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Histoire Recensions

L’héritage de Vichy

Relié: 256 pages
Editeur : Armand Colin (3 octobre 2012)
Collection : Hors collection
Langue : Français
ISBN-10: 2200275129
ISBN-13: 978-2200275129
Dimensions : 22,8 x 17,4 x 2,4 cm

 L’héritage de Vichy

Déjà auteur de Sous l’œil de l’occupant, album photographique relatant la façon dont les Allemands voyaient les Français entre 1940 et 1944, Cécile Desprairies poursuit son exploration de l’Occupation. Elle le fait par un biais original. Si les signes et symboles les plus voyants de l’Etat français ont été niés et effacés – plus d’Hôtel du Parc, siège de l’Etat français, à Vichy ! -, un certain nombre de mesures existent encore, dont les Français profitent et qui, horresco referens !, ont été prises par le gouvernement de Vichy. Beaucoup connaissent la plus universelle, la Fête des Mères, mais il en reste quantité d’autre qui n’ont pas été abrogées par les républiques.

Tout n’était pas mauvais, loin s’en faut, dans les 16 786 lois et décrets promulgués par Vichy. Comme l’écrivait Marc-Olivier Baruch, « tout n’était pas à rejeter dans la production administrative de ces quatre années, qui seraient pourtant quelque temps plus tard décrites comme ‘à rayer de notre histoire’ ». Que ce soit la vie quotidienne, l’éducation, l’alimentation, la culture ou le sport, pas un de ces domaines qui n’ait été épargné par la production législative de l’Etat français. Certaines de ces mesures n’ont au départ d’autre but que la surveillance de la population, comme la carte d’identité. D’autres sont le fruit de la pression de l’occupant comme le délit de non-assistance à personne en danger (loi du 25 octobre 1941), incitation faite à la population française de collaborer. Il en est qui proviennent des restrictions imposées par la dureté des temps comme l’obligation, au restaurant, du menu à prix fixe. Pour le reste, la recension de Cécile Desprairies compte moult mesures qui font partie du patrimoine génétique des Français et ne comptent pas pour rien dans l’identité de la France. De cet inventaire à la Prévert, retenons, entre autres, l’accouchement sous X, l’heure d’été et l’heure d’hiver, la nouvelle place de l’apéritif, l’extension des vins AOC, la Réunion des musées nationaux, le film en couleur et le film d’animation, l’enseignement du dessin, les comités d’entreprise, l’INSEE, la retraite des vieux, le hand-ball, le carnet de santé, le code de la route, les autoroutes, etc. Très instructif.

Cécile Desprairies, L’héritage de Vichy, Armand Colin, 2012, 237 pages, 27.50 €

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Le Combat de deux Empires: La Russie d’Alexandre Ier contre la France de Napoléon,1805-1812

Broché: 528 pages
Editeur : Fayard (26 septembre 2012)
Collection : Divers Histoire
Langue : Français
ISBN-10: 2213670765
ISBN-13: 978-2213670768
Dimensions : 23,4 x 15,2 x 4 cm

 Le Combat de deux Empires: La Russie d’Alexandre Ier contre la France de Napoléon,1805-1812

En France, on ne compte plus les mauvais apôtres qui se sont faits une spécialité de la détestation de l’histoire nationale. Ils n’ont de cesse de dézinguer toutes nos vieilles gloires : Richelieu, Turenne, Louis XIV, Napoléon… Pas un de ces grands personnages qui ait leurs faveurs. C’est que la doxa, œuvre de la pensée unique, a parlé : tout, y compris le passé le plus lointain, doit être jugé à l’aune des droits de l’homme. Cela nous vaut un manichéisme insupportable où tout apparaît en noir ou blanc alors que, comme le disait Romain Gary, dans la vie, et donc dans l’histoire, c’est le gris qui domine. Or, tandis que certains d’entre nous se repaissent de cette haine pour ce qu’a de singulier et parfois de formidable l’histoire de notre pays, des étrangers prennent des voies contraires. C’est le cas d’Oleg Sokolov, professeur de civilisation française à Saint-Pétersbourg, un joyeux timbré de l’époque napoléonienne. Son livre, Le combat de deux empires, est un joli pied de nez à ceux qui, indistinctement, vilipendent Napoléon et l’histoire de France. Livre à thèse, solidement étayé, toujours agréable à lire, Le combat de deux empires est une œuvre à charge contre Alexandre 1er, l’ennemi juré de Napoléon. Qu’entend démontrer Sokolov ? Que le jeune tsar de toutes les Russies n’a eu de cesse d’éliminer du trône l’Empereur des Français, qu’il voulait mettre fin au règne d’un homme qui, même génial, n’en était pas moins un parvenu. « Le tsar, écrivait le prince Czartoryski, ne recherchait absolument pas une solution pacifique au conflit : il ne recherchait que la guerre, l’anéantissement de l’Empire napoléonien et, plus que tout, le renversement de Napoléon. » (p. 301) On ne festoie pas impunément avec les têtes couronnées héréditaires. Durant dix bonnes années, Alexandre est financé, soutenu par l’or et le déshonneur britanniques. Face à cet homme qui sait si bien camoufler ses sentiments, Napoléon se comporte en gentleman. Pour éviter de tirer l’épée, il se livre à de nombreuses compromissions, cherchant toujours à exonérer le tsar.
La thèse de l’historien russe est si solidement charpentée qu’elle semble difficile à mettre en doute. Elle a le mérite de rendre Napoléon plus sympathique : ici, il n’est pas le va-t-en-guerre, le monstre, « l’Ogre », qu’une certaine propagande s’est plue à décrire.

