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Histoire Recensions

La victoire taboue

Broché: 192 pages
Editeur : Editions Toucan (14 mars 2012)
Collection : TOUC.ENQUETES
Langue : Français
ISBN-10: 2810004722
ISBN-13: 978-2810004720
Dimensions : 22,2 x 14 x 3,2 cm

 La victoire taboue

A l’occasion de ce que l’on appelle pudiquement les « événements », les historiens n’ont pas lésiné : nombreux sont les livres à traiter de la guerre d’Algérie (1954-1962). C’est en tant que spécialiste de l’Armée française que Christophe Dutrône se met de la partie. « La victoire taboue », c’est une victoire dont on n’ose pas ou peu parler. « Victoire », elle l’est assurément tant l’Armée française fut supérieure à l’ALN, l’Armée de Libération Nationale, bras armé du Front de Libération National algérien. « Taboue », elle l’est aussi car l’esprit de repentance a obscurci la faculté de jugement. On en est au point où la République n’ose plus fêter nos plus grandes victoires. En 2005, la délégation qui se rendit en Moravie fêter le triomphe d’Austerlitz fut des plus squelettiques. En ces temps où l’on a presque honte d’être soi-même, certains préfèrent raser les murs. Que l’on pense ici au mot d’Emmanuel Berl : « Nous nous reprochons d’avoir bâti Casablanca alors que les Romains étaient tout fiers d’avoir détruit Carthage ».
C. Dutrône livre une histoire limpide et très honnête de la guerre d’Algérie, une synthèse quasi parfaite. On peut toutefois trouver à redire à propos d’un titre qui induit en erreur. « La victoire tactique de l’Armée française », sous-titre de l’ouvrage, n’apparaît guère et les événements politiques y ont une part très importante. C’est donner à penser que l’outil militaire fut tout juste à la hauteur des ambitions des états-majors. Or, les deux divisions de parachutistes et la Légion, présentes en Algérie, ont montré de façon décisive que les leçons de la guerre d’Indochine avaient été intelligemment tirées. Un historien suédois a écrit récemment que l’Armée française disposait à l’époque de professionnels sans équivalent dans les autres armées. On aurait aimé que C. Dutrône mît davantage en avant cette supériorité.
L’auteur conclut comme il le fallait. Si l’attitude du Général de Gaulle a justement suscité l’incompréhension, voire l’indignation, il avait raison au regard de l’histoire. Que serait devenu notre pays si l’intégration avait l’emporté ? Comment aurions-nous résisté au déferlement de ces nouveaux Français, étrangers à notre culture et à la démographie galopante ? Fallait-il conserver l’Algérie ? « L’évidence, tout comme le bon sens, amenèrent Charles de Gaulle à répondre par la négative » (p. 188).

Christophe Dutrône, La victoire taboue, Editions du Toucan, 2012, 188 pages, 16,15 €

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Recensions Témoignages

La dernière frontière

Broché: 368 pages
Editeur : Souffles (26 novembre 2009)
Collection : Arbres de chair
Langue : Français
ISBN-10: 2876580802
ISBN-13: 978-2876580800
Dimensions : 18,8 x 14,2 x 2,6 cm

 La dernière frontière

Le public français connaît bien Jack London, un peu moins James Oliver Curwood, pas du tout Grey Owl (« Hibou gris »). Pour une grande part, ce désintérêt est de la faute de ce dernier. Après tout, ne l’a-t-il pas cherché lui qui, longtemps, s’est fait passer pour ce qu’il n’était pas ? Lorsqu’il se fait connaître au monde en publiant ses premiers livres, dans les années 1920 – 1930, tout le monde croit qu’il s’agit d’un Indien possédant des lettres. S’il possède le physique de l’Indien, Grey Owl n’est autre qu’Archibald Belaney, né en 1888, un Anglais fasciné depuis sa tendre enfance par les étendues vierges. A 17 ans, A. Belaney quitte l’Europe pour le Grand Nord canadien.

