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Recensions

Le soldat impossible

Broché: 281 pages
Editeur : Pierre-Guillaume de Roux Editions (16 janvier 2014)
Collection : PGDR EDITIONS
Langue : Français
ISBN-10: 2363710762
ISBN-13: 978-2363710765
Dimensions : 22,2 x 13,8 x 2,4 cm

 Le soldat impossible

Quel que soit le sujet traité (hier le sport et le corps, aujourd’hui le soldat), le philosophe Robert Redeker continue de pister les dérives historique et psychologique qui caractérisent l’Occident contemporain. Cette traque de longue haleine le conduit à réfléchir sur le sort que nos sociétés hédonistes font au soldat. Combattant autrefois pour le salut de la patrie et la défense de sa civilisation, le soldat d’aujourd’hui défend le Bien, la justice et les droits de l’homme. Il est devenu autant un humanitaire qu’un militaire, portant le souci de la démocratie un peu partout dans le monde. Pour de multiples raisons, l’auteur montre que la figure du militaire, avec ce qu’elle suppose de sens du devoir, de sacrifice, de patriotisme, devient impossible, d’où le titre. Si la modernité tente d’arrimer le soldat à sa doxa – ah ! ces défilés du 14 Juillet qui tournent à la fête et se font forts d’être conviviaux ! -, la figure ontologique du soldat en est irréductiblement éloignée. Que peut dire et comprendre le contentement de soi contemporain quand il est renvoyé aux valeurs traditionnellement portées par le statut de militaire ? Que peut entendre le monde festif moqué par Philippe Murray, obnubilé par l’ouverture à l’autre, au culte des morts et à la défense de la terre natale ? Un De Gaulle ou un Bigeard appartiennent définitivement à un temps révolu. A l’instar de l’Ecole et des Eglises, l’Armée, comme instance de transmission, n’est plus vraiment écoutée. « L’Européen de la modernité tardive » vivant « comme en maison de retraite ou comme en jardin d’enfant » (p. 169), au nom de quoi voudrait-on qu’il se consacre au métier des armes ? Autrefois les Français communiaient au culte des morts et leur dressaient des monuments ; aujourd’hui ils traînent leur vague à l’âme dans les grandes surfaces. C’est sans doute ce qu’on appelle le progrès… Si nous en sommes là, c’est que « […] le culte de la victime, celui du civil de préférence au militaire, la honte d’être soi grimée en repentance, la défamiliarisation d’avec la mort, la transformation du citoyen en un inhéritier, la montée de l’Indifférent, le déclassement de la notion de sacrifice gratuit, sont autant d’éléments formant un climat favorable à l’effacement du soldat. » (p. 275)

S’appuyant sur la philosophie et l’histoire, Robert Redeker signe ici un de ses ouvrages les plus aboutis. Comme d’autres Robinson, il lance une nouvelle bouteille à la mer. Puisse-t-elle trouver des rivages accueillants.

 

Robert Redeker, Le soldat impossible, P.-G. de Roux, 2014, 282 pages, 23 €

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Biographies Recensions

Gorbatchev

Broché: 462 pages
Editeur : PERRIN (6 mars 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262031436
ISBN-13: 978-2262031435
Dimensions : 23,4 x 15,2 x 3,4 cm

 Gorbatchev

Le temps passe si vite et les événements se bousculent à une allure telle que l’on a parfois l’impression que ce qu’a connu l’Union soviétique de 1985 à 1991 est allé tout droit dans les poubelles de l’Histoire.

