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L’Algérie de Pétain

Broché: 456 pages
Editeur : PERRIN (17 avril 2014)
Collection : Synthèses Historiques
Langue : Français
ISBN-10: 2262033374
ISBN-13: 978-2262033378
Dimensions : 24 x 15,4 x 3,8 cm

 L’Algérie de Pétain

La fameuse Grande Histoire des Français sous l’Occupation, œuvre colossale de Henri Amouroux, a désormais un prolongement de qualité avec L’Algérie de Pétain. Les Algériens ont la parole (1939-1942). Il faut remercier Pierre Darmon, déjà auteur d’une histoire de l’Algérie coloniale, d’avoir osé s’atteler à un sujet aussi peu étudié. Evacuons d’emblée la petite insuffisance dont souffre l’ouvrage, à savoir le peu de place accordé à la vie quotidienne dans l’Algérie de cette époque. S’étant focalisé sur la vie politique dans l’Algérie de Pétain, Pierre Darmon minimise cet aspect crucial : on s’arrange d’autant mieux d’un pouvoir politique qu’il pourvoit à votre alimentation et à votre habillement, ce qui était loin d’être le cas dans l’Algérie des années 1939 – 1942. A l’aide de témoignages et d’articles de presse, fort d’avoir ingurgité une grosse quantité d’ouvrages relatifs à la période et au Maghreb, Pierre Darmon parvient à donner un tableau saisissant de la façon dont les diverses communautés (française, juive, musulmane, espagnole…) appréhendent le conflit mondial. Il est frappant de voir par exemple combien les populations musulmanes sont ébranlées dans leur confiance à la France devant la force déployée par les armées allemandes. Autre thème dont on ne peut faire l’économie : nombre de Français d’Algérie et de musulmans se retrouvent sur le thème de l’antisémitisme. Enfin, l’armistice de 1940 donne des idées à une élite musulmane éduquée désireuse d’émancipation : après tout, la puissance occupante ne vient-elle pas de montrer sa fragilité lors de l’éclatante défaite du printemps 40 ? L’auteur consacre de nombreux chapitres au pétainisme dont font preuve beaucoup d’Algériens, Français et musulmans. Le prestige de Pétain ressemble au roc pendant la tempête. Cependant, dès les premières fêlures les abandons vont se précipiter. Les défaites allemandes (Stalingrad, El-Alamein) rebattent les cartes. Si beaucoup de Français se découvrent résistants, nombreux sont les musulmans à céder aux sirènes anti-coloniales. Le débarquement des Américains en Algérie fin 42 (Opération Torch) constitue un signe fort des prochains abandons vécus par ces puissances aux prestigieux passé colonial que sont la France et l’Angleterre. Ils sont nombreux, en Afrique et en Asie, à faire de Roosevelt un des champions de la cause anti-coloniale.

L’Algérie de Pétain traite de façon solide un sujet rarement étudié. Sachons en savoir gré à son auteur.

 

Pierre Darmon, L’Algérie de Pétain, Perrin, 2014, 522 pages, 25 €

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La guerre au XX° siècle

Broché: 453 pages
Editeur : Perrin (30 janvier 2014)
Langue : Français
ISBN-13: 978-2-262-03656-0
Dimensions : 14,2 × 21,2 x 3,2 cm