Tour à tour trappeur, guide et garde forestier, il devient un amoureux fou du grand désert blanc. Converti à l’écologie, frappé par les déprédations qu’opère la civilisation sur ces espaces préservés, angoissé devant l’avenir de tribus indiennes happées par la civilisation moderne, Grey Owl destine la dernière partie de sa vie à une croisade en faveur de la préservation des solitudes glacées. Que ce soit dans La dernière frontière ou Les récits de la cabane abandonnée, il y a toujours cet amour passionné des grands espaces, le respect dû aux Indiens, la sauvegarde de la faune et de la flore.  La dernière frontière constitue le récit sobre, autobiographique, d’une vie consacrée à un mode de vie, celui des Indiens et des premiers trappeurs, des gens qui, lors des périodes de chasse, ne prélevaient que ce qui était nécessaire. Grey Owl n’a pas de mots assez durs à l’égard de ceux qu’il appelle les sportmen, citadins faisant de ces grandes étendues un immense terrain de jeu et de chasse et qui prélèvent sur la faune plus que leur comptant. Pareil pour ceux qui arrivent attirés par le seul appât du gain : « Le progrès laisse ici, partout où il passe, des ruines », s’insurge G. Owl. S’il n’a pas le style puissant de J. London, Grey Owl est néanmoins un superbe écrivain. L’amour de la nature vierge a fait de lui un poète. Certaines pages de La dernière frontière laissent une impression ineffable. A l’heure où les grands équilibres environnementaux sont plus que jamais en péril, il faut lire Grey Owl : les leçons de vie qu’il procure sont à méditer. Puissions-nous, alors que tant d’espèces animales sont menacées, être pris du sentiment qui le saisit lorsque, lors d’une chasse, il se retient de tirer sur un castor : « Il me sembla que toute la nature me respectait d’avoir respecté son sanctuaire, de n’avoir pas profané cette heure bénie et parfaite » (p. 219).

Grey Owl, La dernière frontière, Souffles, 2009, 366 pages, 22 €

 

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Biographies Recensions

Franklin D. Roosevelt

Broché: 575 pages
Editeur : Editions Tallandier (25 octobre 2012)
Collection : Biographie
Langue : Français
ISBN-10: 2847347348
ISBN-13: 978-2847347340
Dimensions : 22,6 x 16,4 x 3,4 cm

 Franklin D. Roosevelt

Des Trois Grands qui ont gagné le dernier conflit mondial, Franklin Delano Roosevelt est sans doute le moins connu. La personnalité géniale et fantasque de Churchill a fait couler beaucoup d’encre. Il en est allé de même pour celle, diabolique et fascinante, de Staline. Roosevelt apparaît beaucoup plus comme la figure d’un « président normal » pour reprendre une expression qui a cours ces temps-ci.

Or, derrière une personnalité à première vue terne et anodine c’est un véritable homme d’Etat qui apparaît. Cousin éloigné du président Theodore Roosevelt, issu d’un milieu bourgeois, auteur d’un parcours scolaire et étudiant assez moyen, Franklin D. Roosevelt se prend d’intérêt pour la politique dès le début de sa vie d’adulte. L’ascension est spectaculaire : sénateur à l’âge de 28 ans, secrétaire adjoint à la Marine durant la Première Guerre mondiale, gouverneur de l’Etat de New-York en 1929, il est choisi comme candidat démocrate aux élections présidentielles de 1932. Il y sera réélu trois fois jusqu’à sa mort en 1945. Grâce à une politique novatrice il sort le pays de la Grande Dépression. Conscient de la puissante des Etats-Unis, il les dégage de l’isolationnisme dans lequel la plupart de ses prédécesseurs avaient voulu le confiner. C’est un combat à mort qu’il engage contre le Japon expansionniste et l’Allemagne nazie. Jamais il ne faiblira dans la conduite de la guerre, exigeant du III° Reich une capitulation sans condition.