La carrière de Mikhaïl Gorbatchev ressemble à celle des apparatchiks de l’ancienne URSS. Elle prend un envol décisif en 1985 lorsqu’il devient secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS). Gorbatchev prend vite la mesure des maux qui accablent le pays : économie à la dérive, irresponsabilité, corruption, etc. Les réformes qu’il lance dans le cadre de la perestroïka ont pour but de faire entrer l’Urss dans le troisième millénaire. Hélas pour lui, s’il est vite populaire à l’Ouest, notamment à cause de la chute du Mur de Berlin, ses mesures de politique interne accumulent les déboires : abandon de puissance, chute de la production, anarchie, freins bureaucratiques… Comment réformer à la va-vite un pays qui a connu soixante-dix ans de glaciation ? Pour ambitieuses qu’elles étaient, les réformes promues par Gorbatchev ne pouvaient s’affranchir des pesanteurs léguées par un système à bout de souffle. Ce qu’en introduction Bernard Lecomte traduit ainsi : « Vouloir instiller un peu de transparence, de démocratie ou de liberté dans un système global dont la matrice était précisément la négation ‘révolutionnaire’ de ces trois valeurs ‘bourgeoises’, c’était en miner les fondements et le condamner à mort. » (p. 9) S’il n’a pas voulu mettre fin au système soviétique et au « socialisme réel » tels qu’ils ont été pratiqués en Europe de l’Est, les réformes promues par Mikhaïl Gorbatchev ont tellement dépassé leur initiateur et exécuteur qu’elles ont finir par exercer un effet dissolvant.

Sans jamais sacrifier à la rigueur du récit historique, Bernard Lecomte parvient à rendre proche et passionnante une histoire dont les conséquences demeurent très présentes. Un livre essentiel pour comprendre la façon dont l’ancienne Union Soviétique a donné naissance aux Etats de l’Europe de l’Est. Un changement primordial dans la course au monde multipolaire des temps qui s’ouvrent.

 

Bernard Lecomte, Gorbatchev, Perrin, 2014, 462 pages, 24 €

 

 

 

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Histoire Recensions

La Grande Guerre

Broché: 517 pages
Editeur : PERRIN (2 janvier 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262033137
ISBN-13: 978-2262033132
Dimensions : 24 x 15,6 x 4,4 cm

 La Grande Guerre

Les célébrations du centenaire de la Première Guerre mondiale sont l’occasion d’une pluie d’ouvrages : synthèses, témoignages, lettres de combattants… Les titres nouveaux sont si nombreux que vouloir en donner une liste exhaustive ressort d’un combat perdu d’avance. Beaucoup de spécialistes ont ou vont donner leur histoire de la Grande Guerre. François Cochet, déjà auteur de nombreux ouvrages consacrés au sujet, fait partie des spécialistes qui ont décidé de mettre leur science au service du grand public. Autant dire qu’ici le pari est réussi. Aidé d’une plume alerte, l’auteur donne une synthèse passionnante, bâtie sur une chronologie régulièrement étayée par une fine analyse des événements. Un tel souci pédagogique ne peut s’expliquer que par la pleine possession du sujet.

Cette Grande Guerre est enrichie d’une vision originale du conflit. Les grandes batailles de la guerre – appelées ici les « hyperbatailles » comme Verdun et la Somme – ne sont pas analysées dans le détail. Si l’auteur avait voulu entrer dans les détails des opérations militaires, il aurait fallu un volume beaucoup plus gros. Les grandes lignes qu’il en donne sont éclairées par des aspects techniques sur lesquels les historiens sont généralement peu bavards. François Cochet explique par exemple que les combats rapprochés étaient extrêmement rares et que ceux que l’on a appelés les « nettoyeurs de tranchées » ont fait l’objet d’une mythologie pas vraiment en rapport avec la réalité historique. C’est le feu qui tuait, autrement dit l’artillerie et la mitrailleuse employées de façon massive. Autre originalité : l’auteur ne s’interdit pas de visiter l’historiographie. Le premier chapitre – Pourquoi la guerre ? – est à cet égard exemplaire lorsqu’il explique la vision donnée par de jeunes historiens sur les causes du conflit. Ces dernières ont fait couler beaucoup d’encre tant les responsabilités paraissent partagées et diluées. Or, explique François Cochet, il est possible que « la Grande Guerre se situe dans la queue de comète des XVIII° et XIX° siècles, où bien des responsables politiques ont déclenché des guerres pour des raisons parfois futiles en estimant que les opinions publiques les suivraient. ». Cette Grande Guerre est vraiment ce que l’on fait de mieux dans le genre.

