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Le Nord c’est l’Est

Broché: 224 pages
Editeur : PHEBUS EDITIONS (14 février 2013)
Collection : Littérature française
Langue : Français
ISBN-10: 275290875X
ISBN-13: 978-2752908759
Dimensions : 14 x 1,5 x 20,5 cm

  Le Nord c’est l’Est

Si vous aimez les espaces confinés, le bruit incessant, les foules compactes, l’invasion technologique, fuyez ce livre. Si, en revanche, les espaces vides vous fascinent, si vous êtes porté à la contemplation de la nature – véritable Jean-Henri Fabre des temps modernes !- et si vous préférez les températures du Septentrion aux canicules tropicales, n’hésitez pas car vous êtes en possession d’une petite pépite.

Ayant passé des années à sillonner l’Extrême-Orient russe et une grande partie de la Sibérie, Cédric Gras livre un carnet de voyages passionnant. D’abord un mot sur le titre, qui a de quoi surprendre. En effet, par un caprice de la géographie aisément explicable, plus le voyageur gagne l’Est de la Russie, plus il trouve des températures n’ayant rien à envier à celles de l’Extrême-Nord. Les coefficients de nordicité les plus élevés se trouvent tout au bout de la Sibérie, pas forcément dans les régions les plus au nord. En choisissant la région de la Kolyma comme lieu de détention des déportés du Goulag, le régime communiste ne s’était pas trompé. Comment faire pour s’évader d’un camp situé au milieu de nulle part, quand la température est de – 30 à – 40° C l’hiver et le bourg le plus proche – c’est-à-dire quelques baraques misérables – à 100 ou 200 kilomètres ? Les paysages et les villages visités par Cédric Gras n’ont pas changé, ni depuis la colonisation entreprise au temps des tsars ni durant l’époque maximale d’exploitation du Goulag. Rien, même pas la beauté de la nature, ne saurait retenir des populations éloignées de tout, vivant chichement, se battant huit mois sur douze contre les éléments. Les jeunes s’en vont sur le continent, c’est-à-dire en Russie occidentale, laissant là les vieux et ceux qui ne veulent plus rien avoir affaire avec la société. Cédric Gras raconte avec humanité l’existence misérable de populations désespérées (ravages de l’alcoolisme) et sans avenir. Fascinante Sibérie ! Des hommes perdus dans un vide géographique, les derniers résistants d’un monde qui tire sa révérence. Des hommes qui, hélas, n’ont rien à faire avec notre univers rationaliste et technicien, créateur d’un homme empiffré de divertissement et de consommation. Un magnifique récit. « Si c’est une île ici, c’est une île de bonté, protégée des vices de l’égoïsme contemporain par les immensités qui les contraignent à la solidarité ». (p. 53)

 

Cédric Gras, Le Nord c’est l’Est, Phébus, 2013, 214 pages, 18 €

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Miser (vraiment) sur la transition écologique

 Miser (vraiment) sur la transition écologique

Broché: 191 pages
Editeur : Editions de l’Atelier (13 mars 2014)
Collection : D’autres lendemains
Langue : Français
ISBN-10: 2708242598
ISBN-13: 978-2708242593
Dimensions : 19,8 x 12,4 x 1,6 cm

