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Recensions Religion

La jeunesse étudiante chrétienne

Broché: 704 pages
Editeur : Cerf (2 décembre 2013)
Collection : HIST RELIGIEUSE
Langue : Français
ISBN-10: 2204095621
ISBN-13: 978-2204095624
Dimensions : 23,6 x 14,6 x 3,8 cm

 La jeunesse étudiante chrétienne

Le gros livre que Bernard Giroux vient de publier sur la jeunesse étudiante chrétienne (JEC) constitue ce qui se fait de mieux dans le genre : style agréable, sérieux de la recherche, variété des sources… Le caractère complet de cette étude monumentale ravira non seulement les personnes intéressées par l’histoire religieuse au XX° siècle, mais également celles et ceux qui sont nostalgiques de cette époque. De nos jours, on peine à imaginer ce qu’était le catholicisme de ces années 1930-1970, riche d’hommes de talent, intellectuellement chevronnés, spirituellement actifs.

Au début, l’auteur place la JEC dans le contexte global de l’Action catholique spécialisée qui, écrit-il, « est née du constat que les conditions de vie issues de la modernité constituaient un obstacle à la réception du message évangélique » (p. 149). Puis, au fil des pages, Bernard Giroux nous entraîne dans les méandres pas toujours tranquilles de l’évolution du mouvement, avec ses joies, ses heurts et malheurs. Les crises ponctuelles n’épargnent pas le mouvement, que ce soit au sein des équipes dirigeantes successives comme dans ses rapports avec la hiérarchie ecclésiale. Au fil des années, jusqu’aux années 1965-1975, les tensions se renforcent. Une majorité d’évêques ne comprend plus un mouvement qui prend ses aises avec la doctrine et les positions du Magistère. Quant aux jécistes, nombre d’entre eux mettent leur foi sur le fil du rasoir par leur approche irénique et toute en empathie de la doxa de l’époque. Ils sont nombreux à se sentir attirés par les sirènes du féminisme, du marxisme ou du structuralisme. Avec doigté, Bernard Giroux pointe l’ensemble de ses soubresauts, cherchant à chaque fois à en analyser les causes et les effets. Le souci pédagogique de l’auteur, constant d’un bout à l’autre du livre, aidera le non-initié à comprendre l’essor et le déclin d’un mouvement qui aura généré de multiples vocations, ecclésiales, intellectuelles, syndicales et politiques, comme René Rémond, Claude Dagens, Jean Boissonnat, Henri Nallet ou, plus près de nous, Marie Bové.

En lisant l’enquête réalisée auprès d’anciens membres de la JEC, qui conclut l’ouvrage, comment ne pas s’empêcher de penser que, en dépit des fautes commises, la JEC s’est avérée une belle école de formation ? Ce que l’on peut dire, du reste, pour la plupart des mouvements d’Action catholique spécialisée.

 

Bernard Giroux, La jeunesse étudiante chrétienne, Le Cerf, 2013, 694 pages, 46,50 €

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Recensions

L’affaire Richard Millet : Critique de la bien-pensance

Broché: 265 pages
Editeur : Jacob Duvernet (31 octobre 2013)
Langue : Français
ISBN-10: 2847244697
ISBN-13: 978-2847244694
Dimensions : 21,8 x 14 x 2,4 cm

 L’affaire Richard Millet

En 2012, un coup de tonnerre retentissait dans le ciel de l’édition. Richard Millet, essayiste et romancier, membre éminent du comité de lecture de Gallimard, publiait un petit texte destiné à faire du bruit dans le landerneau germanopratin : Eloge littéraire d’Anders Breivik. Aussitôt le livre paru l’auteur était cloué au pilori par les tenants de la bien-pensance qui, à force de pétitions, obtenaient le renvoi de son auteur de chez Gallimard, le condamnant à la mort sociale. En publiant ce petit texte, Richard Millet ne donnait-il pas le sentiment de trouver quelque excuse à l’acte monstrueux du tueur norvégien d’Utoya, exécuteur de sang-froid de 80 quelque jeunes Norvégiens ? Sans approuver le crime – quand même ! -, Millet ne laissait-il pas supposer, avec un titre aussi ambigu, que le geste fou de Breivik s’accompagnait d’une sorte de beauté formelle, d’une esthétique dans l’horreur ? En fait, aux yeux de l’écrivain, cette tuerie constituait un aboutissement logique. L’Europe est tellement ouverte aux quatre vents qu’il ne faut pas s’étonner si certains, fragiles, se mettent en fureur devant ce qu’ils considèrent comme d’insupportables agressions. Anders Breivik constitue la pointe paroxystique d’une population qui refuse sa conversion « en petit-bourgeois métissé, mondialisé et multiculturel, inculte, social-démocrate ». (p. 14)

