. En dépit de sa maestria coutumière, le génie tactique de Manstein dépent bien sûr de la qualité des troupes qu’il a sous la main. Ses victoires de 1942 et 1943, en Crimée et en Ukraine, tiennent à la conjonction de sa vista et de l’excellence de l’Ostwehr (la Wehrmacht sur le front russe). Mais que cette qualité s’effondre à cause des pertes irréparables et aussitôt la superbe de Manstein de s’éroder, ce qui fut le cas à Koursk. Dans son livre paru après la guerre, Victoires perdues, Manstein, comme du reste beaucoup d’officiers supérieurs allemands, attribuera les défaites au supposé amateurisme d’Hitler. C’était, pour une part, se défausser sur un mort et lui faire porter le chapeau pour un ensemble d’inconséquences dont il n’était pas toujours responsable.

Par rapport aux autres livres de la série, le Von Manstein de Pierre Servent se situe un cran en-dessous. Manquant de précision, pas assez fouillé, il ne satisfera pas le connaisseur. Quelques erreurs, par exemple au sujet de la bataille de Koursk, laissent à penser que le livre a été trop rapidement écrit. Enfin, le silence de Manstein face aux crimes de guerre nazis est à peine évoqué. Pour une approche plus complète du personnage, on préférera, chez le même éditeur, la biographie due à la plume affûtée de Benoît Lemay.

 

Pierre Servent, Von Manstein, le stratège du III° Reich, Perrin, 2013, 259 pages, 21 €

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Actualités Recensions

Le Nord c’est l’Est

Broché: 224 pages
Editeur : PHEBUS EDITIONS (14 février 2013)
Collection : Littérature française
Langue : Français
ISBN-10: 275290875X
ISBN-13: 978-2752908759
Dimensions : 14 x 1,5 x 20,5 cm

  Le Nord c’est l’Est

Si vous aimez les espaces confinés, le bruit incessant, les foules compactes, l’invasion technologique, fuyez ce livre. Si, en revanche, les espaces vides vous fascinent, si vous êtes porté à la contemplation de la nature – véritable Jean-Henri Fabre des temps modernes !- et si vous préférez les températures du Septentrion aux canicules tropicales, n’hésitez pas car vous êtes en possession d’une petite pépite.

Ayant passé des années à sillonner l’Extrême-Orient russe et une grande partie de la Sibérie, Cédric Gras livre un carnet de voyages passionnant. D’abord un mot sur le titre, qui a de quoi surprendre. En effet, par un caprice de la géographie aisément explicable, plus le voyageur gagne l’Est de la Russie, plus il trouve des températures n’ayant rien à envier à celles de l’Extrême-Nord. Les coefficients de nordicité les plus élevés se trouvent tout au bout de la Sibérie, pas forcément dans les régions les plus au nord. En choisissant la région de la Kolyma comme lieu de détention des déportés du Goulag, le régime communiste ne s’était pas trompé. Comment faire pour s’évader d’un camp situé au milieu de nulle part, quand la température est de – 30 à – 40° C l’hiver et le bourg le plus proche – c’est-à-dire quelques baraques misérables – à 100 ou 200 kilomètres ? Les paysages et les villages visités par Cédric Gras n’ont pas changé, ni depuis la colonisation entreprise au temps des tsars ni durant l’époque maximale d’exploitation du Goulag. Rien, même pas la beauté de la nature, ne saurait retenir des populations éloignées de tout, vivant chichement, se battant huit mois sur douze contre les éléments. Les jeunes s’en vont sur le continent, c’est-à-dire en Russie occidentale, laissant là les vieux et ceux qui ne veulent plus rien avoir affaire avec la société. Cédric Gras raconte avec humanité l’existence misérable de populations désespérées (ravages de l’alcoolisme) et sans avenir. Fascinante Sibérie ! Des hommes perdus dans un vide géographique, les derniers résistants d’un monde qui tire sa révérence. Des hommes qui, hélas, n’ont rien à faire avec notre univers rationaliste et technicien, créateur d’un homme empiffré de divertissement et de consommation. Un magnifique récit. « Si c’est une île ici, c’est une île de bonté, protégée des vices de l’égoïsme contemporain par les immensités qui les contraignent à la solidarité ». (p. 53)

