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Histoire Recensions

Charles le Téméraire

Éditeur : Perrin (5 février 2015)
Langue : Français
Broché : 480 pages
ISBN-10 : 2262043027
ISBN-13 : 978-2262043025
Poids de l’article : 660 g
Dimensions : 15.6 x 3.7 x 24.1 cm

Qui, dans les jeunes générations, connaît encore la vie du flamboyant duc de Bourgogne, le « grand-duc d’Occident », Charles le Téméraires (1433-1478) ? Les plus âgés, se remémorant des souvenirs d’école, ont peut-être gardé à l’esprit ces images où se faisaient face à face le flamboyant Charles et le tortueux Louis XI. D’un côté le matamore à l’imagination débordante, attifé comme un satrape oriental ; de l’autre, un roi perfide, ennemi du luxe et de forfanterie, tissant sa toile pour mieux étouffer son ennemi. On sait comment s’acheva cette inexpiable lutte : par la mort du duc au siège de Nancy, son ultime défaite, celle qui devait précipiter l’écroulement définitif de cette construction hétérogène et mal agencée qu’étaient les Etats bourguignons, l’ancienne Lotharingie, couvrant l’espace situé entre le Rhin et la Meuse, limité au sud par le duché de Bourgogne et le comté de Bourgogne. Avec le souci pédagogique qui est le sien, la sûreté de ses sources et l’intelligence du propos, Georges Minois a réussi là une biographie de bout en bout impeccable. Sous sa plume, ce qui paraît obscur s’éclaircit, le complexe devient plus simple.

Georges Minois, Charles le Téméraire, Perrin, 2015, 543 pages, 25€

L’extrait : « En dix ans, il (Charles le Téméraire) a réussi à anéantir un siècle de patients efforts de trois générations de ducs de Bourgogne. » (p. 507)

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Actualités Recensions

L’univers à portée de main

Broché : 448 pages
Editeur : FLAMMARION (8 novembre 2017)
Collection : SCIENCE POPULAI
Langue : Français
ISBN-10 : 2081422204
ISBN-13 : 978-2081422209
Dimensions : 24 x 3 x 15,4 cm

Christophe Galfard consacre un gros volume pour expliquer l’univers, l’infiniment grand et l’infiniment petit. Dans ce voyage intemporel où les choses apparemment les plus simples se trouvent entourées d’une incroyable complexité, il faut heureusement compter sur la pédagogie déployée par l’auteur. Ici, pas de formules mathématiques ni d’équations, mais le désir se mettre la science à portée de tous, avec des mots simples et un petit effort d’imagination. Mystérieux, étrange, surprenant… le voyage auquel l’auteur convie les lecteurs, pour excitant qu’il soit, requiert la plus grande attention tant le monde qui nous entoure voit ses dimensions changer de façon radicale. Voguer par l’imagination au bord extrême de l’univers, à quatorze milliards d’années-lumière de la terre ou se terrer dans les particules les plus élémentaires, tel est le pari lancé par C. Galfard… une sorte de voyage initiatique à la recherche de ce qui anime l’univers depuis sa naissance il y a 13,8 milliards d’années. Par la simplicité et l’intelligence du propos, C. Galfard a le grand mérite de faire progresser le lecteur de quelques pas.

Christophe Galfard, L’univers à portée de main, Flammarion, 2015, 443 pages, 19.90€

L’extrait : « Une particule est une onde qui se balade partout avant de redevenir une particule lorsqu’on la détecte. Je viens de vous prouver que la réalité change dès qu’on essaie de la sonder. » (page 251)

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Actualités Recensions

Comment tout peut s’effondrer

Broché : 304 pages
Editeur : Le Seuil (9 avril 2015)
Collection : Anthropocène
Langue : Français
ISBN-10 : 2021223310
ISBN-13 : 978-2021223316
Dimensions : 14,1 x 1,7 x 19,1 cm