« Nous avons le pied collé sur l’accélérateur et nous fonçons vers l’abîme ». C’est sur ces mots d’introduction que commence un ouvrage qui se donne pour vocation de tracer des pistes concrètes afin d’aborder les mutations prochaines. Car, inéluctablement, mutations il y aura et, comme les auteurs le disent avec humour, mieux vaut « penser le changement que changer le pansement ». C’est que le temps presse. La fonte des calottes polaires, la désertification, la pollution des sols et des sous-sols, la volonté de bétonner encore et toujours ont drastiquement réduit notre marge de manœuvre. Il devient grand temps d’agir. Après un rapide tour d’horizon de la situation mondiale, les auteurs avancent résolument des alternatives susceptibles d’enrayer la crise écologique sans trop perturber les sociétés. Il va falloir, avancent-ils, faire aussi bien avec moins. Ils mettent en avant des recherches et des travaux ayant des conséquences très pratiques. Mais tout cela n’est rien si la volonté n’y est pas : celle des décideurs comme celle des consommateurs. Les auteurs promeuvent maintes solutions d’ordre technique ou financier afin de réaliser la transition écologique qu’ils appellent de leurs vœux et qui avance à pas comptés. L’important, au fond, quel que soit le domaine concerné (l’énergie, l’agriculture, la démographie, la technologie, etc.), réside moins dans les recettes techniques que dans l’envie, le courage, le désir de faire ensemble. Les meilleures solutions, même appuyées par des ponts d’or, ne peuvent pas grand-chose si elles ne sont pas sous-tendues par une envie et une énergie débordantes. « La transition aura lieu, affirment les auteurs, avec plus de succès si nous sommes animés d’une envie de faire ensemble, d’un désir de transmission de savoir-faire entre nous, de don de soi, et d’un goût du partage sans contrepartie systématique » (p. 121).Sans ces préalables, toutes les questions touchant l’argent, le désintérêt des élites ou les défis technologiques deviennent vaines.

Intelligent et mené de bout en bout par un bel entrain, Miser (vraiment) sur la transition écologique a de quoi titiller la conscience des plus sceptiques. Si c’était le but des auteurs, eh bien il est réussi.

 

Alain Grandjean & Hélène Le Teno, Miser (vraiment) sur la transition écologique, Editions de l’Atelier, 2014, 191 pages, 17 €

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Lettres béninoises

Broché: 185 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (22 janvier 2014)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10: 2226254692
ISBN-13: 978-2226254696
Dimensions : 20,4 x 14 x 2 cm

 Lettres béninoises

Rien n’est plus hasardeux que de décrire le futur. Beaucoup s’y sont risqués avec des fortunes diverses. L’économiste Nicolas Baverez se livre lui aussi à l’exercice. L’action de ses Lettres béninoises se situe en 2040. Alassane Bono, béninois, nouveau directeur du Fonds Monétaire International, débarque en France pour tâcher de remettre sur les rails un pays en totale déshérence. Dans les lettres qu’il envoie à sa famille et ses amis, il décrit l’état de décrépitude d’une France rongée par la dette, la désindustrialisation, la misère, l’abandon des institutions, le communautarisme. Disons-le, le tableau que dresse Nicolas Baverez de la France de demain a quelque chose d’apocalyptique. Ayant passé du 5ème au 25ème rang dans le monde pour la richesse et la puissance, la France est un pays en pleine déliquescence. Cette dégradation spectaculaire est d’abord le fruit d’un déni de réalité de la part des élites. Economie en faillite, dette colossale, abandon de l’euro, classe politique incapable, paupérisation, multiplication des zones de non-droit, etc. Tout y est et tout y passe ! Face à une Afrique qui redresse la tête et à la multiplication des puissances émergentes, l’Europe passe pour un continent anesthésié, seule l’Allemagne, comme toujours, arrivant à tirer son épingle du jeu. C’est n’est pas que les Français de 2040 manquent de ressort. Au contraire, Nicolas Baverez – alias Alassane Bono – voit du réconfort à la vue de ces entrepreneurs et de quelques politiques qui ne se résignent pas à la fatalité. Le problème, au fond, réside dans un Etat aussi obèse qu’impuissant, aveugle au cours du temps car ayant été incapable de mener les réformes nécessaires. D’un pessimisme noir, l’auteur n’en fini pas de décrire cette France qui tombe, titre d’un essai précédent. « Les Français ont ruiné l’Etat, fait-il écrire à son héros, en s’installant dans l’illusion que chacun, sans travailler, pouvait vivre à crédit aux dépens de son voisin. » (p. 35).

D’aucuns trouveront le tableau dressé par Nicolas Baverez trop noir. Sans doute y a-t-il une part d’exagération dans cette peinture d’une France pauvre et déclassée. Il n’empêche : les grandes tendances sont déjà et les problèmes que décrit l’auteur sont ceux que lui-même ou un Alain Peyrefitte décrivait il y a déjà trente ans. Trop de dénis, de réformes bâclées ou empêchées donnent du grain à moudre à l’auteur de ces Lettres béninoises.