Oleg Sokolov, Le Combat de deux Empires: La Russie d’Alexandre Ier contre la France de Napoléon,1805-1812, Fayard, 2012, 522 pages, 25 €

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La victoire taboue

Broché: 192 pages
Editeur : Editions Toucan (14 mars 2012)
Collection : TOUC.ENQUETES
Langue : Français
ISBN-10: 2810004722
ISBN-13: 978-2810004720
Dimensions : 22,2 x 14 x 3,2 cm

 La victoire taboue

A l’occasion de ce que l’on appelle pudiquement les « événements », les historiens n’ont pas lésiné : nombreux sont les livres à traiter de la guerre d’Algérie (1954-1962). C’est en tant que spécialiste de l’Armée française que Christophe Dutrône se met de la partie. « La victoire taboue », c’est une victoire dont on n’ose pas ou peu parler. « Victoire », elle l’est assurément tant l’Armée française fut supérieure à l’ALN, l’Armée de Libération Nationale, bras armé du Front de Libération National algérien. « Taboue », elle l’est aussi car l’esprit de repentance a obscurci la faculté de jugement. On en est au point où la République n’ose plus fêter nos plus grandes victoires. En 2005, la délégation qui se rendit en Moravie fêter le triomphe d’Austerlitz fut des plus squelettiques. En ces temps où l’on a presque honte d’être soi-même, certains préfèrent raser les murs. Que l’on pense ici au mot d’Emmanuel Berl : « Nous nous reprochons d’avoir bâti Casablanca alors que les Romains étaient tout fiers d’avoir détruit Carthage ».
C. Dutrône livre une histoire limpide et très honnête de la guerre d’Algérie, une synthèse quasi parfaite. On peut toutefois trouver à redire à propos d’un titre qui induit en erreur. « La victoire tactique de l’Armée française », sous-titre de l’ouvrage, n’apparaît guère et les événements politiques y ont une part très importante. C’est donner à penser que l’outil militaire fut tout juste à la hauteur des ambitions des états-majors. Or, les deux divisions de parachutistes et la Légion, présentes en Algérie, ont montré de façon décisive que les leçons de la guerre d’Indochine avaient été intelligemment tirées. Un historien suédois a écrit récemment que l’Armée française disposait à l’époque de professionnels sans équivalent dans les autres armées. On aurait aimé que C. Dutrône mît davantage en avant cette supériorité.
L’auteur conclut comme il le fallait. Si l’attitude du Général de Gaulle a justement suscité l’incompréhension, voire l’indignation, il avait raison au regard de l’histoire. Que serait devenu notre pays si l’intégration avait l’emporté ? Comment aurions-nous résisté au déferlement de ces nouveaux Français, étrangers à notre culture et à la démographie galopante ? Fallait-il conserver l’Algérie ? « L’évidence, tout comme le bon sens, amenèrent Charles de Gaulle à répondre par la négative » (p. 188).