Esprit religieux, profondément démocrate, soucieux de voir flotter partout l’étendard de la liberté, Roosevelt ne fit pas toujours l’unanimité. Initiateur du projet visant à donner aux Etats-Unis l’arme atomique, il lui fut également reproché d’avoir tardé à reconnaître l’ampleur du génocide dont les juifs furent victimes. De même, nombreux critiquèrent sa naïveté et sa conduite des affaires face à un Staline aux ambitions démesurées. Il n’empêche, ce qui apparaît parfois comme un certain cynisme chez Roosevelt ne peut cacher l’essentiel : Roosevelt fut un homme quasi-providentiel. Il possédait ce qui faisait défaut à beaucoup d’hommes politiques : une vision claire des grands problèmes du temps. La biographie d’Yves-Marie Péréon, toujours riche d’enseignements, contribue grandement à nous remémorer les talents de cette grande figure du XX° siècle.

Yves-Marie Péréon, Franklin D. Roosevelt, Tallandier, 2012, 576 pages, 27 €

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Mémoires Recensions

Mémoire vive

Broché: 330 pages
Editeur : Editions de Fallois (2 mai 2012)
Collection : LITTERATURE
Langue : Français
ISBN-10: 2877067939
ISBN-13: 978-2877067935
Dimensions : 22,4 x 15,4 x 3 cm

 Mémoire vive

Agitateur d’idées, Alain de Benoist s’est affirmé, en une quarantaine d’années, comme la tête pensante du mouvement appelé la Nouvelle Droite. Cette autobiographie, née d’entretiens avec François Bousquet, éclaire plus l’idéologue, féru d’histoire, de philosophie, d’économie, de littérature, de sciences sociales, etc. que la personne. Homme de bureau, travailleur de l’ombre, Alain de Benoist n’aime guère parler de lui. En revanche, les idées, c’est sa vie. Bourreau de travail, s’astreignant à une discipline rigoureuse, curieux de tout, possesseur d’une bibliothèque de quelque 200 000 livres, Alain de Benoist est sur tous les fronts intellectuels. Mais, à son regret, il est davantage connu comme figure de proue du mouvement appelé la Nouvelle Droite que pour ses publications, toutes de haut niveau. L’appellation « Nouvelle Droite », lancée par des revues comme Eléments ou Nouvelle Ecole, n’a absolument rien à voir avec les catégories politiques en vigueur. Il y a longtemps que l’idéologie de la Nouvelle Droite a fait sauter les clivages et il n’est pas rare de trouver sous la plume d’Alain de Benoist des références à des auteurs classés à  gauche comme Georges Sorel et Claude Lévi-Strauss.

Si vous n’avez aucun penchant pour le débat d’idées, passez votre chemin. Si, en revanche, vous avez quelque inclination pour la controverse et la culture de haut niveau, alors il faut lire cette Mémoire vive. Si l’on met de côté le côté anti-chrétien de son œuvre – mais qui est, reconnaissons-le, autrement mieux charpenté et intelligent que celui d’Onfray -, difficile de ne pas être subjugué par une œuvre d’une telle ampleur, une œuvre qui couvre maints champs de savoir et qui donne l’impression d’un auteur monstre d’érudition. Un savoir véritablement encyclopédique mis au service d’une redoutable intelligence.

Comme il fallait s’y attendre, la conclusion ne pousse pas à l’optimisme. A l’instar de nombreux penseurs contemporains, A. de Benoist ne se reconnaît pas dans une époque qui porte au pinacle tant de fausses valeurs : « On est passé du culte des héros au culte des victimes, de l’honneur au consumérisme : la victimologie ambiante et en parfaite consonance avec le narcissisme et l’exhibitionnisme actuels. » (p. 308). Réservé à des lecteurs avertis, cette Mémoire vive constitue au final une excellente synthèse de la vie intellectuelle en France durant ces quarante dernières années.