  La guerre au XX° siècle

Auteur de nombreux livres relatifs à l’histoire militaire au XX° siècle, Pierre Vallaud nous entraîne cette fois dans l’histoire de la guerre au XX° siècle. Ou plutôt faudrait-il écrire : L’histoire des guerres au XX° siècle. En effet, le titre suggère une étude de l’évolution des doctrines et des pratiques de la guerre au siècle dernier et non pas, comme c’est le cas, une histoire des conflits, de la Première guerre mondiale à la chute du Mur de Berlin. Cette précision faite, on retiendra que ce livre, plaisant et facile à lire, constitue une bonne introduction à l’histoire du XX° siècle à travers les multiples guerres qui l’ont scandé. L’auteur a réussi son pari qui était de donner l’essentiel en peu de pages. Par contre, s’il paraît utile au néophyte, le lecteur averti courra la crainte d’être déçu par un panorama dont la vastitude nuit à la précision. Sans entrer dans le détail, disons par exemple que la guerre à l’Est, au cours de la Seconde guerre mondiale, est traitée de façon très cavalière. D’emblée, des erreurs factuelles empêchent de comprendre la singularité du conflit. Il n’est pas vrai, par exemple, de dire que « l’Allemagne affiche une insolente supériorité matérielle » (p. 210). Au contraire, le III° Reich prend des risques fous en envahissant l’Union Soviétique le 22 juin 1941. Cette attaque du fort au fort est mal pensée au plan stratégique. Hitler aurait-il osé attaquer l’ours russe s’il avait su que l’attendaient pas moins de 200 divisions, 10 000 chars et 15 000 avions… bref une armée à la doctrine archaïque mais pléthorique et offrant d’énormes capacités de résilience ? Autre exemple : l’Opération Bagration (fin juin 1944), qui constitue la plus gigantesque défaite militaire allemande au cours du siècle, est traitée en quelques paragraphes au contenu approximatif… moins de place que n’en prend par exemple la campagne des Alliés en Italie de 1943 et 1944. Au regard du titre, l’essentiel aurait été, nous semble-t-il, de dire la spécificité des conflits parcourant le siècle : une guerre totale, s’en prenant aussi bien aux civils qu’aux soldats, une guerre de doctrine dans laquelle le nombre et la qualité technique des armes prévalent sur le courage des combattants.

Le lecteur intéressé par le sujet aura intérêt à compléter sa lecture par d’autres études. Sans être exhaustif, citons des auteurs comme Antony Beevor, Alistair Horne, David Glantz, côté anglo-saxon, Jean Lopez côté francophone.

 

Pierre Vallaud, La guerre au XX° siècle, Perrin, 2014, 453 pages, 24 €

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La Grande Guerre

Broché: 517 pages
Editeur : PERRIN (2 janvier 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262033137
ISBN-13: 978-2262033132
Dimensions : 24 x 15,6 x 4,4 cm

 La Grande Guerre

Les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale sont l’occasion d’une pluie d’ouvrages : synthèses, témoignages, lettres de combattants… Les titres nouveaux sont si nombreux que vouloir en donner une liste exhaustive ressort d’un combat perdu d’avance. Beaucoup de spécialistes ont ou vont donner leur histoire de la Grande Guerre. François Cochet, déjà auteur de nombreux ouvrages consacrés au sujet, fait partie des spécialistes qui ont décidé de mettre leur science au service du grand public. Autant dire qu’ici le pari est réussi. Aidé d’une plume alerte, l’auteur donne une synthèse passionnante, bâtie sur une chronologie régulièrement étayée par une fine analyse des événements. Un tel souci pédagogique ne peut s’expliquer que par la pleine possession du sujet.

Cette Grande Guerre est enrichie d’une vision originale du conflit. Les grandes batailles de la guerre – appelées ici les « hyperbatailles » comme Verdun et la Somme – ne sont pas analysées dans le détail. Si l’auteur avait voulu entrer dans les détails des opérations militaires, il aurait fallu un volume beaucoup plus gros. Les grandes lignes qu’il en donne sont éclairées par des aspects techniques sur lesquels les historiens sont généralement peu bavards. François Cochet explique par exemple que les combats rapprochés étaient extrêmement rares et que ceux que l’on a appelés les « nettoyeurs de tranchées » ont fait l’objet d’une mythologie pas vraiment en rapport avec la réalité historique. C’est le feu qui tuait, autrement dit l’artillerie et la mitrailleuse employées de façon massive. Autre originalité : l’auteur ne s’interdit pas de visiter l’historiographie. Le premier chapitre – Pourquoi la guerre ? – est à cet égard exemplaire lorsqu’il explique la vision donnée par de jeunes historiens sur les causes du conflit. Ces dernières ont fait couler beaucoup d’encre tant les responsabilités paraissent partagées et diluées. Or, explique François Cochet, il est possible que « la Grande Guerre se situe dans la queue de comète des XVIII° et XIX° siècles, où bien des responsables politiques ont déclenché des guerres pour des raisons parfois futiles en estimant que les opinions publiques les suivraient. ». Cette Grande Guerre est vraiment ce que l’on fait de mieux dans le genre.