Christophe Dutrône, La victoire taboue, Editions du Toucan, 2012, 188 pages, 16,15 €

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Sun Tzu ou l’art de gagner des batailles : Saratoga, Waterloo, Gettysburg, La Marne, La bataille de France, Stalingrad, La Normandie, La Corée

Broché: 304 pages
Editeur : Editions Tallandier (20 septembre 2012)
Collection : APPROCHES
Langue : Français
ISBN-10: 2847349197
ISBN-13: 978-2847349191
Dimensions : 21,4 x 14,4 x 2,6 cm

 Sun Tzu ou l’art de gagner des batailles

Il y a 2 400, un sage chinois nommé Sun Tzu écrivait L’art de la guerre, un traité lu et assimilé par des générations de stratèges. Court, constitué d’aphorismes simples, L’art de la guerre donne des recommandations aux généraux pour leur donner la victoire à peu de frais. En effet, pourquoi vaincre son ennemi si c’est pour être, au bout du compte, aussi ruiné que lui ? Voulant vérifier la pertinence des axiomes développés par Sun Tzu, l’historien états-unien Bevin Alexander les applique à quelques batailles récentes de l’aire occidentale : Waterloo, Gettysburg, La Marne, Stalingrad… L’auteur s’applique à vérifier la pertinence des idées du célèbre Chinois sur le mode : « Regardez l’effarante conduite du général sudiste Lee à Gettysburg ! Il a perdu une bataille qu’il aurait dû gagner, tout simplement parce qu’il a méconnu les principes édictés par Sun Tzu. » Les conceptions stratégiques et tactiques de ce dernier sont simples et de bon sens : cacher ses intentions, éviter les gros de l’ennemi pour s’en prendre aux troupes de moindre importance, éviter les attaques frontales et ainsi de suite.

Si l’ouvrage se lit aisément, on touche néanmoins assez vite aux limites du genre. En effet, ce genre de systématisation ne tient pas devant la réalité des faits. L’auteur affirme que Napoléon a commis une erreur en attaquant de front l’armée de Wellington. La belle affaire ! Pouvait-il faire autrement alors qu’il était dans l’ignorance de la position et de la composition de l’armée ennemie ? Sun Tzu écrit que tout l’art de la guerre consiste à parvenir à ses objectifs en versant le moins de sang possible, par la ruse par exemple. Idée évidemment séduisante car, comme disait je ne sais plus quel grand stratège, « votre ennemi n’aime pas la guerre, il préférerait vous envahir sans rencontrer de résistance. » Le problème, c’est que le siècle dernier a développé un nouveau type de guerre, une guerre que les Anciens n’avaient pas prévu : la guerre de conquête et d’extermination, comme celle que les Allemands entreprirent lorsqu’en juin 1941 ils attaquèrent l’Union Soviétique. Deux ans plus tard, alors que l’initiative est passée à l’Armée Rouge, celle-ci ne feint pas, n’atermoie pas… Elle est si puissante qu’elle peut se permettre d’attaquer du fort au fort pour anéantir toute résistance ennemie. L’art opératif mis au point par les stratèges soviétiques s’apparente à la Blitzkrieg germanique : la guerre devient mouvement et rapidité, avec des pertes toujours plus lourdes. Il y a vingt-cinq siècles, Sun Tzu ne pouvait le prévoir.

Bevin Alexander, Sun Tzu ou l’art de gagner des batailles, Tallandier, 2012,296 pages, 20.90 €

 

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Les Guerriers du froid : Vie et mort des soldats de l’armée rouge, 1939-1945

Broché: 512 pages
Editeur : Fayard (29 février 2012)
Collection : Divers Histoire
Langue : Français
ISBN-10: 2213663068
ISBN-13: 978-2213663067
Dimensions : 23,4 x 15,2 x 3,2 cm

 Les Guerriers du froid

Pour l’Union Soviétique, le bilan du second conflit mondial est accablant : plus de vingt millions de morts dont plus de huit millions de militaires, un triste record dont le pays eut longtemps à souffrir. Pour se faire une plus juste idée de ce bilan, il faut savoir que, en un laps de temps à peu près identique, les Etats-Unis eurent à déplorer trois cent mille morts. Il existe donc, de ce point de vue, une singularité soviétique qui tient, pour une large part, au mépris globalement affiché par les officiers généraux pour la vie de leurs hommes. Une sorte d’atavisme, autre déclinaison du « malheur russe » si bien analysé par Hélène Carrère d’Encausse, a imposé une sorte de permanence dans la comptabilité de l’horreur. Le général russe d’avant la Révolution de 1917 est peu économe de la vie de ses soldats. Quant au général soviétique, surtout lors de la période stalinienne, il fait encore moins de cas du sang de ses hommes. C’est par régiments entiers, en 1941 et 1942 surtout, que les frontoviki (surnom donné au fantassin soviétique) fonçaient à perdre haleine en direction des mitrailleuses allemandes. Cette singularité inouïe valait bien un livre. Cette « vie et mort des soldats de l’Armée Rouge, 1939-1945 », éclaire de façon dramatique les horreurs qu’eurent à subir les soldats soviétiques dont un écrivain a dit qu’ils étaient faits pour mourir. A l’aide des souvenirs des quelques anciens soldats encore en vie, Catherine Merridale a écrit ce mémorial destiné au souvenir de l’héroïsme de ces millions d’inconnus qui firent tant alors que le nazisme était sur le point d’engloutir la totalité de l’Europe.