 

François Cochet, La Grande Guerre, Perrin, 2014, 517 pages, 25 €

 

 

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Histoire Recensions

Encyclopédie de la Grande Guerre

Relié: 1810 pages
Editeur : TEMPUS PERRIN (8 novembre 2012)
Collection : Tempus
Langue : Français
ISBN-10: 2262031266
ISBN-13: 978-2262031268
Dimensions : 18,2 x 11,2 x 7,6 cm

 Encyclopédie de la Grande Guerre

Il y a maintes façons de raconter l’histoire de la Première Guerre Mondiale. Beaucoup l’on fait, très classiquement, en empruntant le chemin linéaire emprunté par la chronologie : des déclarations de guerre en cascade qui s’étalent de fin juillet aux premiers jours d’août 14 jusqu’au clairon qui signale la fin des hostilités. Evidemment, une encyclopédie n’a pas pour vocation de dérouler une telle trame chronologique. Dans cette gigantesque Encyclopédie de la Grande Guerre publiée voici dix ans conjointement par Perrin et Bayard, et intelligemment rééditée dans la collection de poche Tempus, tous les aspects de ce conflit planétaire sont passés en revue, offrant ainsi un tableau complet de la guerre. Car celle-ci ne se résume pas aux champs de bataille, au nombre de divisions, de canons et d’avions, aux opérations précédées de milliers – parfois de millions – d’obus destinés soi-disant à emporter la décision et à en finir une bonne fois pour toutes. En plus de la guerre elle-même et des opérations militaires qui lui sont liées, restait à balayer les nombreux domaines dans lesquels leurs effets se sont longtemps fait sentir. La démobilisation et le retour des soldats à la maison, le culte des morts, la reconstruction, l’application des traités, les effets économiques, le sort des réfugiés et des invalides, etc. font l’objet de chapitres écrits par des spécialistes, français et étrangers. Les guerres de ce type étant de phénoménaux accélérateurs de l’Histoire, les auteurs sont allés voir en quoi la Grande Guerre avait par exemple influencé la mode et la musique. Elément essentiel du roman national français, la Grande Guerre aura d’autres conséquences qui mettront du temps à émerger. Par exemple, de jeunes historiens en sont à se demander si la crise de l’autorité, dont on voit depuis quelques décennies les effets jusque dans la vie professionnelle, n’est pas consécutive aux ordres absurdes lancés par certains généraux et dont l’année 1917 vit la contestation la plus sérieuse. Dans son remarquable Siècle de 1914, Dominique Venner a écrit que la Grande Guerre risquait de demeurer longtemps la matrice de la civilisation européenne, quelquefois pour le meilleur, souvent pour le pire.

Cette Encyclopédie est un must, un outil complet pour les passionnés de la période, ceux qui ont déjà une connaissance de cette tragédie dans ses grandes lignes.

 

Stéphane Audoin-Rouzeau & Jean-Jacques Becker, Encyclopédie de la Grande Guerre, Tempus, 2012, 1 810 pages (2 volumes), 25 €

 

 

 

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Actualités Recensions

Lettres béninoises

Broché: 185 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (22 janvier 2014)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10: 2226254692
ISBN-13: 978-2226254696
Dimensions : 20,4 x 14 x 2 cm