Alain de Benoist, Mémoire vive, Editions de Fallois, 2012, 330 pages, 22 €

 

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Actualités Recensions

Ils ont tué l’histoire-géo

Broché: 143 pages
Editeur : François Bourin Editeur (22 août 2012)
Collection : EDUCATION
Langue : Français
ISBN-10: 2849413348
ISBN-13: 978-2849413340
Dimensions : 20,8 x 13 x 1,2 cm

 Ils ont tué l’histoire-géo

Le constat est accablant : l’histoire-géo a été, durant ces dernières décennies, dépecée, liquidée, anéantie. Rares sont les jours où l’on n’a pas l’occasion de constater les résultats de cette mise en pièces délibérée. Le constat est là, navrant, désolant : élèves et étudiants ignorant toute chronologie, politiciens méconnaissant presque tout du roman national, journalistes se réfugiant dans l’à peu près… Aurait-on voulu liquider l’enseignement de l’histoire-géo que l’on ne s’y serait pas pris autrement ! A force de compromis et de reculades, la matière est devenue un parent pauvre dans les horaires de collèges et lycées. La mise à l’encan de la culture générale, y compris dans les lieux d’excellence comme Sciences Politiques et la disparition provisoire de l’histoire-géo en terminale scientifique signalent la fin de tout un pan des humanités classiques. Agrégé d’histoire, ancien professeur, Laurent Wetzel fait la liste des errements et lâchetés qui ont signé la mort de l’histoire-géo. Il rappelle le concours d’agrégation d’histoire de 2011 où, à la barbe des inspecteurs de l’Education Nationale, les candidats ont été amenés à commenter un faux document. Une telle erreur, impossible autrefois, a tendance à devenir monnaie courante, ce qui tend à prouver qu’il n’y a pas que chez les collégiens, lycéens et étudiants que le niveau baisse.

Laurent Wetzel ne nous épargne rien : ni ces manuels truffés d’erreurs, ni ces propos de tel ou tel responsable politique étalant niaisement son inculture, non plus que le jargon pitoyable des soi-disant experts accrédités par l’Education Nationale, pédagogues de tous poils qui s’ingénient depuis des décennies à détruire le legs du passé. Après cela, faut-il s’étonner de constater qu’un élève de terminale en sache moins qu’un enfant de 12 ans passant autrefois son certificat d’études ? Malgré ce constat déprimant, on aimerait alléguer, à l’endroit des responsables, des circonstances atténuantes comme l’hétérogénéité des classes. Il n’en est hélas rien. Aussi le constat de l’auteur est-il sans appel : « Cette destruction est le résultat de toutes les politiques et de toutes les réformes menées par tous les gouvernements depuis la fin des années 1960. » On bassine les Français à longueur de journée sur la nécessité de la citoyenneté, mais si on ne leur donne plus ce bagage minimal dont fait partie l’histoire-géo, alors c’est sûr, ils auront de plus en plus de mal à se sentir citoyens.

Laurent Wetzel, Ils ont tué l’histoire-géo, François Bourin Editeur, 2012, 147 pages, 18 €

 

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Biographies Recensions

Lénine

Broché: 576 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (30 août 2012)
Langue : Français
ISBN-10: 2262034540
ISBN-13: 978-2262034542
Dimensions : 23,8 x 15,4 x 3,8 cm

 Lénine

Il y a deux ans, Robert Service nous avait gratifiés d’une remarquable biographie de Trotski. L’historien britannique récidive avec, cette fois, une vie de Lénine. Paru il y a douze ans, traduit récemment en France, le livre révèle une qualité d’écriture et un sérieux de la recherche qui font de cette biographie ce qu’il y a de mieux en la matière. Nombre de vies de Lénine ont été publiées avant celle-ci, néanmoins, depuis que les archives du régime soviétique sont ouvertes aux historiens, on en sait un peu plus de la personnalité du maître de la Russie soviétique de fin 1917 à 1924, et de la politique qu’il a menée. La première éclaire de près la seconde et le livre de Robert Service fait apparaître un tempérament hors du commun.