 

Cédric Gras, Le Nord c’est l’Est, Phébus, 2013, 214 pages, 18 €

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Littérature Recensions

Réenchanter la science

Broché: 450 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (28 août 2013)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10: 2226245456
ISBN-13: 978-2226245458
Dimensions : 23,8 x 15,4 x 3,4 cm

 Réenchanter la science

En conclusion de son livre Notre existence a-t-elle un sens ?, l’historien des sciences Jean Staune écrivait que désormais les matérialistes avaient du souci à se faire. En effet, beaucoup de leurs positions, à force d’être rabotées depuis quelques décennies, deviennent intenables. En dix chapitres fort lisibles par les néophytes, Rupert Sheldrake démonte la majorité des éléments sur lesquels s’établit la science mécaniste. L’établissement de celle-ci, au XIX° siècle, n’est plus qu’un lointain souvenir. L’avènement de la physique quantique et l’idée qu’il existe un autre niveau de réalité, non perceptible à nos sens, fait de plus en plus de chemin, au grand dam des matérialistes qui, pour s’y opposer, n’ont d’autre choix que la dénégation. Entre ces deux conceptions de la science, le débat est devenu difficile tant les tenants du matérialisme sont dogmatiques. Si vous leur dites : « prodige », « inexpliqué » ou « télépathie », ils répondent aussi sec : « charlatanisme », « illusion » et « tromperie ». Pour R. Sheldrake, un tel comportement, fermé à tout ce qui n’est pas rationnellement expliqué ressort du dogmatisme le plus obtus.

En dix points, l’auteur, scientifique de son état, met à mal les croyances les plus fermes des matérialistes. Il tente de prendre ces derniers au mot en leur mettant les yeux devant dix défis. S’ils le peuvent, qu’ils démontrent par exemple l’immuabilité des lois de la nature ! Qu’ils donnent la preuve que la mémoire est stockée dans une partie précise du cerveau ou que la médecine mécanique contemporaine est la seule efficace ! Il faut lire Sheldrake pour se rendre compte à quel point de tels arguments ont du poids. Ses demandes insistantes pour l’émergence d’un débat fécond entre scientifiques sont plus que jamais à prendre en considération. Cette discussion doit être ouverte aux familles philosophiques et religieuses.

Alors que les découvertes scientifiques connaissent une stagnation, l’auteur s’interroge. Pour lui, pas de doute, il faut s’aventurer « hors des sentiers battus de la recherche conventionnelle », se poser enfin les questions interdites depuis trop longtemps. Passionnant de bout en bout, Réenchanter la science y incite fortement.

 

Rupert Sheldrake, Réenchanter la science, Albin Michel, 2013, 424 pages, 24 €

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Recensions

Les petits Blancs – Un voyage dans la France d’en bas

Relié: 168 pages
Editeur : PLEIN JOUR (17 octobre 2013)
Langue : Français
ISBN-10: 2843377242
ISBN-13: 978-2843377242
Dimensions : 20,4 x 13,8 x 1,6 cm