De tout cela, écrit Muriel de Renvergé, on aurait pu discuter. Le problème, c’est que l’affaire Richard Millet aura réveillé de mauvais instincts, ceux d’une classe médiatique prompte à s’en prendre violemment à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, n’entrent pas dans les limites qu’elle a elle-même fixées. Que des écrivains pétitionnent pour obtenir la tête d’un des leurs, le priver de son emploi, voilà une chose que l’on croyait révolue depuis 1945. Dans le massacre d’Utoya, R. Millet ne voit rien d’autre qu’une « évolution mortifère de la société occidentale contemporaine ». Mais de cela on n’a pas le droit de parler. On condamne sans jamais aborder le fond du sujet. Pour Muriel de Renvergé, cette affaire est grave car elle tend à accroire l’idée que dans la France de ce début de siècle on ne lit plus, on ne débat plus, on met à terre. R. Millet aurait certainement souhaité qu’on puisse débattre d’un sujet de fond qui renvoie à l’avenir et à l’identité de l’Europe. Il ne critique pas l’immigré extra-européen et sa culture, c’est l’angoisse d’une Europe culturellement exsangue, hébétée par la consommation à outrance, qui le hante. L’horreur qu’il voit advenir, « c’est la conjonction d’une fatigue culturelle et de l’économie de marché. ». Voilà qui vaut débat !

Muriel de Renvergé, L’affaire Richard Millet : Critique de la bien-pensance, 2013, Editions Jacob-Duvernet, 266 pages, 20 €

 

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Histoire Recensions

De la guerre en Amérique

Broché: 350 pages
Editeur : PERRIN (22 août 2013)
Collection : Tempus
Langue : Français
ISBN-10: 2262042721
ISBN-13: 978-2262042721
Dimensions : 17,2 x 10,8 x 4,2 cm

 De la guerre en Amérique

Il existe bien une exception américaine ! Thomas Rabino, dans cet éclairant essai, en donne d’éclatantes preuves. L’ouvrage, dont le titre est un clin d’œil à Tocqueville et à sa Démocratie en Amérique, postule l’idée que la culture de guerre fait partie de l’identité des Etats-Unis. Ceux-ci constituent l’exemple rare, voire unique, d’un pays libre et démocratique qui a élevé la culture des armes à un niveau rarement atteint. Que les Américains aient pris les armes pour acquérir leur indépendance lors de la seconde moitié du XVIII° siècle, soit ! Qu’ils se soient constitués en « arsenal des démocraties » pour abattre le nazisme et le fascisme, cela se conçoit aussi. Par contre, qu’après la Seconde Guerre mondiale ils aient été impliqués dans autant de guerres est plus surprenant. Mieux, c’est la seule démocratie à faire de la force militaire le fondement essentiel de sa puissance. Alors que l’Europe désarme, les Etats-Unis ne cessent d’augmenter leur budget militaire. Ce sont leurs bases et leurs porte-avions qui leur permettent de peser d’un tel poids dans les affaires du monde. Cette force est alimentée par des lobbies, un appareil militaro-industriel énorme et un patriotisme farouche. Les attentats du 11-Septembre ont permis de voir à quel point ce pays était atteint de fièvre guerrière. Dans cet essai percutant, Thomas Rabino dissèque les fondements de la culture de guerre propre à cette belliqueuse nation. Les multiples guerres dans lesquelles le pays a été engagé ainsi que la crainte de la menace terroriste ont sanctuarisé le territoire. Des médias peu objectifs créent une psychose propre à maintenir en armes un pays déjà envahi par quelque 300 millions d’armes individuels. Un patriotisme exacerbé tait toute tentative de s’opposer à cette sacralisation de la guerre. Quant aux opposants, comme le rappelle à satiété l’auteur, ils sont contraints à faire profil bas. L’inclination pour la guerre, et c’est le plus inquiétant, tient pour une grande part à une esthétisation de la violence, à un culte des engins de mort qui, parfois, n’est pas sans rappeler ce qui se passait dans les totalitarismes du XX° siècle. Mais, en l’occurrence, c’est l’appareil démocratique, vocabulaire et structures en tête, qui mène le bal des faux derches.