 

 Nicolas Baverez, Lettres béninoises, Albin Michel, 2014, 186 pages, 14,25 €

 

 

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Pourquoi les riches ont gagné

Broché: 153 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (8 janvier 2014)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10: 2226254706
ISBN-13: 978-2226254702
Dimensions : 22,4 x 14,4 x 2 cm

 Pourquoi les riches ont gagné

Le livre de Jean-Louis Servan-Schreiber n’est pas le premier à s’ouvrir sur cette parole de Warren Buffett, la deuxième fortune des Etats-Unis : « La guerre des classes existe toujours, mais c’est nous, les riches, qui la menons. Et nous la gagnons. » De fait, jamais les riches n’ont été aussi nombreux. En France, est considéré comme riche celui dont les revenus dépassent 4 500 euros mensuels ; c’est dire si l’écart est considérable entre un salarié qui gagne bien sa vie, et qui est donc considéré comme riche si l’on tient compte des mesures de l’INSEE, mais qui est bien loin d’atteindre les 20 milliards de patrimoine de Bernard Arnault. La richesse est protéiforme, multiforme ; elle tient au talent (entrepreneurs, artistes…) comme à l’héritage. Pourquoi, à l’échelle du monde, la multiplication des riches ? Tout simplement parce que « des décennies de croissance à l’échelle internationale ont empilé de telles masses d’argent qu’il en découle une prolifération des riches » (p. 39). Après quelques chapitres sur les soucis, besoins et caprices des riches, suit en fin de livre le chapitre-phare, les pages qui expliquent les raisons du succès des riches (parce qu’ils sont devenus de puissants acteurs sociaux, qu’ils sont experts en stratégie fiscale planétaire, qu’ils possèdent le pouvoir d’informer, etc.) A en croire l’auteur, les riches ont de quoi être tranquilles très longtemps. En effet, ils ont gagné la guerre des classes en devenant un modèle envié. Certes on peut les jalouser mais leur ostentation médiatique ne joue pas l’effet repoussoir que l’on croit. Enfin – cerise sur le gâteau ! – « tout se passe comme si les riches avaient gagné, financièrement bien sûr, mais aussi politiquement et presque idéologiquement ». (p. 20) On pourrait se consoler en pensant que, logiquement et mathématiquement, l’élévation du nombre de riches entraîne l’arrachement à la pauvreté des plus petits, ce qui est vrai. En revanche, ce qui peut sembler désespérant, c’est le fait que la lutte contre les inégalités – – qui n’ont jamais été aussi élevées – semble complètement obsolète ; elle ne semble plus intéresser grand monde. Pour les acteurs politiques, ce n’est pas la réduction des inégalités qui est première, c’est la création d’emplois. Tout en concevant bien ce changement, Jean-Louis Servan-Schreiber indique que la situation actuelle est destinée à durer : quand on est riche, il y a tout lieu de croire que c’est pour longtemps. Et tant pis pour les pauvres !   Jean-Louis Servan-Schreiber, Pourquoi les riches ont gagné, Albin Michel, 2014, 154 pages, 14.50 €

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La grande séparation : Pour une écologie des civilisations

Broché: 400 pages
Editeur : Gallimard (10 octobre 2013)
Collection : Le Débat
Langue : Français
ISBN-10: 2070142876
ISBN-13: 978-2070142873
Dimensions : 20,4 x 13,8 x 2,8 cm

 La grande séparation

Autrefois apôtre de la mondialisation et de ses mirages, Hervé Juvin devient aujourd’hui, au fil de ses ouvrages, l’un de ses plus fervents contempteurs. Certes, il est prêt à lui reconnaître certains mérites mais, quand il la juge à l’aune de ce qu’il appelle « l’écologie des civilisations », il en voit les dangers et les horreurs.