Les guerriers du froid est moins l’histoire vécue au quotidien par le soldat soviétique qu’une histoire de la Seconde Guerre Mondiale vue par celui-ci. On attendait davantage l’auteur sur ce qui faisait le quotidien du soldat en campagne : la nourriture, la faim et le froid, le courrier… bref, l’ensemble des menus détails qui donnent chair à l’Histoire. Les approximations lues ici et là – l’auteur repeint en vert olive l’uniforme brun d’Ivan, autre sobriquet donné au soldat de l’Armée Rouge – ne permettent pas d’atteindre l’éclairage que le titre promet. Le lecteur s’attend à une lecture au ras du sol, l’histoire quotidienne du paysan et de l’ouvrier anonymes enrôlés dans la Grande Guerre Patriotique. En lieu et place il doit se contenter d’une énième version de la guerre à l’Est. Un peu décevant.

Catherine Merridale, Les guerriers du froid, Fayard, 2012, 510 pages, 25.40 €

 

 

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1941-1942 : Et si la France avait continué la guerre…

Broché: 720 pages
Editeur : Editions Tallandier (26 avril 2012)
Langue : Français
ISBN-10: 2847347747
ISBN-13: 978-2847347746
Dimensions : 21,4 x 14,4 x 4,2 cm

 1941-1942 : Et si la France avait continué la guerre…

Après 1940. Et si la France avait continué la guerre…, Jacques Sapir, Franck Stora et Loïc Mahé poursuivent leur narration de la Seconde Guerre Mondiale telle qu’elle aurait pu se passer si la prise du pouvoir par Pétain en juin 1940 avait échoué. Le gouvernement de la République continue la lutte depuis Alger. Y participent les grandes figures de la III° République finissante comme Reynaud, Mandel et Daladier, plus ceux, comme De Gaulle, qui n’ont jamais accepté la défaite. A Paris, les collabos ont pris langue avec l’occupant, mais ils ne sont qu’une poignée. De la sorte, appuyé sur son Empire, ayant rallié une grande partie de la France combattante, le gouvernement continue la guerre aux côtés de la Grande-Bretagne. La coalition sera rejointe par les Etats-Unis après Pearl Harbor en décembre 1941. La guerre fait rage sur deux fronts majeurs : en Méditerranée et en Asie du Sud-Est. En Méditerranée, les flottes française et anglaise ne tardent pas à mater la Regia Marina. Grâce aux fournitures américaines, les aviations alliées mènent la vie dure à la Luftwaffe. De ce fait, les Allemands peinent à conquérir la Corse et la Grèce. Ils essuient même de cuisants revers dans les îles grecques. Devant le relatif marasme de ses armes, Hitler a repoussé son grand dessein : l’invasion de l’Union Soviétique, laquelle ne commencera qu’en 1942. En Asie, les Japonais lorgnent du côté de l’Indonésie et de l’Indochine. Après quelques succès initiaux, eux aussi doivent déchanter devant l’opiniâtreté des Alliés. Comme dans la réalité le conflit devient vite planétaire.

Comment ne pas applaudir un récit aussi bien mené, de bout en bout très réaliste ? Les auteurs, spécialistes en histoire militaire, donnent du conflit une image saisissante : on dirait du Raymond Cartier au meilleur de sa forme. Et si la France avait continué la guerre… s’avère de ce point de vue une réussite accomplie. Un petit regret toutefois : il nous semble que cette histoire est trop favorable aux armes alliées. Or, tant en 1914-1918 qu’en 1939-1945 les Allemands ont fait preuve d’une maîtrise et d’une intelligence tactique supérieures. Les chiffres l’attestent : ils ont toujours causé plus de pertes et de dommages à leurs adversaires qu’eux-mêmes en ont subis… Cela dit, le mérite du livre est de faire rêver car, après tout, le récit comporte une forte dose de réalisme et il aurait très bien pu arriver que Pétain ne prenne pas le pouvoir en juin 1940. Parfois, l’histoire ne tient pas à grand-chose ; c’est ce que cet ouvrage permet de vérifier avec intelligence.