 

François Cochet, La Grande Guerre, Perrin, 2014, 517 pages, 25 €

 

 

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Encyclopédie de la Grande Guerre

Relié: 1810 pages
Editeur : TEMPUS PERRIN (8 novembre 2012)
Collection : Tempus
Langue : Français
ISBN-10: 2262031266
ISBN-13: 978-2262031268
Dimensions : 18,2 x 11,2 x 7,6 cm

 Encyclopédie de la Grande Guerre

Il y a maintes façons de raconter l’histoire de la Première Guerre Mondiale. Beaucoup l’on fait, très classiquement, en empruntant le chemin linéaire emprunté par la chronologie : des déclarations de guerre en cascade qui s’étalent de fin juillet aux premiers jours d’août 14 jusqu’au clairon qui signale la fin des hostilités. Evidemment, une encyclopédie n’a pas pour vocation de dérouler une telle trame chronologique. Dans cette gigantesque Encyclopédie de la Grande Guerre publiée voici dix ans conjointement par Perrin et Bayard, et intelligemment rééditée dans la collection de poche Tempus, tous les aspects de ce conflit planétaire sont passés en revue, offrant ainsi un tableau complet de la guerre. Car celle-ci ne se résume pas aux champs de bataille, au nombre de divisions, de canons et d’avions, aux opérations précédées de milliers – parfois de millions – d’obus destinés soi-disant à emporter la décision et à en finir une bonne fois pour toutes. En plus de la guerre elle-même et des opérations militaires qui lui sont liées, restait à balayer les nombreux domaines dans lesquels leurs effets se sont longtemps fait sentir. La démobilisation et le retour des soldats à la maison, le culte des morts, la reconstruction, l’application des traités, les effets économiques, le sort des réfugiés et des invalides, etc. font l’objet de chapitres écrits par des spécialistes, français et étrangers. Les guerres de ce type étant de phénoménaux accélérateurs de l’Histoire, les auteurs sont allés voir en quoi la Grande Guerre avait par exemple influencé la mode et la musique. Elément essentiel du roman national français, la Grande Guerre aura d’autres conséquences qui mettront du temps à émerger. Par exemple, de jeunes historiens en sont à se demander si la crise de l’autorité, dont on voit depuis quelques décennies les effets jusque dans la vie professionnelle, n’est pas consécutive aux ordres absurdes lancés par certains généraux et dont l’année 1917 vit la contestation la plus sérieuse. Dans son remarquable Siècle de 1914, Dominique Venner a écrit que la Grande Guerre risquait de demeurer longtemps la matrice de la civilisation européenne, quelquefois pour le meilleur, souvent pour le pire.

Cette Encyclopédie est un must, un outil complet pour les passionnés de la période, ceux qui ont déjà une connaissance de cette tragédie dans ses grandes lignes.

 

Stéphane Audoin-Rouzeau & Jean-Jacques Becker, Encyclopédie de la Grande Guerre, Tempus, 2012, 1 810 pages (2 volumes), 25 €

 

 

 

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Voyage au pays des Ze-Ka

Broché: 781 pages
Editeur : Le Bruit du temps (26 octobre 2010)
Langue : Français
ISBN-10: 2358730211
ISBN-13: 978-2358730211
Dimensions : 20,4 x 13,6 x 5,4 cm

