Catégories
Recensions Religion

Une Europe sans religion dans un monde religieux

Broché: 224 pages
Editeur : Cerf (14 février 2013)
Collection : Parole présente
Langue : Français
ISBN-10: 2204098736
ISBN-13: 978-2204098731
Dimensions : 19,4 x 13,4 x 1,4 cm

 Une Europe sans religion dans un monde religieux

Sans prétention, ce petit ouvrage de sociologie religieuse, facile à lire, fait le point sur la situation des religions dans le monde et particulièrement en Europe. Sur notre continent, l’auteur ne se prive pas de dire que la situation est cataclysmique pour les religions historiques, protestantisme et catholicisme en tête. Chiffres à l’appui, l’auteur montre l’effondrement institutionnel des grandes religions, un effacement que rien ne semble devoir contrarier. L’état du clergé est particulièrement préoccupant, au point qu’il deviendra bientôt possible de parler d’Eglises sans prêtres et sans pasteurs. L’auteur estime que l’advenue d’une Eglise comptant très peu de prêtres n’est qu’une question de temps. Les petites communautés chrétiennes, isolées dans un océan d’indifférence, arriveront-elles à faire communion sans l’aide du professionnel qu’est le prêtre ou le pasteur ? En France, il est significatif de constater que le taux de pratique est très bas pour l’ensemble des religions, y compris l’islam qui, même s’il résiste bien, n’est pas à l’abri du courant dissolvant de la modernité. Les Eglises évangéliques sont les seules qui semblent devoir contrecarrer la grisaille ambiante, mais elles sont condamnées à demeurer minoritaires.

A l’échelle mondiale le christianisme résiste très bien, notamment sous sa forme évangélique. Quant au catholicisme, il y a longtemps que son centre de gravité ne se trouve plus en Europe. L’avenir des grandes religions se dessinera en Amérique du Sud, en Asie, en Afrique, certainement pas en Europe, continent de plus en plus gagnée à une indifférence qui s’apparente à l’athéisme pratique. L’analyse de Jean-Pierre Bacot montre combien la modernité est dissolvante pour les religions : même les Etats-Unis, longtemps considérés comme un bastion très religieux, commencent à dissocier appartenance religieuse et citoyenneté. A entendre l’auteur, si les religions défendent leurs positions dans l’hémisphère sud ou dans l’Europe slave, elles sont d’ores et déjà balayées dans les pays riches, terres promises à l’athéisme. Un défi angoissant, mais passionnant à relever, pour les Eglises d’Europe !

Jean-Pierre Bacot, Une Europe sans religion dans un monde religieux, Le Cerf, 2013, 224 pages, 16 €

Catégories
Recensions Religion

Au cœur des objections antichrétiennes

Broché: 221 pages
Editeur : Cerf (12 avril 2013)
Collection : L’histoire à vif
Langue : Français
ISBN-10: 2204099333
ISBN-13: 978-2204099332
Dimensions : 19,4 x 12,4 x 2 cm

 Au cœur des objections antichrétiennes

A côté d’une indifférence massive, la voix de l’athéisme a tendance à se faire toujours plus entendre. Autrefois il y avait les maîtres du soupçon, Marx, Freud et consorts. Aujourd’hui les penseurs athées ont pour nom Comte-Sponville, Onfray, Hitchens ou Dawkins. Leurs approches sont radicalement différentes. Pour un « athée fidèle », respectueux, comme l’est André Comte-Sponville, un Michel Onfray sert un athéisme dégrossi au burin. Cela dit, le croyant ne peut faire fi des objections qui lui sont adressées. Au contraire, il doit les prendre au sérieux, y répondre avec mesure et intelligence. La publication du livre du P. Denis Lecompte aurait pu être une opportunité : répondre point par point aux critiques faites à la foi chrétienne. Hélas, cet ouvrage répond insuffisamment – malgré le titre – aux arguments philosophiques et historiques répandus par l’athéisme le plus virulent. Partant du matérialiste Epicure et du païen Celse, l’auteur consacre une bonne moitié de son livre à l’époque des Lumières, là où s’ébauche, avec Voltaire, Diderot et d’Holbach, l’athéisme contemporain. Denis Lecompte a raison de s’attarder sur cette époque (XVIII° et XIX° siècles) car c’est là que l’athéisme contemporain y puise ses racines les plus drues. Malheureusement, l’époque contemporaine est traitée à la vitesse de l’éclair : pratiquement rien sur Camus et Sartre, pour en rester à la France, très peu de choses sur les philosophes qui, aujourd’hui, s’acharnent à pilonner la foi chrétienne. Le nom de Michel Onfray n’apparaît qu’une fois, ce qui est ridiculement peu quand on connaît sa popularité. Il aurait fallu, croyons-nous, davantage traiter les objections antichrétiennes actuelles. Beaucoup reprennent celles émises lors des Lumières, mais d’autres apportent un sang neuf à la critique athée. Le britannique Richard Dawkins, par exemple, réfute la foi religieuse à partir de la biologie. Au début du siècle dernier, c’était la physique qui donnait du grain à moudre à l’athéisme. Faire l’impasse sur ces nouveaux considérants, c’est ne pas voir que l’athéisme, tout comme la foi religieuse, n’est pas réductible à un seul modèle.