 Lettres béninoises

Rien n’est plus hasardeux que de décrire le futur. Beaucoup s’y sont risqués avec des fortunes diverses. L’économiste Nicolas Baverez se livre lui aussi à l’exercice. L’action de ses Lettres béninoises se situe en 2040. Alassane Bono, béninois, nouveau directeur du Fonds Monétaire International, débarque en France pour tâcher de remettre sur les rails un pays en totale déshérence. Dans les lettres qu’il envoie à sa famille et ses amis, il décrit l’état de décrépitude d’une France rongée par la dette, la désindustrialisation, la misère, l’abandon des institutions, le communautarisme. Disons-le, le tableau que dresse Nicolas Baverez de la France de demain a quelque chose d’apocalyptique. Ayant passé du 5ème au 25ème rang dans le monde pour la richesse et la puissance, la France est un pays en pleine déliquescence. Cette dégradation spectaculaire est d’abord le fruit d’un déni de réalité de la part des élites. Economie en faillite, dette colossale, abandon de l’euro, classe politique incapable, paupérisation, multiplication des zones de non-droit, etc. Tout y est et tout y passe ! Face à une Afrique qui redresse la tête et à la multiplication des puissances émergentes, l’Europe passe pour un continent anesthésié, seule l’Allemagne, comme toujours, arrivant à tirer son épingle du jeu. C’est n’est pas que les Français de 2040 manquent de ressort. Au contraire, Nicolas Baverez – alias Alassane Bono – voit du réconfort à la vue de ces entrepreneurs et de quelques politiques qui ne se résignent pas à la fatalité. Le problème, au fond, réside dans un Etat aussi obèse qu’impuissant, aveugle au cours du temps car ayant été incapable de mener les réformes nécessaires. D’un pessimisme noir, l’auteur n’en fini pas de décrire cette France qui tombe, titre d’un essai précédent. « Les Français ont ruiné l’Etat, fait-il écrire à son héros, en s’installant dans l’illusion que chacun, sans travailler, pouvait vivre à crédit aux dépens de son voisin. » (p. 35).

D’aucuns trouveront le tableau dressé par Nicolas Baverez trop noir. Sans doute y a-t-il une part d’exagération dans cette peinture d’une France pauvre et déclassée. Il n’empêche : les grandes tendances sont déjà et les problèmes que décrit l’auteur sont ceux que lui-même ou un Alain Peyrefitte décrivait il y a déjà trente ans. Trop de dénis, de réformes bâclées ou empêchées donnent du grain à moudre à l’auteur de ces Lettres béninoises.

 

 Nicolas Baverez, Lettres béninoises, Albin Michel, 2014, 186 pages, 14,25 €

 

 

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Histoire Recensions

Voyage au pays des Ze-Ka

Broché: 781 pages
Editeur : Le Bruit du temps (26 octobre 2010)
Langue : Français
ISBN-10: 2358730211
ISBN-13: 978-2358730211
Dimensions : 20,4 x 13,6 x 5,4 cm

  Voyage au pays des Ze-Ka

Soljenitsyne les appelait Zek, Julius Margolin les Ze-Ka. De qui s’agit-il ? Qui se cache derrière ces quelques lettres qui sonnent curieusement ? Les Zek ou Ze-Ka, ce sont les esclaves ayant constitué l’immense armée des réprouvés du système soviétique, les centaines de milliers d’hommes qui sont allés pourrir dans l’enfer concentrationnaire du Grand Nord.  A l’origine, Julius Margolin, juif et citoyen polonais, était pourtant bien disposé à l’égard de la Russie des Soviets mais voilà, les révolutions ont l’étrange et mortifère manie de manger leurs enfants et leurs amis. En 1939, alors que la Pologne est occupée à l’ouest par les Allemands et à l’est par les Soviétiques, J. Margolin choisit ce qui lui semble le moindre mal. C’était choisir entre la peste et le choléra. Soupçonné d’être contaminé par l’Occident, il est envoyé au Goulag sans autre forme de procès. Quant aux raisons de son arrestation, elles lui demeureront mystérieuses. Comme des centaines de milliers de ses congénères, il suffit d’un rien pour qu’une vie bascule. Une conversation banale avec un étranger et vous voilà condamné à dix ans de camp. Bien sûr, on pourra toujours rétorquer que les camps soviétiques ne sont pas les usines de la mort mises au point par le III° Reich. C’est vrai mais, en même temps, la comparaison paraît spécieuse. Entre les deux systèmes concentrationnaires, la différence se résume la plupart du temps à une question de temps : la mort viendra plus lentement dans un camp communiste, le plus souvent par manque de nourriture chronique et fatigue physique. Voyage au pas des Ze-Ka constitue la lente descente aux enfers d’un intellectuel raffiné, confronté à la brutalité d’un monde quasi kafkaïen, monde où la raison n’a plus court. Dans cet univers impitoyable domine le chacun pour soi. Accablé par tant de laideur et de méchanceté, l’auteur va jusqu’au bout de lui-même, entretenant tant bien que mal la flamme de la vie pour ne pas sombrer dans le désespoir. Il y aurait beaucoup à dire sur l’égoïsme des condamnés, la cruauté des prisonniers de droit commun à l’égard des politiques ou l’indifférence des gardes à la misère des Ze-Ka mais, ce qui ressort des conditions inhumaines infligées aux prisonniers reste le travail forcé et la faim lancinante.