  Voyage au pays des Ze-Ka

Soljenitsyne les appelait Zek, Julius Margolin les Ze-Ka. De qui s’agit-il ? Qui se cache derrière ces quelques lettres qui sonnent curieusement ? Les Zek ou Ze-Ka, ce sont les esclaves ayant constitué l’immense armée des réprouvés du système soviétique, les centaines de milliers d’hommes qui sont allés pourrir dans l’enfer concentrationnaire du Grand Nord.  A l’origine, Julius Margolin, juif et citoyen polonais, était pourtant bien disposé à l’égard de la Russie des Soviets mais voilà, les révolutions ont l’étrange et mortifère manie de manger leurs enfants et leurs amis. En 1939, alors que la Pologne est occupée à l’ouest par les Allemands et à l’est par les Soviétiques, J. Margolin choisit ce qui lui semble le moindre mal. C’était choisir entre la peste et le choléra. Soupçonné d’être contaminé par l’Occident, il est envoyé au Goulag sans autre forme de procès. Quant aux raisons de son arrestation, elles lui demeureront mystérieuses. Comme des centaines de milliers de ses congénères, il suffit d’un rien pour qu’une vie bascule. Une conversation banale avec un étranger et vous voilà condamné à dix ans de camp. Bien sûr, on pourra toujours rétorquer que les camps soviétiques ne sont pas les usines de la mort mises au point par le III° Reich. C’est vrai mais, en même temps, la comparaison paraît spécieuse. Entre les deux systèmes concentrationnaires, la différence se résume la plupart du temps à une question de temps : la mort viendra plus lentement dans un camp communiste, le plus souvent par manque de nourriture chronique et fatigue physique. Voyage au pas des Ze-Ka constitue la lente descente aux enfers d’un intellectuel raffiné, confronté à la brutalité d’un monde quasi kafkaïen, monde où la raison n’a plus court. Dans cet univers impitoyable domine le chacun pour soi. Accablé par tant de laideur et de méchanceté, l’auteur va jusqu’au bout de lui-même, entretenant tant bien que mal la flamme de la vie pour ne pas sombrer dans le désespoir. Il y aurait beaucoup à dire sur l’égoïsme des condamnés, la cruauté des prisonniers de droit commun à l’égard des politiques ou l’indifférence des gardes à la misère des Ze-Ka mais, ce qui ressort des conditions inhumaines infligées aux prisonniers reste le travail forcé et la faim lancinante.

Voyage au pays des Ze-Ka constitue l’un des témoignages les plus bouleversants qui aient jamais été écrit sur l’enfer concentrationnaire soviétique. Une démonstration capitale et captivante et, au final, un immense livre ! A mettre au même rang que les œuvres de Soljenitsyne et Chalamov.

 

Julius Margolin, Voyage au pays des Ze-Ka, Le Bruit du Temps, 2010, 783 pages, 28 €

 

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Les vingt jours de Fontainebleau

Broché: 294 pages
Editeur : PERRIN (23 janvier 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262039410
ISBN-13: 978-2262039417
Dimensions : 23,6 x 15,4 x 2,6 cm

 Les vingt jours de Fontainebleau

A la fin mars 1814 Napoléon, pris de court par des Alliés qui n’ont pas joué le jeu dans lequel il pensait les enferrer, gagne le château de Fontainebleau. Il va y rester jusqu’au 20 avril, date de son départ pour l’Ile d’Elbe. Que s’est-il passé entre temps ? Spécialiste de l’Empire et digne successeur de Jean Tulard, Thierry Lentz fait revivre jour après jour ce qui ressemble à une descente aux enfers pour celui qui, il y a peu, était encore le maître de l’Europe. Le vrai, c’est que, pour la première fois, Napoléon ne commande plus à son destin, il est à la merci des Alliés désireux d’abattre l’Empire et de restaurer la royauté. Ces Vingt jours de Fontainebleau ressemblent à un drame joué d’avance. Claquemuré dans son palais, Napoléon se trouve, pour la première fois de sa vie, à la merci des autres, en l’occurrence des puissances alliées qui occupent Paris, mais aussi de chefs militaires qui, ayant peur de tout perdre à la veille de la clôture de la tragédie, n’entendent pas se laisser dicteur leur conduite. Les maréchaux français tiennent à montrer que, pour respectueux qu’ils demeurent vis-à-vis de celui à qui ils doivent quasiment tout, ne sont pas prêts à tout sacrifier. L’épopée ne saurait se terminer dans un bain de sang. Certains, comme le maréchal Marmont, iront jusqu’à trahir pour sauvegarder leurs intérêts et ainsi complaire au nouveau régime. En fin d’ouvrage, l’auteur se lance dans un parallèle qui est loin d’être anachronique. Faisant la comparaison entre la fin de l’Empire napoléonien et celle du III° Reich, il tient à dire combien la conduite de l’Empereur a été sage. Jamais celui-ci n’a voulu entraîner son pays dans une sorte de Götterdämmerung, un crépuscule des dieux empli de massacres et de ruines ; « Le contexte social et politique autant que la personnalité de Napoléon, conclut l’auteur (p. 20), n’étaient pas compatibles avec un suicide collectif. » Le livre, au final, dit beaucoup de la personnalité de Napoléon, son inspirateur principal.             Servi par une science sûre, un rythme soutenu et l’utilisation des meilleures sources, l’ouvrage de Thierry Lentz fera certainement date et ce sera justice. Les pages de notes avec leur appareil critique sont d’ailleurs significatives de la valeur de l’ouvrage.   Thierry Lentz, Les vingt jours de Fontainebleau, Perrin, 2014, 294 pages, 23 €