Denis Lecompte, Au cœur des objections antichrétiennes, Le Cerf, 2013, 221 pages, 19 €

Catégories
Biographies Portraits

Thierry Maulnier

Poche: 453 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (11 avril 2013)
Collection : Tempus
Langue : Français
ISBN-10: 2262041725
ISBN-13: 978-2262041724
Dimensions : 17,6 x 10,8 x 2 cm

  Thierry Maulnier

Thierry Maulnier fait partie de ces intellectuels de droite qui marquèrent le siècle dernier. Très doué (il publie un premier essai, consacré à Nietzsche, à l’âge de 23 ans !) tout en étant quelque peu dilettante, il se fait connaître par une pensée originale. Son amour pour le théâtre de Racine lui vaut de rejoindre le quotidien royaliste L’Action française. S’il se méfie du populisme, il appuie par la plume et le geste les émeutes du 6 février 1934 visant à renverser le régime républicain. Très à droite, le royalise Maulnier, à l’instar de Charles Maurras, est hostile au nazisme car germanophobe. Il quitte Paris durant l’Occupation pour se réfugier à Lyon, capitale du journalisme français jusqu’à l’occupation totale du pays (1942). La voie du journalisme s’offre à lui, une voie qu’il ne quittera plus même si, de façon régulière, il publie des essais consacrés aussi bien à la littérature qu’à la politique. Doté d’une culture très large, Maulnier fait partie de ces intellectuels touche-à-tout nombreux en ces années de guerre puis de reconstruction. Durant la Guerre Froide, comme Raymond Aron, Thierry Maulnier choisit le camp occidental, à rebours de ces nombreux intellectuels tentés par un compagnonnage docile avec le communisme. Journaliste, auteur de pièces de théâtre et de nombreux essais, il est élu à l’Académie française en 1964. Sa disparition en 1988 signe la fin de l’engagement des intellectuels dans le champ public et politique. Avec la mort de Jean-Paul Sartre, de Raymond Aron et de Thierry Maulnier, c’est un peu la fin de l’histoire d’amour des intellectuels avec la politique.
La biographie signée Etienne de Montety, au style toujours très alerte, constitue une intéressante plongée dans le marigot intellectuel et journalistique des années d’avant et d’après-guerre. Pourtant, cette photographie, pour pertinente qu’elle soit, peine à entraîner l’enthousiasme du lecteur. L’auteur du livre n’y est pour rien. Il s’avère tout simplement que l’œuvre de Thierry Maulnier n’a pas résisté au temps. Homme de l’entre-deux, d’un tempérament très mesuré, peut-être a-t-il manqué du panache et de l’acuité qui rendent certaines œuvres impérissables. On aura oublié les livres de Maulnier quand on se souviendra encore de ceux de Mauriac.

Etienne de Montety, Thierry Maulnier, Tempus, 2013, 451 pages, 10 €

Catégories
Histoire Recensions

Histoire de la Russie des tsars

Broché: 456 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (28 mars 2013)
Collection : Pour l’histoire
Langue : Français
ISBN-10: 2262039925
ISBN-13: 978-2262039929
Dimensions : 24 x 15,4 x 3,8 cm