 Les petits Blancs – Un voyage dans la France d’en bas

Le livre d’Aymeric Patricot a bénéficié de la publicité que lui a assurée Alain Finkielkraut à la télévision et dans son dernier ouvrage, L’identité malheureuse. Si Aymeric Patricot n’emploie jamais l’expression, c’est pourtant à eux, les Français de souche, perdants du système, paumés et précaires, qu’il s’est intéressé. Qui sont ces petits Blancs à qui s’est consacré A. Patricot ? Il s’agit de « ceux qui, tombés si bas sur l’échelle de la misère et de la déchéance, font honte au Blancs de condition correcte comme aux Noirs pourtant aussi pauvres » (p. 13).Salariés pauvres, smicards, allocataires miséreux, ils vivent comme ils peuvent, fuyant les centres-villes livrés aux caprices de la bourgeoisie, quittant peu à peu les grands ensembles des proches banlieues gagnés au communautarisme. Dans ce monde de la misère et de la désespérance, il y a de tout. C’est la force du livre d’Aymeric Patricot de montrer une population hétérogène, souvent éloignée de l’image d’Epinal qu’en livrent les médias. Le petit Blanc n’est pas forcément, et loin de là, un électeur du Front national, voire un fasciste en puissance portant béret basque et baguette de pain à la main. Bien sûr, beaucoup ne comprennent plus un pays qui, de leur point de vue, semble accorder plus de place à l’étranger qu’au Français de souche. L’exclusion dont ils sont victimes a tôt fait de les faire basculer dans un racisme primaire. Minoritaires chez eux, obligés de raser les murs, beaucoup d’entre eux ont basculé dans l’extrémisme. Mais, souligne l’auteur, ils sont également beaucoup à voir dans l’immigré qui s’installe à côté de chez eux les mêmes hommes et femmes qui, tout comme eux, connaissent la galère. Devant une vie aussi médiocre, où le moindre aléa peut faire tomber dans la misère et la déchéance, la couleur de peau et la religion importent peu.

Les petits blancs n’est pas un livre de sociologie comme beaucoup d’autres. Ici, ni jargon, ni courbes, ni statistiques compliquées. La force du livre tient en une accumulation de témoignages. L’ouvrage met également en lumière, même si au final il en parle très peu, l’aveuglement et la naïveté d’une classe politique qui semble se débarrasser avec désinvolture d’un problème qui risque de devenir explosif. Réintégrer tous ces Français ayant définitivement décroché est d’ores et déjà un défi majeur pour une société passablement déliquescente.

 

Aymeric Patricot, Les petits Blancs, Plein Jour, 2013, 163 pages, 17 €

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Actualités Recensions

La grande séparation : Pour une écologie des civilisations

Broché: 400 pages
Editeur : Gallimard (10 octobre 2013)
Collection : Le Débat
Langue : Français
ISBN-10: 2070142876
ISBN-13: 978-2070142873
Dimensions : 20,4 x 13,8 x 2,8 cm

 La grande séparation

Autrefois apôtre de la mondialisation et de ses mirages, Hervé Juvin devient aujourd’hui, au fil de ses ouvrages, l’un de ses plus fervents contempteurs. Certes, il est prêt à lui reconnaître certains mérites mais, quand il la juge à l’aune de ce qu’il appelle « l’écologie des civilisations », il en voit les dangers et les horreurs.

Qu’est-ce que « la grande séparation » dont l’auteur redoute les effets ? La mondialisation est en train, subrepticement, de créer un homme nouveau, un homme hors-sol, un homme de nulle part, sans repères ni tradition, dépourvu d’identité, un consommateur hédoniste s’abrutissant dans le contentement de soi. Bref, un homme séparé de tout ce qui jadis concourait à sa construction, mais « la séparation de l’homme à l’égard de toute détermination » n’est-elle pas le pari de la modernité (p. 92) ? Les conséquences de cette entreprise de déculturation auront nécessairement des effets périlleux sur nombre de civilisations, surtout les plus fragiles comme les peuples vivant en marge, dans la jungle indonésienne ou amazonienne. Le rouleau compresseur de la « grande séparation » repose sur trois piliers : la mondialisation, le développement économique et l’hégémonie du contrat. Se moquant des Etats, des traditions et des cultures, elle vise rien moins qu’à l’avènement d’un homme nouveau, consommateur sans racines, individu interchangeable. Pour H. Juvin, l’advenue d’une telle monstruosité n’est pas inéluctable, « d’où, écrit-il, l’actualité d’une écologie humaine, une politique de la diversité qui placerait les sociétés humaines, les cultures et leurs modes de vie avant même la diversité végétale ou animale, au rang des conditions de survie de l’espèce humaine – de notre survie » (p. 369)