 Comment tout peut s’effondrer

Et si notre civilisation était au bout du rouleau, en phase de liquidation à force d’avoir brûlé en quelques décennies l’essentiel de son carburant ! Telle est l’hypothèse que Pablo Servigne et Raphaël Stevens développent dans ce livre passionnant. Dans les premiers chapitres, ils utilisent l’image d’une humanité ressemblant à un bolide à la direction faussée et qui foncerait à vitesse accélérée en direction d’un gouffre. Il faut dire que les chiffres qu’ils énoncent – qu’ils proviennent du GIEC ou d’organismes privés – font froid dans le dos. Nous consommons la plupart de nos ressources à des vitesses record et nous en voulons toujours plus. La vogue du progrès à outrance de la consommation folle ne sont tout simplement plus de mise dans le cadre du monde fini qu’est le nôtre. Le problème, c’est que les élites politiques et économiques font de la croissance l’horizon indépassable de l’humanité et que tous nous préférons nous plonger la tête dans le sable et profiter des plaisirs de la vie, dussent-ils coûter cher en calories ou en kilowatts. Nous savons, par exemple, que l’exploitation effrénée du pétrole de schiste est catastrophique pour l’environnement, que d’ici quelques décennies le seul pétrole exploitable coûtera un prix prohibitif ; pourtant, nous continuons à organiser des courses de bagnoles, source de pollution sonore et atmosphérique. Si les auteurs de Comment… s’avouent catastrophistes, ils demeurent cependant d’un optimisme raisonnable. Notre civilisation court inéluctablement à sa perte. Ce sera la fin d’un monde mais non pas la fin du monde. Il faut compter sur la capacité de résilience de l’espèce humaine, sur des valeurs telles que la générosité et la solidarité pour bâtir un autre monde. Un monde où le bonheur ne reposera pas sur l’accumulation des biens et la recherche illusoire d’un mythe appelé progrès. Après l’effondrement, il y aura un avenir à penser et à vivre.

 

Pablo Servigne & Raphaël Stevens, Comment tout peut s’effondrer, Le Seuil, 2015, 296 pages, 19€

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Le Mur de l’Ouest n’est pas tombé

Broché : 288 pages Editeur : PIERRE-GUILLAUME DE ROUX (29 mai 2015) Collection : PGDR EDITIONS Langue : Français ISBN-10 : 2363711289 ISBN-13 : 978-2363711281 Dimensions : 22,5 x 2,3 x 14 cm
Broché : 288 pages
Editeur : PIERRE-GUILLAUME DE ROUX (29 mai 2015)
Collection : PGDR EDITIONS
Langue : Français
ISBN-10 : 2363711289
ISBN-13 : 978-2363711281
Dimensions : 22,5 x 2,3 x 14 cm

 Le Mur de l’Ouest n’est pas tombé

Le dernier livre de l’essayiste Hervé Juvin est plus un pamphlet qu’une étude longuement mûrie sur le monde contemporain. Avec la chute du mur de Berlin, l’Europe pensait avoir recouvré son unité et son indépendance. Beaucoup croyaient à l’époque qu’elle jouerait à nouveau un rôle de premier plan dans l’histoire du monde. Hélas, c’était ne pas vouloir comprendre que la construction européenne se muerait en une sorte de coquille vide et que l’imperium américain ne consentirait jamais à laisser l’Europe devenir une puissance majeure. Bien sûr, il est toujours possible de considérer que la domination américaine est moins pesante qu’à l’époque de l’Union Soviétique. A cet égard, il est certain que l’émergence de puissances comme la Chine ou l’Inde paraît avoir affaibli la prépondérance américaine. Si l’on y regarde de plus près, on peut faire un autre constat. La puissance américaine a mué, elle a changé. Pour Hervé Juvin, ce qui compte désormais, c’est moins le nombre de tanks et de tonnes d’acier fabriquées que l’environnement international. Or, celui-ci s’est fondu dans une globalisation qui doit beaucoup aux grandes compagnies états-unienne, genre Google ou Amazon. C’est grâce à de tels leviers que l’américanisation du monde est en marche. Hervé Juvin ne s’en prend pas aux USA en tant que tel, il considère seulement que ce pays est devenu le tremplin de tous ceux qui pousse au règne omnipotent de la globalisation, de Georges Soros aux mafieux ukrainiens. Face à ce bulldozer, l’Europe, incapable d’avoir une politique cohérente et ambitieuse, ne pèse pas lourd. Dans cet essai un peu brouillon, Hervé Juvin appelle au non-alignement de l’Europe et au rapprochement avec des acteurs majeurs comme la Russie. Parfois confus, Le Mur de l’Ouest… rappelle un certain nombre d’urgences, qu’elles soient politiques, militaires, économiques ou environnementales. Comment, tout comme lui, ne pas être pantois devant le fait que nous continuions à confondre économie et raison de vivre, croissance et civilisation. Que les hommes mettent du temps à comprendre le monde !