Jacques Sapir, Franck Stora, Loïc Mahé, 1941-1942. Et si la France avait continué la guerre… , Tallandier, 2012, 721 pages, 26.90 €

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La grande stratégie de l’Empire byzantin

Broché: 512 pages
Editeur : Editions Odile Jacob (30 septembre 2010)
Collection : HISTOIRE ET DOCUMENT
Langue : Français
ISBN-10: 2738125212
ISBN-13: 978-2738125217
Dimensions : 23,4 x 15,4 x 3,8 cm

 La grande stratégie de l’Empire byzantin

S’il y a une réalité historique dont ne parle pratiquement jamais, c’est bien l’Empire byzantin, construction politique et religieuse qui dura tout de même plus de mille ans et engloba, à un moment ou à un autre, des territoire aussi divers que l’Afrique du Nord, l’Asie Mineure et la majeure partie des Balkans. Si Byzance réussit à tenir la dragée haute à tant d’ennemis divers (Huns, Arabes musulmans, Hongrois, Bulgares…), ce fut moins par la force de ses armées que par l’intelligence de sa stratégie. La puissance brute n’aurait pas suffit à contenir à elle seule la multiplicité de ses ennemis. En dépit d’une armée régulière de qualité et de la position défensive excellente de la ville fondée par l’empereur Constantin, Byzance ne fut jamais assez forte pour mettre l’ensemble de ses ennemis à genoux. Les temps de la conquête romaine étant définitivement révolus, Byzance fut en conséquence adepte d’une stratégie indirecte de premier ordre. Pour ce faire, elle n’hésitait pas à acheter la paix, à embaucher des mercenaires, à passer des alliances, à détourner les migrations de nations entières pour les éloigner. Mais elle sut faire mieux et on reconnaît la spécificité de la stratégie byzantine à ce qu’elle évitait généralement d’anéantir la force militaire d’une nation hostile. Une fois la paix conclue, celle-ci pouvait devenir un allié précieux, un tampon permettant d’amortir le choc d’un ennemi venant de plus loin. La stratégie byzantine relève moins de coups audacieux que d’une recherche patiente du meilleur compromis. Enfin, comme le dit Edward Luttwak, « les Byzantins avaient à leur disposition davantage d’instruments de persuasion efficaces que leurs prédécesseurs ou rivaux, parmi lesquels la religion chrétienne de la ‘vraie foi orthodoxe’ ».

Une fois encore l’école historique états-unienne montre tout son dynamisme. L’originalité de la démarche et celle du sujet participent à l’explicitation de l’histoire tant à la mode dans un pays qui en a très peu. Malgré ces atouts, le récit peine à tenir le lecteur en haleine. Sans doute ce dernier aurait-il aimé plus d’histoires et moins de commentaires. L’essentiel de l’ouvrage résulte de la glose d’ouvrages de littérature militaire byzantine. S’ils mettent bien en perspective la grande stratégie de l’Empire byzantin, ils ressemblent trop à une explication de texte et, de la sorte, empêchent le récit de décoller.
Edward Luttwak, La grande stratégie de l’Empire byzantin, Odile Jacob, 2010, 512 pages, 29.90 €

 

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Henri VIII et le schisme anglican

Broché: 190 pages
Editeur : Cerf (15 mars 2012)
Collection : Histoire
Langue : Français
ISBN-10: 2204096911
ISBN-13: 978-2204096911
Dimensions : 23,4 x 14,4 x 1,6 cm