Né dans une famille bourgeoise, élève doué, Vladimir Illich Oulianov ne tarde pas à se passionner pour la politique. A l’image de son frère Alexandre, exécuté pour rébellion, il poursuit une idée fixe : chasser les Romanov et instaurer un Etat communiste. Toute sa jeunesse est marquée par l’errance – Paris, Londres, Berne et Zurich… – et le triomphe de ses idées prend un temps considérable. Longtemps il n’est, chez les bolcheviks, qu’une sorte de primus inter pares et le groupuscule dont il se targue d’être le chef ressemble plus à un panier de crabes, avec ce qu’il faut de jalousies et d’ambitions insatisfaites, qu’à l’avant-garde du prolétariat. Avant de faire tomber le régime, il lui faudra du temps pour devenir maître chez lui. L’auteur montre à satiété combien la chance le sert en 1917 ; Lénine ne fait que tirer les marrons du feu d’une révolution qui se sera souvent faite sans lui. Sa chance, il est vrai, cohabite avec une intelligence politique et un flair hors du commun.

Robert Service a mis tout son talent pour cerner la personnalité d’un individu arriviste et tourmenté. Cela dit, il n’est pas tendre envers le père d’Octobre 1917. R. Service dévoile un être passionné, colérique, cynique : « Jamais il ne vint à l’idée de Lénine de s’interroger sur les mérite d’une révolution admettant qu’on supprime des gens honnêtes, bien intentionnés et compétents. Dans ce carnage révolutionnaire, il s’arrangeait toujours pour rester hors champ. C’était l’attitude d’un fanatique au savoir livresque qui n’éprouvait aucun besoin d’assister en personne à la violente réalité de sa révolution » (p. 399).  Malgré cette violence et cette dureté, Lénine était un être plus complexe qu’on le pense. Ses rapports avec les femmes montrent par exemple qu’il ne s’est jamais départi d’un certain esprit romantique et d’une politesse petite-bourgeoise. La preuve est faite qu’un révolutionnaire patenté peut conserver des sentiments. Ces sentiments, on aura du mal à les trouver chez Staline : l’élève avait dépassé le maître.

Robert Service, Lénine, Perrin, 2012, 562 pages, 28 €

 

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Actualités Recensions

La mort en cendres : La crémation aujourd’hui que faut-il en penser ?

Broché: 208 pages
Editeur : Cerf (4 octobre 2012)
Collection : L’histoire à vif
Langue : Français
ISBN-10: 2204095990
ISBN-13: 978-2204095990
Dimensions : 19,4 x 13,6 x 2 cm

 La mort en cendres

Une révolution s’opère silencieusement sous nos yeux : pour leurs obsèques, 30 % des Français préfèrent la crémation à l’inhumation. Quand on leur demande la raison de leur choix, dans une grande majorité ils disent vouloir ne pas être à la charge de leurs enfants.