Toutefois, la conclusion de Thomas Rabino soulève quelque espoir de détente. Les avanies subies à l’extérieur (Irak) et sur son propre sol (la mauvaise gestion de l’ouragan Katrina) imposent de la modération. Il ne faudrait pas que, par un malsain retour de balancier, qu’interventionnistes à tout prix les USA redeviennent ce qu’ils ont été à un moment donné, des isolationnistes frileux.

 

Thomas Rabino, De la guerre en Amérique, Tempus, 2013, 751 pages, 12€

 

 

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Actualités Recensions

L’identité malheureuse

Broché: 240 pages
Editeur : Stock (9 octobre 2013)
Collection : Essais – Documents
Langue : Français
ISBN-10: 2234073367
ISBN-13: 978-2234073364
Dimensions : 21,4 x 13,6 x 2,8 cm

 L’identité malheureuse

Contrairement à ce qu’un certain déballage médiatique aurait pu faire croire, le dernier livre d’Alain Finkielkraut n’a rien d’une charge contre l’islam ou les banlieues. Il est loin d’être, comme on a pu le lire avec effarement dans un hebdomadaire national, un ramassis de propos de café du commerce. La plumitive qui a écrit cette bêtise connaît-elle Hume, Hobbes, Pascal et les autres philosophes et écrivains convoqués par l’auteur ? Il y a des polémiques qui ne font pas honneur à ceux qui les lancent, mais passons…

A partir de l’affaire du foulard de Creil en 1989, A. Finkielkraut s’interroge sur le présent et l’avenir du pays, plus précisément sur la modalité française de la civilisation européenne. A l’heure de la mondialisation, de l’arasement des frontières, que devient l’identité de la France ? Convoquant historiens, philosophes et écrivains, l’auteur du Mécontemporain se penche avec passion sur un pays où le vivre-ensemble ne va plus de soi. Que nous est-il arrivé ? Quel mauvais génie nous a-t-il entraîné dans une société atomisée, déculturée, où les anciens marqueurs, autrefois unanimement acceptés, ne font plus référence ? L’auteur commence sa réflexion par l’affaire du collège de Creil, lorsque deux adolescentes se voient refuser l’accès du collège pour port d’un foulard islamique. C’est de là qu’est parti le débat qui a vu la France refuser le voile islamique et, de façon plus générale, les signes d’appartenance ostentatoires ? Ce ne sont pas des critères religieux qui ont conduit à l’interdiction, mais la compréhension historique de ce qu’est l’identité de la France, une nation qui a porté au pinacle l’amour courtois, la galanterie et la littérature. La modernité, via ses composantes essentielles que sont la globalisation et l’immigration, est en train d’anéantir l’effort patient et obstiné des anciens. Plus grave, « pour la première fois dans l’histoire de l’immigration, l’accueilli refuse à l’accueillant la faculté d’incarner le pays d’accueil » (p. 115), d’où l’irruption des repentances et de la glorification des minorités. Que devient alors le droit de la majorité, son histoire, sa capacité à incarner l’essence d’une nation ? A l’heure de la bigarrure universelle on ne le sait plus trop, d’autant que ce qui était autrefois chargé de donner un sentiment commun, comme l’Ecole et la Famille, est en panne. Bref, à l’instar de Péguy, A. Finkielkraut, ne pouvant s’empêcher de voir ce qu’il voit, en tire des conclusions pessimistes. Avons-nous encore le choix ? Si on ne l’a plus, il ne nous reste plus qu’à accompagner « une transformation démographique qui n’a donné lieu à aucun débat, qui n’a même été décidée par personne » (p. 214) ; de quoi alimenter un peu plus cette « identité malheureuse ».