Voyage au pays des Ze-Ka constitue l’un des témoignages les plus bouleversants qui aient jamais été écrit sur l’enfer concentrationnaire soviétique. Une démonstration capitale et captivante et, au final, un immense livre ! A mettre au même rang que les œuvres de Soljenitsyne et Chalamov.

 

Julius Margolin, Voyage au pays des Ze-Ka, Le Bruit du Temps, 2010, 783 pages, 28 €

 

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Recensions Religion

Le monde selon François

Broché: 174 pages
Editeur : Cerf (27 février 2014)
Collection : HISTOIRE A VIF
Langue : Français
ISBN-10: 2204101192
ISBN-13: 978-2204101196
Dimensions : 20,8 x 13,4 x 1,6 cm

 Le monde selon François

Un an après l’élection du cardinal Bergoglio au souverain pontificat, nombre de journalistes et d’observateurs tentent un premier bilan. Spécialiste des questions religieuses, Bernadette Sauvaget vient de publier un petit ouvrage fort éclairant, non seulement sur l’actuel pontificat, mais également sur la personnalité tout en paradoxe du pape François. « De quelle épaisseur humaine est fait ce nouveau pape  qui veut impérativement une réforme spirituelle et structurelle de son Eglise », s’interroge-t-elle dans l’introduction. Ce n’est pas seulement sur les « paradoxes d’un pontificat » – sous-titre du livre – qu’il faut s’interroger. En effet, la personnalité du pape jésuite n’est pas monolithique. Si le pape donne l’image d’un homme ouvert et sympathique, il n’en a pas toujours été ainsi. En Argentine, en tant que provincial des jésuites puis cardinal-archevêque de Buenos-Aires, il pouvait se montrer autoritaire et cassant. Aujourd’hui à la tête de l’Eglise catholique, on a l’impression qu’il révèle une autre nature, davantage bonhomme même si, en profondeur, il sait ce qu’il veut et n’hésite pas à décider d’autorité. Qui aurait cru que cet homme qui souriait peu et n’aimait pas sortir donne aujourd’hui le sentiment d’une grande affabilité et demande aux chrétiens, lorsqu’il s’agit d’évangélisation, de s’occuper d’abord des périphéries ? Ces différences ne sont en rien des revirements, encore moins des reniements de sa personnalité profonde. En fait, explique un familier du pape qui l’a bien connu en Argentine, « l’un des principes du cardinal, c’était de recevoir  la vie comme elle vient et de l’accompagner et non pas comme on prétendrait qu’elle devrait être » (p. 63).

Plaisant et facile à lire, Le monde selon François offre un éclairage convaincant  sur le pontificat qui commence. La personnalité de Jorge Mario Bergoglio attribue à ce dernier une tonalité particulière. En mettant ses pas dans ceux de saint François, il veut donner de l’Eglise l’image d’une institution proche et soucieuse de l’homme, plus décentralisée et collégiale. Cette dimension incarnée ne dissimule pas l’essentiel : qu’il se montre exigeant et autoritaire ou au contraire affable et ouvert, c’est d’abord sur la prière que le pape assied son action à la tête de l’Eglise.