  Histoire de la Russie des tsars

Attention, ce livre de Richard Pipes est l’archétype du livre universitaire. Il suppose la connaissance préalable de l’histoire russe, savoir s’appuyant sur une chronologie solide. Car les événements et l’histoire commentée des grandes dates qui ont fait la Russie n’intéressent que médiocrement l’universitaire américain.
L’Histoire de la Russie des tsars de Richard Pipes analyse un système, rend compte de phénomènes de grande durée sans grand souci chronologique. Il faut le souligner d’emblée : le livre de Richard Pipes est un livre à thèse. A travers une lecture qu’il faut bien qualifier d’aride, l’auteur s’emploie à disséquer la nature de l’état patrimonial russe, une terre et un peuple qui étaient la propriété exclusive du tsar. En effet, contrairement à l’Occident médiéval, il n’y eut jamais en Russie de noblesse capable de défendre une quelconque autonomie face à l’Etat. L’administration, le fisc, la propriété, l’armée… tout était concentré entre les mains d’un seul, successeur des empereurs byzantins ayant élu pouvoir à Moscou – avant la création de Saint-Pétersbourg -, la troisième Rome. Alors qu’en France et dans l’Empire germanique, l’Eglise entend défendre ses privilèges face au pouvoir royal (gallicanisme), en Russie l’Eglise orthodoxe se met, pieds et mains liés, au service de l’Etat. Par excellence la Russie était la terre de l’autocratie, c’est-à-dire un Etat dans lequel un seul individu détenait la totalité du pouvoir. Le problème, c’est qu’au XIX° siècle, face à la menace que constituent le marxisme et le nihilisme, les serviteurs fidèles et désintéressés de l’Etat son peu nombreux. Cela expliquera en partie la facilité avec laquelle l’Etat des Romanov, puissance séculaire, tomba et se disloqua. La force du fatalisme slave, la faiblesse de la classe moyenne, l’étendue du pays, la médiocrité des administrations militaire et civile et la nature même d’un pouvoir qui était devenu policier – afin de lutter contre les forces montantes – facilitèrent la prise du pouvoir par les bolcheviks. Résultat : l’héritage historique a rendu la rupture avec le despotisme très difficile. Cela explique, encore aujourd’hui, certains traits d’un pouvoir peu à l’aise, c’est le moins qu’on puisse dire, avec les conquêtes démocratiques.
Un livre difficile mais essentiel pour qui veut comprendre la nature profonde de la nation russe.

Richard Pipes, Histoire de la Russie des tsars, Perrin, 2013, 460 pages, 24.50 €

Catégories
Portraits Recensions

Georges Pompidou, Lettres, notes et portraits (1928-1974)

Broché: 540 pages
Editeur : Robert Laffont (25 octobre 2012)
Langue : Français
ISBN-10: 222112765X
ISBN-13: 978-2221127650
Dimensions : 23,8 x 15,4 x 4,2 cm

  Georges Pompidou. Lettres, notes et portraits (1928-1974)

En ces temps de déprime économique et d’inquiétude quant au devenir de la nation France, la figure de Georges Pompidou connaît une popularité renouvelée. Sa brève présidence (1969-1974) fait l’objet d’ouvrages nombreux et des magazines vont jusqu’à lui consacrer leur couverture. Tout se passe comme si la France maussade et inquiète de 2013 retrouvait un peu de confiance en se remémorant la France des années 1970, époque bénie, temps où tout semblait possible. Le voile de nostalgie qui s’empare de notre esprit a des goûts de paradis perdus. C’est dire si l’édition des Lettres, notes et portraits écrits par Georges Pompidou, de son passage à l’Ecole Normale Supérieure à la Présidence de la République, tombe à pic.

L’ancien président se révèle conforme au style simple et sans affèterie qu’il utilise dans son courrier : lettres à Michel Debré, notes au Général de Gaulle, réponses à François Mauriac… Georges Pompidou était bien cet homme du terroir, à la fois simple et cultivé, soucieux du passé tout en étant ouvert à la nouveauté. A-t-il été servi par une époque – les Trente Glorieuses – facile ? C’est possible, quoique cela n’enlève rien aux qualités dont il a fait preuve dans la vie publique. Si les lettres ici données à lire n’apportent aucune révélation fracassante, elles permettent à tout le moins de mesurer le bon sens d’un grand serviteur du pays et de l’Etat. On attendait un politique pressé par l’action, soucieux de moderniser et d’industrialiser une France meurtrie par des décennies de déchirures dues aux guerres européennes et coloniales, et ne voilà-t-il pas que l’on découvre un écologiste avant l’heure, quelqu’un de méfiant face à un progrès qui envahit tout. Dans un autre genre, on ne lit pas sans émotion ces lettres où, tout Président de la République qu’il est, G. Pompidou confie qu’il aurait aimé être « un malade ordinaire, qui garde la chambre et obtient quinze jours de congé » (p. 470). Il y a là une humilité qui ne peut être feinte. Le service de l’Etat l’a toute entier accaparé alors qu’il aurait aimé, simple citoyen, lire, écrire, visiter des expositions.