 

Alain Finkielkraut, L’identité malheureuse, Stock, 2013, 229 pages, 19.50€

 

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Histoire Recensions

La guerre Iran-Irak (1980-1988) : Première guerre du Golfe

Broché: 604 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (12 septembre 2013)
Langue : Français
ISBN-10: 2262041954
ISBN-13: 978-2262041953
Dimensions : 23,8 x 15,4 x 4,4 cm

 La guerre Iran-Irak (1980-1988) : Première guerre du Golfe

Dernière grande guerre du XX° siècle, la Première guerre du Golfe (1980-1988) a causé la mort d’environ 700 000 personnes, des soldats pour la plupart. Il était donc plus que bienvenu qu’un spécialiste s’empare de ce sujet. C’est désormais chose faite ! Pierre Razoux, déjà auteur d’un ouvrage remarquable consacré à l’Armée israélienne, éclaire ce conflit avec un luxe de détails assez impressionnant, surtout au plan militaire. A ce titre, cette guerre apparaît bien pour ce qu’elle fut, une guerre totale, une guerre du XX° siècle où chacun compte ses troupes : nombre de divisions, de chars, d’avions et de navires. Sommaire au début, la stratégie s’affine avec les années. L’armée irakienne, souvent sur la défensive, se professionnalise alors que l’iranienne, plus chichement dotée en armes, fait peser sur son ennemi un potentiel humain nettement supérieur. Dans cette lutte à mort il ne pouvait y avoir de vainqueur net et si l’Irak fut, à la fin, déclaré gagnant, il s’agissait d’une victoire à la Pyrrhus. L’auteur ne pouvait taire les conséquences économiques d’un conflit qui a pesé lourdement sur l’économie mondiale, sept ans après le brusque renchérissement du prix du pétrole décidé par l’OPEP. Autour d’une guerre totale l’auteur donne un livre s’intéressant à tous les aspects de cet affrontement. Il n’oublie pas de relater les affaires qui empoisonnèrent la vie démocratique en Occident comme l’affaire Gordji en France ou l’aide aux contras nicaraguayens tirée de la vente d’armes à l’Iran par des firmes américaines. L’argent n’ayant pas d’odeur, il est stupéfiant de voir combien un nombre impressionnant de pays, attiré par l’appât du gain, ont commercé à qui mieux mieux avec l’Iran et l’Irak qui n’étaient pas, c’est le moins qu’on puisse dire, des parangons de vertus.

Tout en donnant un luxe de détails, surtout s’agissant des armements utilisés, Pierre Razoux place ce conflit dans une perspective plus générale qui est la configuration du Proche et du Moyen-Orient, minés par les conflits nationaux et religieux. Pierre Razoux n’oublie pas, évidemment, de s’emparer des conséquences que le conflit a générées sur les économies régionales et l’économie mondiale, notamment en matière de prix pétrolier. Tout en convenant que l’ouvrage s’intéresse d’abord à l’aspect militaire du conflit, c’est probablement ce que l’on a fait de mieux en France à ce jour.

 

Pierre Razoux, La guerre Iran – Irak, Perrin, 2013, 604 pages, 27 €

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Recensions Religion

Les Eglises, les religions et la Shoah

Broché: 358 pages
Editeur : Cerf (7 mars 2013)
Collection : Histoire
Langue : Français
ISBN-10: 2204098558
ISBN-13: 978-2204098557
Dimensions : 23,4 x 14,4 x 2,8 cm