 Henri VIII et le schisme anglican

La communion anglicane regroupe des dizaines d’Eglises de par le monde ; toutes sont issues du conflit qui opposa le roi Henri VIII à la papauté. Ici deux thèses s’affrontent. Le schisme anglican est-il la suite, le corollaire de l’expansion de la Réforme née avec Luther dans l’Allemagne du début du XVI° siècle  ou, plus simplement, la conséquence des péripéties d’ordre sentimental liée à la vie du souverain anglais ? A défaut de privilégier l’une au détriment de l’autre, Aimé Richardt unit les deux dans un subtil mélange. Les débuts de cette affaire relèvent uniquement de la vie sentimentale du roi Henri qui, en épousant Catherine d’Aragon, sa première épouse, a fait un mariage politique. Mais c’est par amour qu’il épouse Anne Boleyn et trois de ses quatre autres épouses. Quand un roi divorçait d’une princesse étrangère, cas de Catherine d’Aragon, il n’était guère pensable de lui couper la tête en cas de difficulté : c’eut été un cas de casus belli. Faire exécuter les épouses anglaises s’avérait par contre plus facile, d’autant que cela avait pour avantage de faire savoir aux puissants du royaume que le roi était bien le maître. La volonté d’Henri de faire annuler le mariage qu’il avait contracté avec Catherine d’Aragon engendra la rupture fatale. Malgré un lobbying entreprenant, Henri VIII ne parvint pas à faire plier le pape Clément VII lequel, pour sa part, persistait à considérer ce mariage comme étant canoniquement valide. Ce qu’Henri prenait pour un refus obstiné n’était en fait, chez le pape, que la volonté d’appliquer la loi de l’Eglise. Quoiqu’il en soit, face à la résistance qu’on lui opposait, le roi prit en son royaume une liste impressionnante de mesures destinées  à briser le catholicisme. La disparition de la vie monastique en Angleterre date de cette époque. Ces mesures coercitives devaient immanquablement amener le roi à prendre la tête de l’Eglise d’Angleterre. En dépit d’un retour bref du catholicisme avec la reine Marie Tudor, la reine Elisabeth I° (la « Grande Elizabeth ») parvint à asseoir définitivement l’indépendance de l’Eglise d’Angleterre. La doctrine du juste milieu chère à Henri triomphait.

En moins de deux cents pages, Aimé Richardt parvient à dresser un tableau aussi complet que précis des conséquences politiques et religieuses nées de l’entêtement et de la fougue d’Henri VIII. Très éclairant.

Aimé Richardt, Henri VIII et le schisme anglican, Le Cerf, 2012, 192 pages, 19 €

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Solférino : 24 juin 1859

Broché: 218 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (16 février 2012)
Langue : Français
ISBN-10: 226203706X
ISBN-13: 978-2262037062
Dimensions : 20 x 13,2 x 2,6 cm

 Solférino : 24 juin 1859

Le 24 juin 1859, à Solférino, en Italie septentrionale, l’armée franco-sarde emmenée par l’empereur Napoléon III battait l’armée autrichienne placée sous le commandement du tout jeune empereur François-Joseph. A cette époque, les nationalités commençaient tout juste à émerger ; l’Allemagne et l’Italie n’avaient pas encore réalisé leur unité. La guerre de ce temps-là oppose des empires. Elle a généralement lieu sur le sol européen. Plus tard, avec la colonisation, les conflits seront délocalisés outre-mer où l’on voudra se partager le monde à coups de zones d’influence. Sous ce regard, Solférino est une bataille importante car c’est elle qui marque le point de départ de l’unité italienne sous la prédominance de la Maison de Piémont – Savoie. Elle met en jeu des armements modernes : fusil à grande cadence de tir pour les Autrichiens, artillerie moderne chez les Français. Tactiquement, Solférino n’a rien à voir avec Austerlitz et Friedland. Le neveu est une bien pâle copie du grand oncle. La bataille de Solférino voit donc s’affronter deux énormes masses, front contre front, sans idée de manœuvre. Un tel affrontement ne peut que tourner à la boucherie. Le soir de la bataille,  un jeune Suisse du nom d’Henri Dunant parcourt, terrifié, le champ du massacre au milieu des cris de souffrance des blessés. Cette humanité à l’agonie ne peut être abandonnée sans soin : la Croix Rouge est née.

Pierre Pellissier écrit des livres d’histoire comme on les aime : un récit haletant, vivant, haut en couleurs. L’auteur du remarquable Fachoda et la mission Marchand demeure ici conforme à son image : un narrateur aimant raconter des histoires qui s’appuient sur un fond historique sûr. Malgré ou à cause de ces qualités, la lecture de ce Solférino s’avère quelque peu décevante. Deux cents petites pages paraissent trop justes pour relater de manière satisfaisante les préliminaires géopolitiques du conflit, les opérations de la campagne d’Italie de 1859 ainsi que le déroulement en détail de la gigantesque bataille de Solférino, peut-être la première de l’époque moderne, celle qui, en tout cas, est une des premières à ne plus ressembler aux affrontements de l’époque napoléonienne.

 

Pierre Pellissier, Solférino, 24 juin 1859, Perrin, 228 pages, 22 €