Georges Pompidou était pétri de bon sens, le même qui semble parfois faire défaut aux décideurs contemporains, toujours prêts à la surenchère. Lorsqu’il s’en prend à « à la complication recherchée à plaisir dans la signalisation routière » (p. 440), on se dit que la remarque, quarante ans après, demeure d’actualité. Comment se fait-il que, parmi le personnel politique d’aujourd’hui, il en est si peu qui, comme le faisait G. Pompidou, osent rappeler que « le matérialisme de la société d’abondance ne satisfait pas les aspirations de l’homme » ? Ce livre constitue un beau témoignage de ce que doit être l’action politique : l’humilité et le bon sens mis au service du pays et de l’Etat.

Georges Pompidou, Lettres, notes et portraits (1928-1974), Robert Laffont, 2012, 540 pages, 24 €

Catégories
Histoire Recensions

L’Europe barbare 1945-1950

Broché: 488 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (28 février 2013)
Langue : Français
ISBN-10: 2262037760
ISBN-13: 978-2262037765
Dimensions : 24 x 15,4 x 3,8 cm

 L’Europe barbare (1945-1950)

Passionnant et original ! Voici les deux mots qui viennent lorsqu’on referme le livre du chercheur britannique Keith Lowe.
Dans l’esprit de la plupart des Européens, l’année 1945 ferme une parenthèse tragique, ouverte en août 1914 avec le premier suicide de l’Europe. Ce n’est pas aussi simple. En effet, les cicatrices de la guerre civile européenne ont mis du temps à se refermer. Par souci de simplification l’auteur s’en tient aux cinq années qui suivent la fin de la Seconde Guerre, mais il aurait pu tout aussi bien choisir un temps plus long. Qui sait qu’en Ukraine et dans les pays baltes, jusque dans les années 1950, des partisans nationalistes combattaient le pouvoir soviétique ? Sur un plus large, cette période ouvrait sur la Guerre Froide, appelée à durer jusqu’à la chute du Mur de Berlin (1989) et l’implosion du communisme.

L’Europe barbare est un condensé, une sorte de bréviaire de la haine dans l’Europe de ce milieu de XX° siècle, un temps où la vie d’un homme ne vaut pas un clou, une époque durant laquelle un peuple peut s’estimer heureux d’être déporté (cas des Tatars de Crimée) alors que d’autres risquent l’élimination pure et simple (juifs, tsiganes). La violence des peuples et des individus est à fleur de peau et il suffit d’un rien pour la libérer. Nazis et communistes sont bien sûr les premiers et les plus forts dans ce genre d’exercices. Nombre d’études et de livres ont fait le bilan terrible de l’un et de l’autre. Cette barbarie, souvent exercée à l’encontre d’innocents, ouvre la porte à d’implacables vengeances. La violence exercée en Russie par l’Armée allemande sera vengée lorsque les Soviétiques envahiront le Reich : des centaines de milliers d’Allemandes furent violées et onze millions de personnes déplacées. Les Alliés occidentaux, chantre de la démocratie, ne sont pas épargnés par K. Lowe : comment expliquer le bombardement sauvage, en 1944-1945, de villes historiques n’ayant aucun caractère stratégique ?

Au-delà des prodromes dus au conflit mondial, l’auteur parcourt toute l’Europe à la recherche de cette brutalisation, laquelle trouve parfois sa source dans des antagonismes anciens indépendants de la montée des totalitarismes. Si les violences entre Ukrainiens et Polonais, entre Croates et Serbes ont été libérées par la guerre, elles prennent racine dans des oppositions séculaires. Il faudrait ajouter à ce terrible bilan les conflits périphériques que précipita la guerre, comme la guerre civile en Grèce (1944-1949), la liquidation des démocrates dans les futures démocraties populaires, etc. Ce sombre et terrible bilan s’achève sur une note positive. Si l’Europe, en tant que construction politique, n’est guère populaire ces temps-ci, il ne faudrait pas oublier qu’elle revient de loin car elle s’est assénée des coups dont elle aurait très bien pu ne pas se remettre. La déshumanisation fut telle que la situation paisible d’aujourd’hui ressemble à un retournement quasi-miraculeux.