Qu’est-ce que « la grande séparation » dont l’auteur redoute les effets ? La mondialisation est en train, subrepticement, de créer un homme nouveau, un homme hors-sol, un homme de nulle part, sans repères ni tradition, dépourvu d’identité, un consommateur hédoniste s’abrutissant dans le contentement de soi. Bref, un homme séparé de tout ce qui jadis concourait à sa construction, mais « la séparation de l’homme à l’égard de toute détermination » n’est-elle pas le pari de la modernité (p. 92) ? Les conséquences de cette entreprise de déculturation auront nécessairement des effets périlleux sur nombre de civilisations, surtout les plus fragiles comme les peuples vivant en marge, dans la jungle indonésienne ou amazonienne. Le rouleau compresseur de la « grande séparation » repose sur trois piliers : la mondialisation, le développement économique et l’hégémonie du contrat. Se moquant des Etats, des traditions et des cultures, elle vise rien moins qu’à l’avènement d’un homme nouveau, consommateur sans racines, individu interchangeable. Pour H. Juvin, l’advenue d’une telle monstruosité n’est pas inéluctable, « d’où, écrit-il, l’actualité d’une écologie humaine, une politique de la diversité qui placerait les sociétés humaines, les cultures et leurs modes de vie avant même la diversité végétale ou animale, au rang des conditions de survie de l’espèce humaine – de notre survie » (p. 369)

Intellectuellement charpenté, l’ouvrage de Hervé Juvin s’appuie aussi sur l’expérience de l’auteur, voyageur impénitent qui a vu de près les ravages de la mondialisation en terme environnemental et civilisationnel. Si la thèse de La grande séparation est à prendre très au sérieux, on n’omettra pas de signaler qu’en moyenne, dans le monde, la pauvreté est en recul et que l’espérance de vie progresse. La mondialisation n’a pas que de effets négatifs. L’idéal serait de mieux l’arrimer aux particularismes existants, mais est-ce possible ?

Un livre passionnant pour comprendre le monde qui vient, mais qui aurait sans doute gagné à s’alléger d’une centaine de pages.

 

Hervé Juvin, La grande séparation : Pour une écologie des civilisations, Gallimard, 2013, 388 pages, 22.50 €

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L’identité malheureuse

Broché: 240 pages
Editeur : Stock (9 octobre 2013)
Collection : Essais – Documents
Langue : Français
ISBN-10: 2234073367
ISBN-13: 978-2234073364
Dimensions : 21,4 x 13,6 x 2,8 cm

 L’identité malheureuse

Contrairement à ce qu’un certain déballage médiatique aurait pu faire croire, le dernier livre d’Alain Finkielkraut n’a rien d’une charge contre l’islam ou les banlieues. Il est loin d’être, comme on a pu le lire avec effarement dans un hebdomadaire national, un ramassis de propos de café du commerce. La plumitive qui a écrit cette bêtise connaît-elle Hume, Hobbes, Pascal et les autres philosophes et écrivains convoqués par l’auteur ? Il y a des polémiques qui ne font pas honneur à ceux qui les lancent, mais passons…

A partir de l’affaire du foulard de Creil en 1989, A. Finkielkraut s’interroge sur le présent et l’avenir du pays, plus précisément sur la modalité française de la civilisation européenne. A l’heure de la mondialisation, de l’arasement des frontières, que devient l’identité de la France ? Convoquant historiens, philosophes et écrivains, l’auteur du Mécontemporain se penche avec passion sur un pays où le vivre-ensemble ne va plus de soi. Que nous est-il arrivé ? Quel mauvais génie nous a-t-il entraîné dans une société atomisée, déculturée, où les anciens marqueurs, autrefois unanimement acceptés, ne font plus référence ? L’auteur commence sa réflexion par l’affaire du collège de Creil, lorsque deux adolescentes se voient refuser l’accès du collège pour port d’un foulard islamique. C’est de là qu’est parti le débat qui a vu la France refuser le voile islamique et, de façon plus générale, les signes d’appartenance ostentatoires ? Ce ne sont pas des critères religieux qui ont conduit à l’interdiction, mais la compréhension historique de ce qu’est l’identité de la France, une nation qui a porté au pinacle l’amour courtois, la galanterie et la littérature. La modernité, via ses composantes essentielles que sont la globalisation et l’immigration, est en train d’anéantir l’effort patient et obstiné des anciens. Plus grave, « pour la première fois dans l’histoire de l’immigration, l’accueilli refuse à l’accueillant la faculté d’incarner le pays d’accueil » (p. 115), d’où l’irruption des repentances et de la glorification des minorités. Que devient alors le droit de la majorité, son histoire, sa capacité à incarner l’essence d’une nation ? A l’heure de la bigarrure universelle on ne le sait plus trop, d’autant que ce qui était autrefois chargé de donner un sentiment commun, comme l’Ecole et la Famille, est en panne. Bref, à l’instar de Péguy, A. Finkielkraut, ne pouvant s’empêcher de voir ce qu’il voit, en tire des conclusions pessimistes. Avons-nous encore le choix ? Si on ne l’a plus, il ne nous reste plus qu’à accompagner « une transformation démographique qui n’a donné lieu à aucun débat, qui n’a même été décidée par personne » (p. 214) ; de quoi alimenter un peu plus cette « identité malheureuse ».