Intellectuellement charpenté, l’ouvrage de Hervé Juvin s’appuie aussi sur l’expérience de l’auteur, voyageur impénitent qui a vu de près les ravages de la mondialisation en terme environnemental et civilisationnel. Si la thèse de La grande séparation est à prendre très au sérieux, on n’omettra pas de signaler qu’en moyenne, dans le monde, la pauvreté est en recul et que l’espérance de vie progresse. La mondialisation n’a pas que de effets négatifs. L’idéal serait de mieux l’arrimer aux particularismes existants, mais est-ce possible ?

Un livre passionnant pour comprendre le monde qui vient, mais qui aurait sans doute gagné à s’alléger d’une centaine de pages.

 

Hervé Juvin, La grande séparation : Pour une écologie des civilisations, Gallimard, 2013, 388 pages, 22.50 €

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Littérature Recensions

Remonter la Marne

Broché: 264 pages
Editeur : Fayard (13 février 2013)
Collection : Littérature Française
Langue : Français
ISBN-10: 2213654719
ISBN-13: 978-2213654713
Dimensions : 21,2 x 13,4 x 2,8 cm

 Remonter la Marne

Jean-Paul Kauffmann, ancien otage au Liban, écrivain, rédacteur en chef de L’amateur de cigares, est un formidable conteur. Dans L’Arche des Kerguelen ou La chambre noire de Longwood, il avait déjà montré sa capacité à faire revivre le passé, à l’interroger tout en soumettant à la question les modes et travers de l’époque contemporaine. L’année dernière, durant sept semaines, il a remonté à pied le cours de la Marne, de Paris jusqu’à sa source, en Haute-Marne. Ici, pas d’exploit physique ; il s’agissait pour l’auteur de baguenauder le long du cours d’eau, de prendre le temps de bavarder avec des indigènes, de s’arrêter dans telle petite ville pour visiter un musée fameux, d’honorer des personnages célèbres originaires des régions traversées (dom Pérignon, Alfred Loisy…) et, plus généralement, de se faire une idée de la France profonde dans ces départements qui, chaque année, perdent une part de leur population et de leur industrie. Au-delà des aspects pratiques inhérents à la marche en solitaire (ne pas s’égarer, trouver un hôtel chaque soir…), il reste le tableau de la France rurale que dresse l’auteur, tableau que la marche, avec la lenteur qu’elle suppose, restitue le moins inadéquatement. Dans ces petites villes endormies, ces villages presque vides, l’auteur a vu une France mal arrimée au progrès à tout crin, une France se défiant d’une mondialisation à pas redoublés. Cette France des bords de la Marne, c’est la France des petits blancs, population simple et besogneuse, ignorée des politiques : politique de la ville, politique du logement, politique de tout ce qu’on veut… Mais une France rétive à l’air du temps, résistant du mieux qu’elle peut aux assauts d’un progrès devant lequel tout doit plier. Le promeneur s’inquiète pour les hommes et pour les paysages, souvent saccagés dès lors, par exemple, que l’on gagne l’entrée d’une ville. Cette « France des doublettes » semble plus ou moins à l’abandon, mais ne s’en plaint pas forcément car il y a des abandons plus faciles à supporter que certaines prises en main. J.-P. Kauffmann dépeint un pays amère et désenchanté. Quant à l’âme de la France, l’auteur la trouve en peine. « Parmi ces hommes et ces femmes entrevus, écrit-il, beaucoup ont tourné le dos au monde qui leur était assigné » (p. 186)

Dans ce livre initiatique à la rencontre de la France des campagnes, Jean-Paul Kauffmann y ajoute son goût pour les rencontres et la capacité de voir et de comprendre que lui donne sa vaste culture. Un beau livre, nostalgique et intelligent.

 

Jean-Paul Kauffmann, Remonter la Marne, Fayard, 2013, 262 pages, 18.50 €