 

Hervé Juvin, Le Mur de l’Ouest n’est pas tombé, Pierre-G. de Roux, 2015, 276 pages, 23€

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Recensions Religion

L’avenir de Dieu

Broché : 286 pages
Editeur : CNRS (1 octobre 2015)
Collection : HISTOIRE
Langue : Français
ISBN-10 : 2271086671
ISBN-13 : 978-2271086679
Dimensions : 22 x 2,3 x 14 cm

 L’avenir de Dieu

Un livre signé Jean Delumeau suscite toujours l’intérêt. Sans déroger à cette règle, L’avenir de Dieu se signale par un autre caractéristique. Aujourd’hui âgé de 93 ans, Jean Delumeau évoque la possibilité que cet ouvrage soit son dernier. C’est la raison pour laquelle il s’attache ici à revenir sur les aspects principaux de son œuvre, les domaines dans lesquels il a poussé le plus loin sa recherche. Jeune historien, Jean Delumeau s’est intéressé au départ à l’alun de Rome, cette matière naturelle permettant aux teinturiers du Moyen Age finissant et de la Renaissance de fixer les couleurs. Puis, de fil en aiguille, un peu par hasard, il va s’intéresser à ce qui va constituer son grand œuvre, l’histoire des mentalités religieuses dans l’Occident médiéval dont il occupera la chaire au Collège de France. Si le champ d’exploration de l’auteur concerne les siècles passés, il n’en reste pas moins que l’emprunte de l’évolution des mentalités religieuses connaîtra une influence qui résonnera durant les siècles postérieurs. Certaines explications données par J. Delumeau demeurent encore d’actualité, par exemple pour expliquer la déchristianisation. L’image d’un Dieu punisseur et vengeur, dont on trouve encore des traces au début du XX° siècle, explique-t-elle en partie la rapidité de la déprise du christianisme dans nos sociétés ? Si on suit l’historien, c’est très possible. De même l’iconographie de la Vierge au grand manteau constitue-t-elle l’élément le plus visible du système d’assurance que s’était donné un peuple chrétien angoissé par son salut. L’avenir de Dieu est aussi l’occasion de revenir sur un de ses ouvrages phares, La peur en Occident, afin d’en distinguer initiateurs et destinataires. La diffusion de la peur fut davantage perçue dans les classes privilégiées et les prédicateurs lui attribuèrent une importance excessive. On sait que la peur ne suffit pas, loin de là, à faire des croyants conséquents. Autres chapitres passionnants, ceux concernant la localisation du paradis, paradis que les aventuriers, à commencer par Christophe Colomb, se faisaient fort de dénicher.

Pour modeste qu’il soit dans sa pagination par rapport à des livres comme Le péché et la peur, L’avenir de Dieu possède la pertinence des meilleures synthèses : raconter l’essentiel de façon simple et en peu de pages. Pari tenté et pari réussi !