 Les Eglises, les religions et la Shoah

Les rapports des Eglises avec le nazisme et la Solution finale n’ont pas fini de faire couler beaucoup d’encre. Les Eglises, les religions et la Shoah est un livre qui permet de s’interroger à frais nouveaux sur la complexité de ces relations. Sous la plume de divers contributeurs, quantité de problèmes historiques sont abordés : la sempiternelle question des silence de Pie XII face à l’extermination des juifs d’Europe, la position des Eglises en Allemagne devant la persécution des juifs, le silence de Dieu dans les camps et son retrait face à l’indicible… A côté de ces questions torturantes d’autres apports pointent toutes ces lumières qui ne vacillaient pas dans la nuit qu’a connue l’Europe de cette époque. Le sauvetage des juifs à Marseille, l’aventure héroïque de jeunes chrétiens allemands au sein de La Rose blanche et l’histoire héroïque du P. Jacques de Jésus, dont le procès en béatification vient de commencer, montrent qu’amour et miséricorde n’avaient pas complètement capitulé. Tout était compliqué et souvent injuste dans l’Europe de ces années noires. Certains articles montrent combien le déchaînement des événements avait éclipsé la question de Dieu. Rares, par exemple, furent les manifestations de la foi dans les camps. Les déportés étaient tellement obsédés par leur survie que la question n’avait pour eux aucun objet. Cette constatation amène inévitablement à s’interroger sur le silence de Dieu à Auschwitz, sur la façon dont on peut concevoir Sa toute-puissance et l’infini de son amour après cette expérience d’horreur et de déréliction.

Le lecteur ressortira difficilement indemne de la lecture d’un tel ouvrage. La foi, juive ou chrétienne, n’est pas sortie grandie de l’horreur des camps et de la Shoah. Doit-on voir ici une quelconque victoire posthume du nazisme, lui qui voulait éradiquer judaïsme et christianisme pour une religion de « croyants-en-dieu », c’est-à-dire d’adeptes d’un culte mêlant au sein d’une même bouillie philosophico-religieuse le culte du chef et la mythologie nordique ? Les Eglises, les religions et la Shoah n’est pas qu’un livre d’histoire, il est aussi porteur de leçons pour aujourd’hui. En ces temps qui voient l’évanouissement des normes morales au profit de la technique et du marché, l’apprentissage d’une histoire aussi dramatique que celle de la Shoah ne peut être que profitable.

 

Renée Dray-Bensousan (sous la direction de), Les Eglises, les religions et la Shoah, Le Cerf, 2013, 358 pages, 22 €

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Histoire Recensions

1915 : L’enlisement

Broché: 388 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (17 octobre 2013)
Langue : Français
ISBN-10: 2262030359
ISBN-13: 978-2262030353
Dimensions : 21 x 14,2 x 3,6 cm

 1915 : L’enlisement

Des cinq années que couvre la Première Guerre mondiale, l’année 1915 est probablement la moins connue. 1914, c’est la bataille de la Marne ; 1916, Verdun ; 1917, le Chemin de Dames ; 1918, l’année de la victoire. Dans l’imaginaire collectif, la deuxième année de la guerre ne fait référence à aucun épisode majeur, comme si le front s’était totalement figé dans la boue des tranchées. Comme le sous-titre de l’ouvrage l’indique, si 1915 est synonyme d’enlisement, ce n’est pas que rien ne se soit passé ; au contraire, le Front de l’Ouest a connu deux offensives françaises majeures, en Artois et en Champagne. L’Etat-Major n’envisage qu’une guerre courte. Il faut donc forcer la décision. Celle-ci se fera par des poussées partielles sur telle ou telle partie du front et par des offensives de grand style. Dans l’esprit de Joffre, le généralissime des Armées françaises, cette stratégie vise à grignoter l’ennemi, lui infliger des pertes telles qu’il se résolve à la paix. N’étaient justement ces pertes, on pourrait rire de ces manœuvres de gribouille qui affaiblissaient infiniment plus l’attaquant que le défenseur. Face aux mitrailleuses allemande, le sacrifice de l’infanterie française fut totalement vain : plus de 300 000 morts pour récupérer quelques kilomètres carrés, gain dérisoire au regard des pertes. Ces échecs attestaient la faillite d’états-majors ineptes parce qu’adeptes d’offensives à outrance tournant toujours à la boucherie. Dès lors, on ne pouvait plus l’ignorer : la guerre allait durer.