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Sous le feu : La mort comme hypothèse de travail

Broché: 266 pages
Editeur : TALLANDIER (9 janvier 2014)
Collection : CONTEMPO.
Langue : Français
ISBN-13: 979-1021004306
ASIN: B00EU77CMS
Dimensions : 21,4 x 14,6 x 2,6 cm

 Sous le feu

Ancien officier d’active de l’Armée française, Michel Goya est devenu un spécialiste reconnu des armées d’aujourd’hui. Fort de son expérience de terrain, s’appuyant aussi bien sur le témoignage des Poilus de 1914-1918 que sur celui de soldats venant de vivre des conflits contemporains (Irak, Afghanistan…), il se penche sur le comportement du simple soldat. Les guerres modernes peuvent être considérées comme des sortes de laboratoire à visée anthropologique. « Le but de ce livre, écrit l’auteur (p. 19), est d’accompagner le combattant dans cet univers afin d’essayer de comprendre les phénomènes qui s’y déroulent ». L’étude de Michel Goya rejoint celles dont les historiens anglo-saxons se sont fait une spécialité à l’instar de John Keegan qui, dans Anatomie de la bataille, décrit l’univers du soldat au sein de la mêlée : un monde clos à tel point que le combattant ignore pratiquement tout du déroulement de la bataille. La plume alerte de Michel Goya et la densité de son propos donnent au sujet une perspective nouvelle. Le lecteur apprendra ainsi qu’à la guerre l’énorme majorité des hommes ne fait rien d’autre que suivre. Beaucoup ne font même pas le coup de feu ; seule une poignée, ceux dont l’esprit se conforme le plus facilement à l’atmosphère du combat, se bat véritablement. Ainsi, durant la guerre de Corée (1950-1953), la moitié des pilotes américains n’a jamais ouvert le feu sur un appareil ennemi. De même les pertes et dommages occasionnés à l’ennemi sont généralement le fait d’une minorité d’individus. Sur les 20 000 pilotes d’avions de chasse du III° Reich, seul un groupe de 500 d’entre eux a obtenu la moitié des victoires aériennes. En revanche, si la peur de tuer est un puissant inhibiteur, « l’expérience de la guerre réduit la peur de mourir alors que cette d’être mutilé physiquement et psychologiquement augmente » (p. 52). Cela dit, l’énorme majorité de la troupe, si elle n’adopte pas une conduite héroïque, obéit aux ordres et tient à faire son devoir. Le fait de se comporter honorablement et de ne pas laisser tomber les camarades est un puissant facteur de cohésion parmi la troupe. En revanche, la ferveur patriotique n’apparaît pas fondamentale.

Comment les hommes se comportent-ils devant l’extrême danger ? Plus qu’un énième ouvrage sur la guerre, Sous le feu est à considérer comme un ouvrage d’ethnologie. En quelques pages bien senties, l’étude de Michel Goya dit beaucoup de la façon dont l’individu appréhende la guerre, temps souvent banalement ennuyeux et rarement héroïque. Aujourd’hui, alors que les armées sont devenues professionnelles, la mort est bel et bien devenue une « hypothèse de travail » (sous-titre du livre).

Michel Goya, Sous le feu : La mort comme hypothèse de travail, Tallandier, 2014, 267 pages, 20.90 €

 

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Dictionnaire amoureux de la Rome antique

Broché: 756 pages
Editeur : Plon (22 septembre 2011)
Collection : Dictionnaire amoureux
Langue : Français
ISBN-10: 225921245X
ISBN-13: 978-2259212458
Dimensions : 20 x 13 x 4,4 cm