Si l’on regarde bien, choisir la crémation, c’est mourir deux fois : à la violence de la mort s’ajoute celle de la disparition du corps en cendres. Dans un monde où le corps est érigé en icône, voilà qui interroge. Comment comprendre : la même personne qui, de son vivant, voulait mordicus un corps parfait opte, à sa mort, pour une destruction radicale ? Damien Le Guay s’interroge : « J’ai tenté, explique-t-il, de comprendre les enjeux de la crémation, qui la dépassent, l’englobent, s’y trouvent logés sans que les partisans de la crémation s’en rendent souvent bien compte. » (p. 186). Depuis des temps immémoriaux la crémation est en vigueur dans d’autres civilisations, en Inde par exemple, mais les motifs y sont puissamment religieux alors qu’en Europe elle s’inscrit dans le cadre d’une incroyance tranquille, sinon revendiquée. Pour Damien Le Guay, la réduction du corps en cendres concrétise la vacuité symbolique et  anthropologique de l’Occidental, consommateur désabusé et désenchanté, qui ne croit plus en grand-chose et a balancé par-dessus bord les espérances collectives auxquelles il était autrefois arrimé. Quand la politesse mortuaire s’évanouit, que l’on ne souhaite pas voir la mort venir contaminer le monde des vivants, alors il devient urgent de se poser des questions sur notre  humanité. Il y a un au-delà de la mort auquel il convient de réfléchir. Le choix de la crémation en dit long du malaise contemporain, malaise que l’auteur résume ainsi : « Il faut considérer ce désir de cendres, ce souhait d’effacement, comme la conséquence ultime d’un échec de singularisation par ses seules qualités personnelles. » (p. 21) Autrement dit, l’anonymat et le conformisme à grande échelle inhérents aux sociétés contemporaines affectent l’idée que nous nous faisons de la mort. Anonymes ici-bas, réduits par le marché en consommateurs, en usagers et parfois en numéros, ayant rompu toute attache religieuse, nous choisissons, avec la crémation, un autre anonymat. La réduction en un petit tas de cendres nous fait passer dans l’oubli ; « il faut faire place nette, dégager, s’effacer, se restreindre » (p. 99). La révolution de la crémation peut avoir des conséquences incalculables. En réduisant le corps à quelques grammes de cendres, demandons-nous ce que devient l’humanité. Comme le disait Heiddeger : « Seul l’homme meurt. L’animal périt. » Le beau livre de Damien Le Guay a l’immense mérite de poser cette terrible question : En voulant tuer la mort, ne concourons-nous pas à la fin d’une certaine idée de l’humanité ?

Damien Le Guay, La mort en cendres, Le Cerf, 2012, 208 pages, 17 €

 

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Histoire Recensions

Sun Tzu ou l’art de gagner des batailles : Saratoga, Waterloo, Gettysburg, La Marne, La bataille de France, Stalingrad, La Normandie, La Corée

Broché: 304 pages
Editeur : Editions Tallandier (20 septembre 2012)
Collection : APPROCHES
Langue : Français
ISBN-10: 2847349197
ISBN-13: 978-2847349191
Dimensions : 21,4 x 14,4 x 2,6 cm

 Sun Tzu ou l’art de gagner des batailles

Il y a 2 400, un sage chinois nommé Sun Tzu écrivait L’art de la guerre, un traité lu et assimilé par des générations de stratèges. Court, constitué d’aphorismes simples, L’art de la guerre donne des recommandations aux généraux pour leur donner la victoire à peu de frais. En effet, pourquoi vaincre son ennemi si c’est pour être, au bout du compte, aussi ruiné que lui ? Voulant vérifier la pertinence des axiomes développés par Sun Tzu, l’historien états-unien Bevin Alexander les applique à quelques batailles récentes de l’aire occidentale : Waterloo, Gettysburg, La Marne, Stalingrad… L’auteur s’applique à vérifier la pertinence des idées du célèbre Chinois sur le mode : « Regardez l’effarante conduite du général sudiste Lee à Gettysburg ! Il a perdu une bataille qu’il aurait dû gagner, tout simplement parce qu’il a méconnu les principes édictés par Sun Tzu. » Les conceptions stratégiques et tactiques de ce dernier sont simples et de bon sens : cacher ses intentions, éviter les gros de l’ennemi pour s’en prendre aux troupes de moindre importance, éviter les attaques frontales et ainsi de suite.