 

Alain Finkielkraut, L’identité malheureuse, Stock, 2013, 229 pages, 19.50€

 

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C’est la culture qu’on assassine

Broché: 284 pages
Editeur : Balland (13 janvier 2011)
Collection : DOCUMENT
Langue : Français
ISBN-10: 2353150985
ISBN-13: 978-2353150984
Dimensions : 20,2 x 13,4 x 2,2 cm

 C’est la culture qu’on assassine

Avec un titre aussi alléchant  on aurait pu s’attendre à une œuvre qui fasse date. L’auteur est facile à lire, cultivé en diable et n’a pas la langue dans sa poche. Quand il pense qu’une œuvre ne vaut pas un clou, il le dit. Bien sûr, ce petit livre rondement mené ne se lit pas sans plaisir. Il n’en reste pas moins qu’on en attendait davantage. Pour partie, la faute incombe à la conception même de l’ouvrage ; il n’est pas évident, en effet, de réunir des articles déjà publiés sur un blog personnel. La mayonnaise a du mal à prendre. A une certaine hétérogénéité se conjugue les goûts de Pierre Jourde pour des auteurs qu’il est à peu près le seul à connaître. On peut concevoir l’élitisme en culture, à condition toutefois de ne pas décourager les bonnes volontés, les préférences de l’auteur allant à des écrivains qu’une bonne partie du public cultivé n’est pas certaine de connaître. Manque d’unité, choix discutables… Mais, pour le reste, les coups de griffe que lance Pierre Jourde à la culture contemporaine – ou, pour être plus précis, à ce qui en tient lieu – sont réjouissants. Comment ne pas l’approuver lorsqu’il demande ce qu’est devenue la culture : « Ce qui est dramatique, c’est la disparition de la culture populaire au profit du divertissement de masse » (p. 143) ? De même suivrons-nous l’auteur quand il s’inquiète de ce que, au nom du politiquement correct, il devient quasiment impossible aux critiques de faire correctement leur travail, dans la mesure « où le soupçon pèse systématiquement sur toute critique non positive » (p. 213). Entre happy few des mêmes expositions et mêmes rentrées littéraires, il convient de se décerner les brevets de respectabilité qui permettront d’assurer des ventes correctes.

Dans un monde où tout est jaugé à l’aune de l’utilitarisme, a-t-on besoin de la culture ? La question vaut d’être posée tant la culture est devenue un objet de consommation comme un autre. Or, dit l’auteur, être homme consiste à se passionner pour l’inutile. La culture ouvre à la beauté et à l’intelligence, et peu importe qu’elle soit considérée comme inutile. Comme l’écrivait Théophile Gautier dans la préface de Mademoiselle de Maupin : « L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines ».

Pierre Jourde, C’est la culture qu’on assassine, 2011, Balland, 285 pages, 18.90 €

 

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Dictionnaire amoureux du vin

Broché: 476 pages
Editeur : Plon (22 septembre 2006)
Collection : Dictionnaire amoureux
Langue : Français
ISBN-10: 2259197337
ISBN-13: 978-2259197335
Dimensions : 20 x 13,2 x 3,8 cm