 

Jean Delumeau, L’avenir de Dieu, CNRS Editions, 2015, 286 pages, 24€

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Histoire Recensions

La vie quotidienne au Moyen Age

Broché : 379 pages
Editeur : Perrin (23 avril 2015)
Collection : Pour l’histoire
Langue : Français
ISBN-10 : 2262041199
ISBN-13 : 978-2262041199
Dimensions : 21 x 3,3 x 14 cm

  La vie quotidienne au Moyen Age

Depuis les travaux d’une Régine Pernoud et d’un Jacques Le Goff, une certaine image du Moyen Age tend à s’estomper. A la vision sanglante et sordide qu’avait imposée un Michelet ou un dessinateur comme Gustave Doré fait aujourd’hui pièce un monde plus accord avec la réalité. Le Moyen Age, c’est l’Inquisition et les Croisades, mais c’est aussi l’amour courtois, le moulin à roue et la sauvegarde du legs antique dans les monastères. Les historiens s’attachent trop aux événements politiques, diplomatiques et culturels d’une période. Ce faisant, n’avaient-ils pas tendance à oublier ce qui fonde la société, ce qui la charpente dans ses unités les plus petites, lui permettant de faire corps ? Rien de tel que d’étudier la vie quotidienne dans ses composantes les plus diverses : comment l’homme médiéval s’habillait-il, se chauffait-il, se distrayait-il, se soignait-il, mourait-il et ainsi de suite ? En de courts chapitres, agréables et faciles à lire, Jean Verdon réussit à donner un visage aux hommes et aux femmes de ce temps, bien loin des images d’Epinal forgées par l’historiographie d’autrefois. Vu le sujet, cette Vie quotidienne apparaît très factuelle. Mais l’auteur n’a pas oublié de prendre un peu de recul. Certaines de ses observations paraissent particulièrement frappantes. J’ai noté celles-ci : que l’homme médiéval était moins sensible que nous au temps qui passe, et que « la soumission à la nature, la croyance en un au-delà ont peut-être permis à l’homme médiéval d’acquérir, malgré une existence plus courte que la nôtre, une certaine sagesse que nous ne possédons plus. » (p. 372)

Le livre foisonnant de Jean Verdon ravira le lecteur désireux de découvrir ou de redécouvrir la période. Quant au lecteur affûté, il pourra trouver à redire. En effet, tâcher d’embrasser un temps long de dix siècles en des chapitres variés et courts ne permet pas d’aller au fond des choses. Se distraire, voyager ou se nourrir, qu’on ait vécu sous Charlemagne ou Louis XI, devaient relever de pratiques différentes. Au sein de l’immense Moyen Age il en existait beaucoup de petits. Ce petit bémol ne doit toutefois pas dissimuler le bonheur de la découverte.

Jean Verdon, La vie quotidienne au Moyen Age, Perrin, 2015, 379 pages, 21€

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Actualités Recensions

Ce pays qui aime les idées

Broché : 480 pages
Editeur : FLAMMARION (26 août 2015)
Collection : Au fil de l’histoire
Langue : Français
ISBN-10 : 2081303531
ISBN-13 : 978-2081303539
Dimensions : 24,1 x 3 x 15,4 cm

 Ce pays qui aime les idées

Professeur à Oxford, francophile, Sudhir Hazareesingh continue de se passionner pour la vie littéraire et l’histoire politique de notre pays. Il est vrai que les deux ont souvent connu des relations passionnées et tumultueuses. Ce n’est pas la première fois qu’un intellectuel étranger est fasciné par l’intérêt, voire l’amour, que les Français portent pour les idées. Il n’est pas inintéressant de constater qu’il y a quelques décennies la France avait le parti communiste le plus puissant d’Europe occidentale et que, à l’opposé de l’échiquier politique, le mouvement royaliste L’Action Française berçait les illusions monarchistes de centaines de milliers de nos compatriotes. Dans l’Entre-Deux-Guerres Maurice Chevalier avait chanté la diversité des appartenances politiques des Français, suggérant ainsi que le pays n’était pas encore remis de ses dissensions : « Le colonel était d’Action Française, Le commandant était un modéré, Le capitaine était pour le diocèse, Et le lieut’nant boulottai du curé… » L’efflorescence d’idées, qu’elles soient politiques, artistiques ou littéraires, amuse l’auteur. En tout cas, elle suscite suffisamment son intention pour que ce dernier publie ce qu’il qualifie d’Histoire d’une passion française. Peuple autrefois littéraire, les Français n’ont jamais caché leur intérêt pour la bataille d’idées. L’auteur a retenu une dizaine de domaines dans lesquels s’est exercée cette passion nationale ou qui, à l’image du premier chapitre, montre ce paradoxe très français : on se flatte d’être cartésien, d’honorer Descartes, son Cogito et sa rigueur logique mais, en même temps, on s’enthousiasme pour les apôtres du structuralisme et de la déconstruction. Qu’ont de commun l’esprit de finesse et de géométrie des âges classiques avec l’embrigadement dans les ligues patriotiques des avant-guerres et l’aveuglement d’une grande part du peuple de gauche à l’endroit du Petit père des peuples ? Sudhir Hazareesingh clôt son ouvrage sur la domination d’une vision décliniste de la France donnée par Alain Finkielkraut ou Eric Zemmour, terriblement éloignée des visions futuristes des socialistes utopiques du XIX° siècle. Etrange pays que le nôtre, remarque l’auteur, hanté par le souvenir de ses luttes picrocholines et soucieux par son aspiration à l’universel. Passionnant !