Bernadette Sauvaget, Le monde selon François, Le Cerf, 2014, 176 pages, 20 €

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Recensions Religion

A la recherche du temps sacré

Poche: 263 pages
Editeur : TEMPUS PERRIN (6 février 2014)
Collection : Tempus
Langue : Français
ISBN-10: 2262043434
ISBN-13: 978-2262043438
Dimensions : 17,6 x 10,6 x 2,2 cm

 A la recherche du temps sacré

Publié à l’origine en 2011, A la recherche du temps sacré, du grand médiéviste Jacques Le Goff, fait l’objet d’une heureuse réédition. Tout l’ouvrage consiste en une lecture de la célèbre Légende dorée de Jacques de Voragine. En effet, pour J. Le Goff, La légende dorée n’est rien d’autre qu’une somme sur le temps, « à partir du temps calendaire de la vie quotidienne » (p. 235). Evidemment, il ne s’agit pas du temps de l’homme pressé d’aujourd’hui, mais du temps de l’homme médiéval, un homme à l’espérance de vie précaire et dont une grande partie de l’univers mental est marquée par le sacré chrétien. Le temps sacré médiéval repose sur la division entre le temporal, temps cyclique de la liturgie chrétienne et le sanctoral, marqué par la vie des saints. Dans l’univers surnaturel qui est le sien, Jacques de Voragine tente de raisonner de façon originale, en esprit rationnel. Il découpe l’année liturgique en plusieurs parties, du temps de la rénovation qui commence à l’Avent jusqu’à celui de la réconciliation  qui va du 18 mai (fête de saint Urbain) jusqu’au 27 novembre (saint Josaphat et saint Barlaam). Chacune des périodes (rénovation, réconciliation, pérégrination…) est l’occasion pour Jacques de Voragine d’entreprendre une catéchèse sur de grands noms bibliques ou des saints vénérés au Moyen Age. Chaque notice est à ses yeux une possibilité de catéchèse permettant de montrer qu’il existe un axe chrétien du temps, un début et un achèvement, ce que du reste la liturgie montre sous une autre modalité. C’est  avec un remarquable esprit pédagogique que J. Le Goff nous entraîne dans ce voyage dans la vie des saints, des martyrs et autres docteurs de l’Eglise.

A la recherche du  temps sacré marque la déférence de l’auteur pour Jacques de Voragine. En dépit des apparitions du merveilleux et du surnaturel, La légende dorée est, pour l’époque, une œuvre scientifique dans la mesure où son auteur n’hésite pas à hiérarchiser l’information, à distinguer le bon grain de l’ivraie.

Pour J. Le Goff, l’entreprise du célèbre dominicain était grandiose : « en s’appuyant sur le temps enchanter, sacraliser le monde et l’humanité ». Enchanter le monde ? Voilà qui serait salutaire à l’univers désenchanté qui est le nôtre.

Jacques Le Goff, A la  recherche du temps sacré, Tempus, 2014, 258 pages, 8.50 €

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Histoire Recensions

Les vingt jours de Fontainebleau

Broché: 294 pages
Editeur : PERRIN (23 janvier 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262039410
ISBN-13: 978-2262039417
Dimensions : 23,6 x 15,4 x 2,6 cm

 Les vingt jours de Fontainebleau

A la fin mars 1814 Napoléon, pris de court par des Alliés qui n’ont pas joué le jeu dans lequel il pensait les enferrer, gagne le château de Fontainebleau. Il va y rester jusqu’au 20 avril, date de son départ pour l’Ile d’Elbe. Que s’est-il passé entre temps ? Spécialiste de l’Empire et digne successeur de Jean Tulard, Thierry Lentz fait revivre jour après jour ce qui ressemble à une descente aux enfers pour celui qui, il y a peu, était encore le maître de l’Europe. Le vrai, c’est que, pour la première fois, Napoléon ne commande plus à son destin, il est à la merci des Alliés désireux d’abattre l’Empire et de restaurer la royauté. Ces Vingt jours de Fontainebleau ressemblent à un drame joué d’avance. Claquemuré dans son palais, Napoléon se trouve, pour la première fois de sa vie, à la merci des autres, en l’occurrence des puissances alliées qui occupent Paris, mais aussi de chefs militaires qui, ayant peur de tout perdre à la veille de la clôture de la tragédie, n’entendent pas se laisser dicteur leur conduite. Les maréchaux français tiennent à montrer que, pour respectueux qu’ils demeurent vis-à-vis de celui à qui ils doivent quasiment tout, ne sont pas prêts à tout sacrifier. L’épopée ne saurait se terminer dans un bain de sang. Certains, comme le maréchal Marmont, iront jusqu’à trahir pour sauvegarder leurs intérêts et ainsi complaire au nouveau régime. En fin d’ouvrage, l’auteur se lance dans un parallèle qui est loin d’être anachronique. Faisant la comparaison entre la fin de l’Empire napoléonien et celle du III° Reich, il tient à dire combien la conduite de l’Empereur a été sage. Jamais celui-ci n’a voulu entraîner son pays dans une sorte de Götterdämmerung, un crépuscule des dieux empli de massacres et de ruines ; « Le contexte social et politique autant que la personnalité de Napoléon, conclut l’auteur (p. 20), n’étaient pas compatibles avec un suicide collectif. » Le livre, au final, dit beaucoup de la personnalité de Napoléon, son inspirateur principal.             Servi par une science sûre, un rythme soutenu et l’utilisation des meilleures sources, l’ouvrage de Thierry Lentz fera certainement date et ce sera justice. Les pages de notes avec leur appareil critique sont d’ailleurs significatives de la valeur de l’ouvrage.   Thierry Lentz, Les vingt jours de Fontainebleau, Perrin, 2014, 294 pages, 23 €