  Dictionnaire amoureux du vin

Un bon livre ressemble à un bon vin : il s’améliore en vieillissant. Publié en 2006, ce Dictionnaire amoureux est semblable à ces bordeaux, bourgognes ou côtes-du-jura qui se font attendre pour se faire mieux apprécier. S’il arrive à beaucoup de livres de se démoder, ce ne sera certainement pas le cas de celui-ci. Livre de passion plus que de raison, ce Dictionnaire amoureux bénéficie de l’effet Pivot, ce mélange de vitesse et de bonne humeur que l’on trouve dans ses autres ouvrages. Avec son style gouleyant, mélangeant subtilement les arômes de la grande et de la petite histoire, ajoutant quand il le faut une pincée d’anecdotes et d’humour, Bernard Pivot se fait l’échanson d’une part grandiose de notre histoire. Car le vin, selon Pivot, est autre chose qu’un simple liquide, aussi merveilleux fût-il. Le vin, c’est de l’histoire dans une bouteille (merci aux moines bénédictins et cisterciens, missionnaires du bon goût, fondateurs de premier ordre et immenses pionniers), c’est aussi le travail de générations de viticulteurs, la finesse et la variété d’arômes divers… bref, une part notable du génie de l’Occident dans un contenant de 75 centilitres. Comment, par le truchement de ces bouteilles issues de nos meilleurs crus, ne pas y voir le résumé de siècles de labeur et d’expérience mis au service d’une certaine idée de l’humanité ? A condition bien sûr de ne pas en abuser – sacrifions au politiquement correct ! – , le vin exprime une certaine idée de l’homme : celui qui, après une journée de labeur, aime à perdre son temps avec des amis autour d’une bonne bouteille. Le vin, obscur objet du désir ? Certes, mais bien plus encore… N’a-t-il pas un rôle social. Combien de fois les Français ne se retrouvent-ils pas autour d’un vin d’honneur ? « Demande-t-on de l’honneur à l’eau, au whisky, au pastis, à la Kronenbourg, au bloody mary ? » écrit B. Pivot (p. 12).

La singularité de la collection des Dictionnaires amoureux est, par nature, sa subjectivité. L’auteur dit ses goûts et ses dégoûts. Si les goûts de l’auteur sont sûrs, ses dégoûts le sont moins. Pourrait-il en être autrement ? Bernard Pivot aime le vin, le rouge en général, les bordeaux et bourgognes en particulier et même les autres, ceux dont les lettres de noblesse doivent encore se faire attendre. Quasi monument de notre histoire nationale, le vin dit beaucoup d’une société. Dans l’introduction, l’auteur explique que ce Dictionnaire amoureux voudrait être un joyeux vin d’honneur. Qu’il se rassure, il l’est !

Bernard Pivot, Dictionnaire amoureux du vin, Plon, 2006, 476 pages, 23.50 €

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La tyrannie médiatique

Broché: 380 pages
Editeur : Via Romana (14 février 2013)
Langue : Français
ISBN-13: 979-1090029408
ASIN: B009LGEANM
Dimensions : 20,4 x 13,6 x 3,4 cm

 La tyrannie médiatique

Jamais les médias n’ont eu autant de pouvoir et d’influence. Ils sont partout, faisant la loi, disant le bien et le mal, posant ici des interdits, autorisant là des libertés… Mais, au juste, sont-ils aussi libres et indépendants qu’ils le proclament et quelle est leur vraie nature ? Jean-Yves Le Gallou a son avis sur la question et c’est d’une manière tranchée qu’il l’annonce dans ce livre passionnant. Voilà des années qu’il s’interroge sur le robinet d’eau tiède que sont devenus les grands médias. Comment se fait-il que tous tiennent le même discours à peu de choses près ?