Si l’ouvrage se lit aisément, on touche néanmoins assez vite aux limites du genre. En effet, ce genre de systématisation ne tient pas devant la réalité des faits. L’auteur affirme que Napoléon a commis une erreur en attaquant de front l’armée de Wellington. La belle affaire ! Pouvait-il faire autrement alors qu’il était dans l’ignorance de la position et de la composition de l’armée ennemie ? Sun Tzu écrit que tout l’art de la guerre consiste à parvenir à ses objectifs en versant le moins de sang possible, par la ruse par exemple. Idée évidemment séduisante car, comme disait je ne sais plus quel grand stratège, « votre ennemi n’aime pas la guerre, il préférerait vous envahir sans rencontrer de résistance. » Le problème, c’est que le siècle dernier a développé un nouveau type de guerre, une guerre que les Anciens n’avaient pas prévu : la guerre de conquête et d’extermination, comme celle que les Allemands entreprirent lorsqu’en juin 1941 ils attaquèrent l’Union Soviétique. Deux ans plus tard, alors que l’initiative est passée à l’Armée Rouge, celle-ci ne feint pas, n’atermoie pas… Elle est si puissante qu’elle peut se permettre d’attaquer du fort au fort pour anéantir toute résistance ennemie. L’art opératif mis au point par les stratèges soviétiques s’apparente à la Blitzkrieg germanique : la guerre devient mouvement et rapidité, avec des pertes toujours plus lourdes. Il y a vingt-cinq siècles, Sun Tzu ne pouvait le prévoir.

Bevin Alexander, Sun Tzu ou l’art de gagner des batailles, Tallandier, 2012,296 pages, 20.90 €

 

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Histoire Recensions

Les Guerriers du froid : Vie et mort des soldats de l’armée rouge, 1939-1945

Broché: 512 pages
Editeur : Fayard (29 février 2012)
Collection : Divers Histoire
Langue : Français
ISBN-10: 2213663068
ISBN-13: 978-2213663067
Dimensions : 23,4 x 15,2 x 3,2 cm

 Les Guerriers du froid

Pour l’Union Soviétique, le bilan du second conflit mondial est accablant : plus de vingt millions de morts dont plus de huit millions de militaires, un triste record dont le pays eut longtemps à souffrir. Pour se faire une plus juste idée de ce bilan, il faut savoir que, en un laps de temps à peu près identique, les Etats-Unis eurent à déplorer trois cent mille morts. Il existe donc, de ce point de vue, une singularité soviétique qui tient, pour une large part, au mépris globalement affiché par les officiers généraux pour la vie de leurs hommes. Une sorte d’atavisme, autre déclinaison du « malheur russe » si bien analysé par Hélène Carrère d’Encausse, a imposé une sorte de permanence dans la comptabilité de l’horreur. Le général russe d’avant la Révolution de 1917 est peu économe de la vie de ses soldats. Quant au général soviétique, surtout lors de la période stalinienne, il fait encore moins de cas du sang de ses hommes. C’est par régiments entiers, en 1941 et 1942 surtout, que les frontoviki (surnom donné au fantassin soviétique) fonçaient à perdre haleine en direction des mitrailleuses allemandes. Cette singularité inouïe valait bien un livre. Cette « vie et mort des soldats de l’Armée Rouge, 1939-1945 », éclaire de façon dramatique les horreurs qu’eurent à subir les soldats soviétiques dont un écrivain a dit qu’ils étaient faits pour mourir. A l’aide des souvenirs des quelques anciens soldats encore en vie, Catherine Merridale a écrit ce mémorial destiné au souvenir de l’héroïsme de ces millions d’inconnus qui firent tant alors que le nazisme était sur le point d’engloutir la totalité de l’Europe.

Les guerriers du froid est moins l’histoire vécue au quotidien par le soldat soviétique qu’une histoire de la Seconde Guerre Mondiale vue par celui-ci. On attendait davantage l’auteur sur ce qui faisait le quotidien du soldat en campagne : la nourriture, la faim et le froid, le courrier… bref, l’ensemble des menus détails qui donnent chair à l’Histoire. Les approximations lues ici et là – l’auteur repeint en vert olive l’uniforme brun d’Ivan, autre sobriquet donné au soldat de l’Armée Rouge – ne permettent pas d’atteindre l’éclairage que le titre promet. Le lecteur s’attend à une lecture au ras du sol, l’histoire quotidienne du paysan et de l’ouvrier anonymes enrôlés dans la Grande Guerre Patriotique. En lieu et place il doit se contenter d’une énième version de la guerre à l’Est. Un peu décevant.