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Actualités Recensions

Pourquoi les riches ont gagné

Broché: 153 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (8 janvier 2014)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10: 2226254706
ISBN-13: 978-2226254702
Dimensions : 22,4 x 14,4 x 2 cm

 Pourquoi les riches ont gagné

Le livre de Jean-Louis Servan-Schreiber n’est pas le premier à s’ouvrir sur cette parole de Warren Buffett, la deuxième fortune des Etats-Unis : « La guerre des classes existe toujours, mais c’est nous, les riches, qui la menons. Et nous la gagnons. » De fait, jamais les riches n’ont été aussi nombreux. En France, est considéré comme riche celui dont les revenus dépassent 4 500 euros mensuels ; c’est dire si l’écart est considérable entre un salarié qui gagne bien sa vie, et qui est donc considéré comme riche si l’on tient compte des mesures de l’INSEE, mais qui est bien loin d’atteindre les 20 milliards de patrimoine de Bernard Arnault. La richesse est protéiforme, multiforme ; elle tient au talent (entrepreneurs, artistes…) comme à l’héritage. Pourquoi, à l’échelle du monde, la multiplication des riches ? Tout simplement parce que « des décennies de croissance à l’échelle internationale ont empilé de telles masses d’argent qu’il en découle une prolifération des riches » (p. 39). Après quelques chapitres sur les soucis, besoins et caprices des riches, suit en fin de livre le chapitre-phare, les pages qui expliquent les raisons du succès des riches (parce qu’ils sont devenus de puissants acteurs sociaux, qu’ils sont experts en stratégie fiscale planétaire, qu’ils possèdent le pouvoir d’informer, etc.) A en croire l’auteur, les riches ont de quoi être tranquilles très longtemps. En effet, ils ont gagné la guerre des classes en devenant un modèle envié. Certes on peut les jalouser mais leur ostentation médiatique ne joue pas l’effet repoussoir que l’on croit. Enfin – cerise sur le gâteau ! – « tout se passe comme si les riches avaient gagné, financièrement bien sûr, mais aussi politiquement et presque idéologiquement ». (p. 20) On pourrait se consoler en pensant que, logiquement et mathématiquement, l’élévation du nombre de riches entraîne l’arrachement à la pauvreté des plus petits, ce qui est vrai. En revanche, ce qui peut sembler désespérant, c’est le fait que la lutte contre les inégalités – – qui n’ont jamais été aussi élevées – semble complètement obsolète ; elle ne semble plus intéresser grand monde. Pour les acteurs politiques, ce n’est pas la réduction des inégalités qui est première, c’est la création d’emplois. Tout en concevant bien ce changement, Jean-Louis Servan-Schreiber indique que la situation actuelle est destinée à durer : quand on est riche, il y a tout lieu de croire que c’est pour longtemps. Et tant pis pour les pauvres !   Jean-Louis Servan-Schreiber, Pourquoi les riches ont gagné, Albin Michel, 2014, 154 pages, 14.50 €