Est-ce un hasard si beaucoup donnent l’impression de promouvoir un monde « d’individus sans racines et de sociétés sans frontières » (p. 10) ? Des plaies dont souffrent les médias il faut en retenir trois. Réduisant leur emploi à de la simple communication, ils ont trahi leur fonction première qui est d’informer honnêtement. Or, la communication ressemble plus à de la propagande qu’à l’exposé d’une situation avec ce qu’il suppose de prudence et de mesure. Assujettis à la présence quasi-obsédante de la publicité, les grands médias sont tombés sous la coupe des financiers. Pour ces derniers, seule compte la rentabilité ; en conséquence, l’information n’est plus que l’habillage d’une manipulation visant à faire de l’usager un consommateur lobotomisé. Enfin, le conformisme des journalistes est tel que le discours politiquement correct est un passage obligé, toute attitude non conformiste étant de nature à être payée comptant.
Pour donner du poids à son propos, Jean-Yves Le Gallou multiplie les exemples… consternants pour des médias qui se flattent, le cœur sur la main, de donner une information de qualité. Manipulations et bobards sont légion, tout un vocabulaire – une novlangue – est fabriqué pour maintenir le citoyen en état d’hébétude et la « bien-pensance » coule à flots dans un monde en noir et blanc. Pour l’auteur, un tel état des lieux dit beaucoup des dangers qui planent sur l’exercice de la démocratie. En effet, écrit-il, pour être pleinement en démocratie, « encore faut-il que le peuple soit loyalement informé, que sa capacité de réflexion soit cultivée, qu’une pluralité de choix politiques lui soit offerte et équitablement présentée. Aucune de ces quatre conditions n’est aujourd’hui remplie en France » (p. 196). Que faire pour préserver le corps social de ce déluge de désinformations ? Pragmatique, Jean-Yves Le Gallou livre à la fin de son ouvrage les outils utiles à une nécessaire ré-information.

Jean-Yves Le Gallou, La tyrannie médiatique, Via Romana, 2013, 379 pages, 23 €

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Dictionnaire amoureux du crime

Broché: 940 pages
Editeur : Plon (21 février 2013)
Collection : Dictionnaire amoureux
Langue : Français
ISBN-10: 2259211216
ISBN-13: 978-2259211215
Dimensions : 20 x 13 x 5,4 cm

 Dictionnaire amoureux du crime

Un dictionnaire amoureux du crime, il fallait oser ! C’est ce que vient de faire avec talent Alain Bauer, professeur de criminologie, dans la désormais célèbre collection des Dictionnaires amoureux éditée chez Plon. Il ne fallait pas moins de 900 pages pour espérer faire le tour d’un domaine aussi considérable. Car le crime n’est pas réductible à la violence physique. En effet, précise l’auteur dans sa préface, « l’escroquerie, le vol, les trafics, la contrefaçon composent autant d’éléments d’une partition criminelle dont la créativité semble sans limites. » Autant dire qu’un tel dictionnaire donne seulement à voir la partie émergée d’un gigantesque iceberg. Cet iceberg, c’est le crime sous toutes ses coutures qui donne lieu, en l’occurrence, à un vaste choix d’entrées, de « Antigang » (brigade) à « Zampa » (Gaëtan, dit Tany). Fiction et réalité se mélangent allègrement. Films, séries télévisées et personnages romanesques comme Maigret et Arsène Lupin ont donné une dimension supplémentaire à l’éternelle course-poursuite du gendarme et du voleur. A côté de ces personnages romanesques la réalité donne à voir des hommes et des femmes qui n’ont rien à envier à ce que les maîtres des romans les plus noirs n’ont pas toujours osé écrire. La plus fertile imagination aurait-elle conçu les horreurs perpétrées par un Jack l’Eventreur ou, plus proche de nous, par un Michel Fourniret ? La réalité a tôt fait de rattraper la fiction. En matière de férocité, certains serials killers ne le cèdent en rien à Hannibal Lecter, le célèbre psychopathe du Silence des agneaux. A côté de ces personnalités fascinantes et monstrueuses, il faut retenir du livre d’Alain Bauer le poids des grandes organisations criminelles. A côté des sociétés du crime les plus connues comme la Mafia, Cosa Nostra, les Triades chinoises et autres cartels sud-américains, voilà que sont apparues, depuis quelques années, de puissantes organisations tentaculaires. Le MS 13 salvadorien, qui s’est internationalisé, compterait à peu près 50 000 membres dans le monde. Avec la mondialisation, une nouvelle criminalité voit le jour qui va du gang de cité au cyber-terrorisme. Dans le match séculaire qui oppose le crime à la police, il est à craindre que le premier ait toujours un coup d’avance. De l’assassinat d’Abel par Caïn jusqu’au terrorisme d’aujourd’hui, le crime continue de révéler la face la plus sombre de l’âme humaine.

Alain Bauer, Dictionnaire amoureux du Crime, Plon, 2013, 941 pages, 24.50 €