Catherine Merridale, Les guerriers du froid, Fayard, 2012, 510 pages, 25.40 €

 

 

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Biographies Recensions

Eugène cardinal Tisserant, 1884-1972

Broché: 716 pages
Editeur : Desclée de Brouwer (14 avril 2011)
Collection : PAGE D HISTOIRE
Langue : Français
ISBN-10: 2220062988
ISBN-13: 978-2220062983
Dimensions : 23,4 x 15 x 5 cm

 Eugène cardinal Tisserant, 1884-1972

L’énorme biographie qu’Etienne Fouilloux vient de consacrer au cardinal Tisserant nous fait souvenir, à nous Français, qu’il y a peu, des Français vivaient dans l’entourage du pape. Eugène Tisserant, prêtre du diocèse de Nancy, appelé à Rome en 1908, y demeurera jusqu’à sa mort, en 1972. Entre temps, il avait exercé plusieurs charges dont celles, éminentes, de responsable de la Bibliothèque vaticane puis de Préfet de la Congrégation des Eglises orientales.

Dès les premières pages, on est frappé par la précocité du jeune nancéen. Ordonné prêtre à 23 ans, Eugène Tisserant passe déjà pour un spécialiste des langues orientales anciennes. Il se construit une notoriété qui lui vaut, un an plus tard, de s’occuper des manuscrits orientaux à la Bibliothèque vaticane. A Rome, malgré certaines jalousies, il réussit à se tailler une belle carrière dont le point d’orgue sera la dignité de doyen du Sacré Collège.

Etienne Fouilloux a bâti son ouvrage à partir des milliers de lettres qu’en soixante ans de vie très active Eugène Tisserant expédia à travers le monde,  en France notamment. Quoique résidant à Rome, il restait en effet très attaché à sa terre lorraine et conservait beaucoup d’attachement à l’égard de ses maîtres et amis prêtres qu’il avait côtoyés dans sa jeunesse. S’il n’a pas publié les ouvrages que le public était en droit d’attendre de la part de ce fort en langues, le cardinal Tisserant était un homme de l’ancienne école : il passait beaucoup de temps à sa correspondance. Grâce à cette dernière nous en savons désormais plus de la personnalité de celui qui, lors du concile Vatican II, passait pour un conservateur notoire, un obstiné défenseur des prérogatives de la Curie. Le beau travail d’E. Fouilloux permet de dresser un portait fidèle du cardinal Tisserant, loin du réactionnaire buté que certaines relations se sont imaginées à susciter. Bourreau de travail, soucieux du niveau spirituel, moral et intellectuel du clergé, négociateur chevronné, Tisserant se dévoua corps et âme à la primauté et au prestige du Saint-Siège. Ce dévouement était loin d’être aveugle. Tisserant fut enfin un pasteur exemplaire, attentif aux besoins du diocèse suburbicaire dont Pie XII lui avait confié la charge. Partisan des nouvelles méthodes exégétiques, il percevait bien le renouveau dont l’Eglise avait besoin au milieu du siècle ; c’est à tort qu’une certaine critique en a fait un adversaire du renouveau conciliaire. Sa vive intelligence et son amour de l’Eglise le poussaient, quand il le fallait, à contrecarrer l’immobilisme des milieux romains. E. Fouilloux ne nous épargne pas les dernières années du cardinal, poussé vers la sortie alors que sa santé demeurait bonne. Son éviction de la Congrégation pour les Eglises orientales, sa mise à la retraite comme évêque du diocèse de Porto et Santa Rufina assombrirent les dernières années de ce grand serviteur de l’Eglise.

Le Tisserant d’Etienne Fouilloux est véritablement un modèle de biographie.

Etienne Fouilloux, Eugène cardinal Tisserant, 1884-1972. Une biographie, Desclée de Brouwer, 2012, 712 pages, 39 €