Keith Lowe, L’Europe barbare (1945-1950), Perrin, 2012, 488 pages, 25 €

Catégories
Recensions Religion

Faites le plongeon : Vivre le baptème et la confirmation

Broché: 336 pages
Editeur : Cerf (14 juin 2012)
Collection : EPIPHANIE
Langue : Français
ISBN-10: 2204097772
ISBN-13: 978-2204097772
Dimensions : 21,2 x 14,6 x 2,6 cm

 Faites le plongeon

Un livre signé Timothy Radcliffe est toujours un événement. C’est le cas ici. Parfois un peu confus mais toujours pétillant, Faites le plongeon délivre une bouffée d’optimisme bien revigorante par les temps qui courent. D’autant qu’il touche un sacrement essentiel, celui sans lequel les autres ne seraient pas : le baptême. « Le baptême, écrit l’ancien maître général des Dominicains, touche à ce qui se joue de plus profond dans la vie humaine : naître, grandir, tomber amoureux, oser se donner aux autres, être à la recherche de sens, devenir adulte, faire face à la souffrance et à l’échec et éventuellement à la mort. » (p.10)

Alors que les catholiques, à l’invitation du pape Benoît XVI, sont appelés à réfléchir leur foi, voilà que s’ouvre une belle occasion de relier celle-ci au baptême. L’enjeu est de taille. Les chrétiens n’ont-ils pas à se réapproprier le sens plénier de leur baptême afin d’être sel de la terre ? Il y a urgence, semble dire à sa façon l’auteur– une façon décontractée et rigolarde mais qui, sur le fond, n’évacue jamais les questions capitales -, de rapatrier le baptême dans l’acte de foi. Le sacrement de baptême n’est pas l’onction magique d’un seul moment, d’une unique célébration : c’est la porte ouverte à une vie offerte au Seigneur pour le salut du monde et le bonheur de l’humanité. A tout le moins, il devrait être considéré comme tel ; or, on sait bien que le challenge est extraordinairement difficile en ces temps de disette spirituelle. Si l’auteur invite à faire le plongeon, c’est pour montrer que le moment du baptême opère, au plan spirituel s’entend, de façon décisive. Il s’agit pour les chrétiens de montrer que leur Eglise n’est pas qu’un club de gens sympas, à l’écoute du monde, une sorte d’ONG attentive à la misère d’autrui. Donner pleine valeur à son baptême, c’est contribuer à faire grandir l’homme, à le rendre vivant.

Une recension rendra toujours imparfaitement compte d’un livre de T. Radcliffe. Mieux vaut lire Faites le plongeon que d’en parler car le ton décalé de l’auteur offre un rendu inimitable. Si le sujet est bien sûr sérieux, l’auteur le traite à la sa façon, cultivée, décontractée et pittoresque. Les nombreuses anecdotes donnent une touche finale bienvenue à un livre de théologie qui se lit comme un roman. Finalement, il y a dans ce livre tout ce que l’on aime dans le catholicisme anglais : historiquement minoritaire, il tient ferme le cap de la fidélité et aime à s’emparer de sujets sérieux qu’il traite d’une façon pas toujours sérieuse.

Timothy Radcliffe, Faites le plongeon, Le Cerf, 2012, 321 pages, 17 €

Catégories
Biographies Recensions

Jean Lartéguy – Le dernier centurion

Broché: 347 pages
Editeur : Editions Tallandier (10 mai 2013)
Collection : Biographies
Langue : Français
ISBN-13: 979-1021000599
ASIN: B0091QPX38
Dimensions : 21,4 x 14,4 x 3 cm

