Correspondance (1858-1929)
La collection Bouquins n’en finit pas de nous étonner. Elle s’adresse à de gros lecteurs, à des gens capables et désireux de prendre leur temps pour mieux savourer une œuvre. Voici qu’après la correspondance de François Mauriac elle s’intéresse à celle de Georges Clemenceau. Devant une telle masse, l’exercice de lecture paraît périlleux, hasardeux. Toutes les lettres ne sont pas d’un intérêt égal. Malgré cette difficulté, il vaut le coup de s’accrocher car il n’y a rien de mieux qu’une correspondance pour découvrir une personnalité, ses goûts et ses dégoûts. Celle de Clemenceau est riche, à l’image de son parcours, lui qui tour à tour a été médecin, journaliste, député, ministre, Président du Conseil et, pour finir, simple retraité retiré dans sa Vendée natale. Que nous apprennent ces centaines de lettres ? Il y a bien sûr ce que l’on sait, son anglomanie, sa vaste culture, sa méfiance viscérale à l’égard de l’Allemagne, etc. Il y a plus ! Rien de telle qu’une correspondance pour cerner une personnalité, jusqu’au plus secret de son intimité. On est surpris par les attachements de Clemenceau, son sentimentalisme, son souci des autres… pas évidents à première vue de la part d’un homme politique qui savait ne pas faire dans la dentelle. Le même qui n’hésite pas, en tant que Ministre de l’Intérieur, à faire donner l’Armée pour réprimer une manifestation prend le soin le plus extrême de ses compagnons. On croit entendre le conseil d’un ami à un proche lorsque l’ancien Président du Conseil objurgue son vieil ami Claude Monnet, quasi-aveugle, de se faire opérer. Oui, si l’on veut entrer dans l’intimité d’un personnage aussi considérable que Clemenceau, cela demande du temps et de la persévérance. Au fil des pages, l’homme politique, parfois roué et vindicatif qu’il pouvait être, cède le pas à un homme délicat et cultivé. Comment, puisqu’il s’agit là de culture, ne pas faire la comparaison avec les politiques actuels, dont la connaissance des dossiers n’a d’égale que la nullité culturelle ? Clemenceau, comme à peu près tout le personnel politique du début du siècle dernier, révèle une culture puisée chez les classiques, à commencer par les grands auteurs grecs et latins.
Mille grâces soient rendues à la collection « Bouquins » qui, pour un prix raisonnable, donne à lire des inédits. Du bel ouvrage !
Georges Clemenceau, Correspondance (1858-1929), Bouquins, Robert Laffont, 2008, 1 120 pages, 31 €