 Dictionnaire amoureux de la Rome antique

La collection des Dictionnaires amoureux continue son petit bonhomme de chemin. Rien n’ayant été publié sur la Rome antique, il était assez naturel que Xavier Darcos, membre de l’Institut, s’y collât. Le résultat, il faut le dire, est plutôt probant. En un peu plus de sept cents pages, l’ancien ministre de l’Education Nationale, offre un tableau passionné de la civilisation romaine, soit la bagatelle de dix millénaires. Comme dans beaucoup d’autres opus de la même série, les entrées sont toujours originales : par exemple « Caligula, l’Ubu romain ? » ou encore « Alix au pays des merveilles ». Le lecteur met peu de temps pour découvrir à quel point l’auteur place haut sa passion pour la civilisation romaine. Cet amour vrai et profond pour ce monde disparu, mais à qui l’Europe doit tant, est surtout présent dans les articles consacrés à la poésie, à la philosophie ou à la vie quotidienne. Xavier Darcos dit toute sa reconnaissance et sa passion à ces phares qu’étaient Cicéron et Virgile. Il ne cache pas leurs limites, mais il a raison d’insister sur ce que la civilisation contemporaine leur doit : « Virgile a montré la voie dans des genres variés qui servirent de matrices à l’art occidental » (p. 719). Quant à Cicéron, l’auteur le voit comme un « môle, un brise-lames, largué dans le grand chambardement général du dernier siècle avant Jésus-Christ » (p. 181). La passion de l’auteur pour la civilisation romaine met avant tout l’accent sur le bon sens romain, sur les prodigieux bâtisseurs qu’ils ont été… La filiation entre notre époque et la Rome antique ressort ici avec évidence.

Cela dit, ce Dictionnaire amoureux n’est pas sans défauts. Il suppose, comme du reste beaucoup de ses congénères, une connaissance au moins chronologique de l’objet étudié. Entre un Jules César et un grand empereur comme Marc-Aurèle, il y a deux cents ans d’écart, ce qui n’est pas rien ! On s’arrêtera guère sur ce qui paraît être d’énormes impasses – Marius, Sylla pour n’en rester qu’aux noms propres… – mais il est vrai que le genre de la collection a ses limites. Plus dommageable en revanche nous paraît la légèreté avec laquelle le christianisme est introduit. L’article Constantin est par exemple truffé d’erreurs et d’approximations (la question du filioque n’est pas ce qu’en dit l’auteur et le mariage n’est pas et n’a jamais été un article du Credo) (pages 236 et 237). On passera vite sur ces détails pour mieux apprécier toute l’empathie de l’auteur à l’égard un monde à qui l’Européen doit tant.

 

Xavier Darcos, Dictionnaire amoureux de la Rome antique, 2011, 756 pages, 26 €

 

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14-18 La première guerre mondiale

Relié : 605 pages
Editeur : Acropole Belfond (6 octobre 2011)
Langue : Français
ISBN-10: 2735703592
ISBN-13: 978-2735703593
Dimensions : 29,2 x 21 x 3,8 cm

 14-18 La première guerre mondiale

A l’orée du centenaire de la grande boucherie de 1914-1918, les publications de tout acabit ne vont pas tarder à envahir librairies et kiosques. Certains, dont Pierre Vallaud, auteur de cette Première Guerre mondiale, n’ont pas attendu la date phare de 2014 pour livrer leur version d’un conflit qui a tant compté pour l’histoire du XX° siècle. Pour beaucoup en effet, ce siècle commence le 2 août 1914 pour s’achever en 1989, chute du Mur de Berlin. Soixante-quinze ans pour un siècle, cela peut sembler court mais, à y regarder de plus près, la densité des événements est telle que l’on peut, pour une fois, mettre de côté les rigidités chronologiques.

Sans être révolutionnaire, le livre de Pierre Vallaud fournit une magnifique synthèse de ce conflit dantesque. Le lecteur sera indulgent sur quelques défauts mineurs. On pardonnera volontiers la désinvolture avec laquelle l’auteur traite la grande bataille navale du Jutland tant les qualités générales de l’ouvrage sautent aux yeux. Parmi celles-ci, retenons-en trois. Le texte est agrémenté de plusieurs centaines de photos et de dessins inédits ou rarement publiés. Pour la première fois dans l’histoire des guerres l’utilisation de la photo permettait de rendre encore plus proche la vie et la souffrance du soldat. Ce que la Guerre de Sécession avait permis d’entrevoir trouvait ici un couronnement. Les vues de ces cadavres rassemblés après la bataille disent plus de l’ampleur du carnage que tous les savants traités. L’auteur a eu également l’excellente idée d’enrichir l’ouvrage de lettres envoyées par les combattants à leurs proches. Il en ressort une émotion palpable, des moments d’humanité saisis sur le vif ; par exemple l’état d’esprit du soldat qui attend la permission désirée ou de celui qui s’apprête à monter en ligne. L’ouvrage est enfin remarquable par la place qu’il donne à des théâtres d’opération dont une certaine historiographie a minoré l’importance : Balkans, Proche-Orient, Caucase… Il y a même une photographie représentant des Tahitiens, encadrés de soldats français, prêts à faire le coup de feu contre quelque navire corsaire allemand ! Par son ampleur même, cette guerre fut vraiment un conflit mondial. L’auteur a su saisir la dimension planétaire d’un conflit qui n’avait pas de précédent.