  Jean Lartéguy – Le dernier centurion

Rien ne prédisposait Lucien Osty à devenir le grand écrivain français des guerres coloniales du milieu du XX° siècle. La proximité de son oncle chanoine, le fameux exégète Emile Osty, a-t-elle contribué à fixer chez Lucien un amour naissant pour la chose écrite ? Quoiqu’il en soit, arrivé à l’âge de 20 ans, sans qu’il entreprenne pour cela d’études littéraires, il est pris dans les rets jetés par le démon de l’écriture. Après quelques mois passés dans l’Armée durant la Guerre de Corée (il fait partie du millier d’hommes qui composent le bataillon français des forces des Nations-Unies), il s’oriente vers l’écriture. C’est journaliste qu’il sera ; un reporter façon Tintin pas un de ces ronds-de-cuir qui, à cent kilomètres de Paris, s’imagine déjà connaître l’aventure. Grand voyageur devant l’Eternel, Lucien Osty – qui a choisi d’écrire sous le pseudonyme de Jean Lartéguy, clin d’oeil à Raspéguy, héros des Centurions -, n’a que le choix du lieu. En ces temps où, en Amérique latine, en Asie et en Afrique, la planète connaît maintes convulsions consécutives à des décolonisations arrachées dans la douleur et le sang, c’est aux premières loges qu’il doit être. Ce baroudeur glanera sur le terrain, au milieu de l’action, ce qui fera le sel et la texture de ses grands romans qui ont pour toile de fond les guerres coloniales. Il vit heure par heure la chute de Dien Bien Phu, couvre pour Paris Match la Guerre du Vietnam. Il s’intéresse aussi aux mouvements de libération d’Amérique latine et ne dédaigne pas de se rendre en Israël au plus fort des Guerres des Six Jours et du Kippour. Proche des chefs et partageant la condition du soldat, Lartéguy « semble s’être maintenant fixé une mission à laquelle il va pleinement se consacrer : celle de chasseur de guerre » (p. 144) De sa proximité avec les soldats naîtra de grandes amitiés, dont celle du Général Bigeard.
On a volontiers fait de Jean Lartéguy une sorte de romantique, un nostalgique de l’Empire colonial. Au vrai, comme le souligne l’auteur, « Lartéguy ne pourfend pas la décolonisation, il ne la juge pas. Toutefois, les guerres d’indépendance constituent à ses yeux un véritable choc identitaire et culturel, un séisme. » La guerre ne constitue que le cadre de ses livres. Ce qui passionne Lartéguy, ce sont les hommes. Aussi bien le soldat européen, rêveur casqué, dernier paladin d’un monde qui s’écroule, que le paysan vietnamien ou algérien, heurté dans son mode de vie, sa culture et ses traditions ancestrales. Finalement, Lartéguy était avant tout un humaniste.

Hubert Le Roux, Jean Lartéguy, le dernier centurion, Tallandier, 2013, 347 pages, 23.50 e

Catégories
Recensions Religion

L’Eglise et l’Etat : La grande histoire de la laïcité

Broché: 300 pages
Editeur : Saint-Léger Editions (1 mai 2012)
Collection : A temps et contretemps
Langue : Français
ISBN-10: 2364520037
ISBN-13: 978-2364520035
Dimensions : 23,8 x 15,6 x 2,6 cm

 L’Eglise et l’Etat : La grande histoire de la laïcité

En écrivant cette « grande histoire de la laïcité », Jean Etèvenaux a souhaité réaliser un instrument de travail accessible. Trois cents pages pour décrire la complexité des relations qui a toujours existé entre le politique et le religieux, pour n’en rester qu’à l’Occident, c’est raisonnable. S’appuyant sur une vaste érudition, l’auteur n’a aucun mal à démêler l’écheveau de siècles d’antagonismes et de conflits. Il est nécessaire de savoir d’où l’on vient pour mieux comprendre le présent. En ce sens cette histoire des relations enchevêtrées entre l’Eglise et l’Etat fait œuvre utile. L’auteur retrace avec maestria vingt siècles d’histoire, une histoire dont la source est proprement chrétienne. N’est-ce pas, en effet, le « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » prononcé par le Christ qui annonce la première idée de la séparation – « distinction » dirait Alain de Benoist – du spirituel et du temporel ?

C’est cette singularité que Jean Etèvenaux est arrivé à mettre en relief, en faisant jaillir ce qu’il nomme le « nouvel équilibre français ». A côté de ces évidentes qualités, l’ouvrage encourt des reproches, dus pour l’essentiel à une vision trop historisante du phénomène laïque. Une histoire davantage tournée vers l’évolution d’un droit positif aurait peut-être permis à l’auteur de ne pas évacuer certains événements capitaux pour la compréhension des faits. Pratiquement ne rien dire du Parti des Politiques qui, durant les Guerres de Religions, fédère catholiques et protestants modérés en vue de dissocier le politique et le religieux, c’est ne pas voir que la laïcité tire sa source du refus de voir la religion instrumentalisée. L’auteur passe également avec une incroyable rapidité sur la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, débats préparatoires et textes législatifs inclus. De cette époque mouvementée il ne donne à voir que des aspects périphériques comme la naissance de la Fédération protestante. Au contraire, certains chapitres, comme celui ayant trait à l’Inquistion, pour intéressant qu’il soit, n’apportent qu’un intérêt médiocre à ce qui intéresse ici, à savoir « la grande histoire de la laïcité ». Tout en considérant avec attention l’ouvrage de J. Etèvenaux, le lecteur prendra soin de le compléter par d’autres lectures, à commencer par de plus juridiques, ce en quoi Emile Poulat excelle depuis plusieurs décennies.