Servi par un remarquable esprit de synthèse, Jean-Yves Le Naour décrit tous les aspects d’un temps indissociable de la guerre : la vie aux armées et à l’arrière, le jeu politique, les luttes de faction entre militaires, la mutation industrielle, la guerre à l’Est et en Orient… Dans cette vaste fresque, l’auteur pointe particulièrement la médiocrité de généraux – Joffre le tout premier – qui ne comprennent pas que le courage ne vaut rien face à la mitraille. Le malheur est que les militaires imposent leurs vues criminelles à une classe politique atone de laquelle se sont retranchés les plus lucides comme Clemenceau. Quant à l’Union Sacrée, Jean-Yves Le Naour la décrit davantage comme un pis-aller que comme un choix mûrement accompli et ardemment désiré.

Couvrant tous les aspects du conflit, 1915 éclaire de façon convaincante une année triste et méconnue.

 
Jean-Yves Le Naour, 1915, L’enlisement, Perrin, 2013, 388 pages, 23 €

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Actualités Recensions

La tyrannie médiatique

Broché: 380 pages
Editeur : Via Romana (14 février 2013)
Langue : Français
ISBN-13: 979-1090029408
ASIN: B009LGEANM
Dimensions : 20,4 x 13,6 x 3,4 cm

 La tyrannie médiatique

Jamais les médias n’ont eu autant de pouvoir et d’influence. Ils sont partout, faisant la loi, disant le bien et le mal, posant ici des interdits, autorisant là des libertés… Mais, au juste, sont-ils aussi libres et indépendants qu’ils le proclament et quelle est leur vraie nature ? Jean-Yves Le Gallou a son avis sur la question et c’est d’une manière tranchée qu’il l’annonce dans ce livre passionnant. Voilà des années qu’il s’interroge sur le robinet d’eau tiède que sont devenus les grands médias. Comment se fait-il que tous tiennent le même discours à peu de choses près ?

Est-ce un hasard si beaucoup donnent l’impression de promouvoir un monde « d’individus sans racines et de sociétés sans frontières » (p. 10) ? Des plaies dont souffrent les médias il faut en retenir trois. Réduisant leur emploi à de la simple communication, ils ont trahi leur fonction première qui est d’informer honnêtement. Or, la communication ressemble plus à de la propagande qu’à l’exposé d’une situation avec ce qu’il suppose de prudence et de mesure. Assujettis à la présence quasi-obsédante de la publicité, les grands médias sont tombés sous la coupe des financiers. Pour ces derniers, seule compte la rentabilité ; en conséquence, l’information n’est plus que l’habillage d’une manipulation visant à faire de l’usager un consommateur lobotomisé. Enfin, le conformisme des journalistes est tel que le discours politiquement correct est un passage obligé, toute attitude non conformiste étant de nature à être payée comptant.
Pour donner du poids à son propos, Jean-Yves Le Gallou multiplie les exemples… consternants pour des médias qui se flattent, le cœur sur la main, de donner une information de qualité. Manipulations et bobards sont légion, tout un vocabulaire – une novlangue – est fabriqué pour maintenir le citoyen en état d’hébétude et la « bien-pensance » coule à flots dans un monde en noir et blanc. Pour l’auteur, un tel état des lieux dit beaucoup des dangers qui planent sur l’exercice de la démocratie. En effet, écrit-il, pour être pleinement en démocratie, « encore faut-il que le peuple soit loyalement informé, que sa capacité de réflexion soit cultivée, qu’une pluralité de choix politiques lui soit offerte et équitablement présentée. Aucune de ces quatre conditions n’est aujourd’hui remplie en France » (p. 196). Que faire pour préserver le corps social de ce déluge de désinformations ? Pragmatique, Jean-Yves Le Gallou livre à la fin de son ouvrage les outils utiles à une nécessaire ré-information.

Jean-Yves Le Gallou, La tyrannie médiatique, Via Romana, 2013, 379 pages, 23 €