S’il ne s’agit pas du livre le plus fouillé relatif à la Première Guerre mondiale, le livre de Pierre Vallaud devrait figurer en bonne place parmi les livres qu’il faut avoir lu sur cette période. Une synthèse agréable, simple sans jamais tomber dans le simplisme.

 

Pierre Vallaud, 14-18 La première guerre mondiale, Acropole, 2008, 605 pages, 36 €

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De la guerre en Amérique

Broché: 350 pages
Editeur : PERRIN (22 août 2013)
Collection : Tempus
Langue : Français
ISBN-10: 2262042721
ISBN-13: 978-2262042721
Dimensions : 17,2 x 10,8 x 4,2 cm

 De la guerre en Amérique

Il existe bien une exception américaine ! Thomas Rabino, dans cet éclairant essai, en donne d’éclatantes preuves. L’ouvrage, dont le titre est un clin d’œil à Tocqueville et à sa Démocratie en Amérique, postule l’idée que la culture de guerre fait partie de l’identité des Etats-Unis. Ceux-ci constituent l’exemple rare, voire unique, d’un pays libre et démocratique qui a élevé la culture des armes à un niveau rarement atteint. Que les Américains aient pris les armes pour acquérir leur indépendance lors de la seconde moitié du XVIII° siècle, soit ! Qu’ils se soient constitués en « arsenal des démocraties » pour abattre le nazisme et le fascisme, cela se conçoit aussi. Par contre, qu’après la Seconde Guerre mondiale ils aient été impliqués dans autant de guerres est plus surprenant. Mieux, c’est la seule démocratie à faire de la force militaire le fondement essentiel de sa puissance. Alors que l’Europe désarme, les Etats-Unis ne cessent d’augmenter leur budget militaire. Ce sont leurs bases et leurs porte-avions qui leur permettent de peser d’un tel poids dans les affaires du monde. Cette force est alimentée par des lobbies, un appareil militaro-industriel énorme et un patriotisme farouche. Les attentats du 11-Septembre ont permis de voir à quel point ce pays était atteint de fièvre guerrière. Dans cet essai percutant, Thomas Rabino dissèque les fondements de la culture de guerre propre à cette belliqueuse nation. Les multiples guerres dans lesquelles le pays a été engagé ainsi que la crainte de la menace terroriste ont sanctuarisé le territoire. Des médias peu objectifs créent une psychose propre à maintenir en armes un pays déjà envahi par quelque 300 millions d’armes individuels. Un patriotisme exacerbé tait toute tentative de s’opposer à cette sacralisation de la guerre. Quant aux opposants, comme le rappelle à satiété l’auteur, ils sont contraints à faire profil bas. L’inclination pour la guerre, et c’est le plus inquiétant, tient pour une grande part à une esthétisation de la violence, à un culte des engins de mort qui, parfois, n’est pas sans rappeler ce qui se passait dans les totalitarismes du XX° siècle. Mais, en l’occurrence, c’est l’appareil démocratique, vocabulaire et structures en tête, qui mène le bal des faux derches.

Toutefois, la conclusion de Thomas Rabino soulève quelque espoir de détente. Les avanies subies à l’extérieur (Irak) et sur son propre sol (la mauvaise gestion de l’ouragan Katrina) imposent de la modération. Il ne faudrait pas que, par un malsain retour de balancier, qu’interventionnistes à tout prix les USA redeviennent ce qu’ils ont été à un moment donné, des isolationnistes frileux.

 

Thomas Rabino, De la guerre en Amérique, Tempus, 2013, 751 pages, 12€