Jean Etèvenaux, L’Eglise et l’Etat : La grande histoire de la laïcité, Saint-Léger Editions, 2012, 305 pages, 22 €

Catégories
Biographies Recensions

Ernest Renan

Broché: 616 pages
Editeur : Fayard (22 février 2012)
Collection : Biographies Historiques
Langue : Français
ISBN-10: 2213637385
ISBN-13: 978-2213637389
Dimensions : 23,4 x 15,2 x 4 cm

 Ernest Renan

Le moins qu’on puisse dire c’est que, dans le monde croyant, chez les catholiques en particulier, Ernest Renan est l’objet d’une peu enviable réputation. N’est-il pas considéré, avec Auguste Comte ou Jules Ferry, comme un démolisseur, un de ceux qui, en portant la science au pinacle, ont déconsidéré la religion par un rationalisme obtus et systématique ?

Au XIX° siècle, si Renan jouit d’une enviable considération au sein du monde libre penseur, il est au contraire l’objet de rancœur, voire de haine, de la part de nombreux catholiques. Ce désamour profond et tenace, Jean-Pierre Van Deth ne le conteste pas. Sa vaste étude, parce qu’elle évalue la recherche de Renan au sein du contexte bien particulier qu’est le XIX° siècle, époque à laquelle la science est considérée comme toute puissante, cherche à donner de l’ancien séminariste de Tréguier l’image la moins infidèle possible. C’est que Renan, encore considéré comme un des hérauts de l’athéisme, fut séminariste et que l’ire qu’il souleva chez les catholiques vint en grande partie d’un parcours vécu comme une trahison. C’est très tôt que Renan a perdu la foi mais, comme il l’écrivit, « la foi a ceci de particulier que, disparue, elle agit encore ». La vie de l’auteur de L’avenir de la science a-t-elle été gouvernée par une foi qu’il n’avait plus ? C’est à le croire si l’on suit le biographe de Renan. La pensée religieuse de Renan a suivi un cours beaucoup plus subtil que la Libre Pensée ou qu’une apologétique catholique à la Veuillot a voulu le faire croire. Certes, Renan a perdu la foi et il n’hésitait pas à se montrer d’une extrême sévérité à l’égard de ce qu’était devenue, à ses yeux, l’Eglise catholique au cours de l’histoire, c’est-à-dire une Eglise devenue constantinienne, imbue de pouvoir et tyrannique. En même temps, il a toujours gardé une extrême considération pour le fils du charpentier de Nazareth. Le problème, du point de vue catholique, c’est que Renan voyait en lui certes « un homme incomparable », mais un homme ! Pas le Fils de Dieu ! Pas Dieu lui-même ! L’indéfectible attachement qu’il manifeste à l’égard de Jésus est détaché de toute perspective croyante. Renan est, a-t-il souvent proclamé, demeuré un chrétien. Contrairement à ce qu’affirment les cercles libres penseurs dont on se demande s’ils l’ont lu, il a sincèrement prêché un christianisme qu’il pensait proche de l’Evangile. Le problème, c’est que ce christianisme sans dogme, sans structure, risquait d’être si désincarné qu’au bout du compte il n’en resterait à peu près rien.

La belle biographie de Jean-Pierre van Deth donne à voir un homme attachant, curieux de tout. Tour à tout philologue, historien, théologien… Renan est sans conteste une des plus belles figures du monde scientifique au XIX° siècle. Il est regrettable que nombreux de ceux qui ont annexé sa pensée n’aient pas toujours compris qu’il fut essentiellement, comme il l’a dit lui-même, un chercheur de vérité.

 

Jean-Pierre Van Deth, Ernest Renan, Fayard, 2012, 616 pages, 32 €