 

Sudhir Hazareesingh, Ce pays qui aime les idées, Flammarion, 2015, 469 pages, 23.90€

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Actualités Recensions

Le marché n’a pas de morale

Broché : 159 pages
Editeur : Cerf (6 novembre 2015)
Collection : ACTUALITE
Langue : Français
ISBN-10 : 2204105473
ISBN-13 : 978-2204105477
Dimensions : 21 x 1,3 x 13,5 cm

 Le marché n’a pas de morale

Comment faire société lorsque le projet commun fait défaut et que le pays n’est plus qu’un ramassis de communautés juxtaposées qui s’ignorent ? Dans cet ouvrage dense et tonique, Mathieu Detchessahar dresse un tableau sans complaisance de la société française contemporaine. D’où proviennent ces délitements ? Pour l’auteur, la racine de ces fractures est à chercher du côté de ce qu’il appelle « les échecs du projet de société de marché » (p. 19) En même temps qu’elle déconstruisait l’ordre ancien, la société de marché proposait « une nouvelle idole, une ultime sacralité : l’abondance matérielle comme horizon de tous nos besoins et solution à tous nos maux. » (p. 20) Autrement dit, le tout économique a tellement désenchanté le monde qu’il nous est devenu difficile de faire société. Le problème, c’est que l’augmentation du niveau de vie ou la hausse du PIB ne font pas un projet collectif. Au contraire, ils nuisent à ce dernier en ce qu’ils provoquent le repli sur soi. Cela ne revient pas à dire que la société de marché n’a pas de morale. Au contraire, elle s’adosse aux modes et mouvements culturels véhiculés par l’ordre libertaire, c’est-à-dire des droits de l’homme non bordés, suite de revendications de type sociétal visant à satisfaire les ego. Dans cette optique, il convient de balayer tout ce qui pourrait rappeler l’ordre ancien, du socialisme utopique au catholicisme. Problème, le culte inouï porté à la tolérance et à la liberté absolue entraîne des corollaires corrosifs pour les liens sociaux : relativisme culturel, culte du moi et horizontalité marchande sont par nature incapables de porter un projet susceptible d’entraîner l’adhésion de la majorité. L’illustration de cette société flottante se traduit dans le modèle des très grandes sociétés, géants mondialisés devenus, aux dépens des Etats, « des autorités centrales de la société de marché. » (p. 52) Désormais, c’est la très grande entreprise qui dit le bien, position illusoire car son objectif premier est de remplir les poches des actionnaires.

Dans ce livre pessimiste, Mathieu Detchessahar montre avec brio que la seule logique marchande ne fonde pas un projet de société. Elle fait même tout le contraire. Pour contrer ses effets délétères, il faudrait refaire de la politique, c’est-à-dire réfléchir sur le sens de la vie, sur l’homme et ses fins. Il y a urgence !

 

Mathieu Detchessahar, Le marché n’a pas de morale, Cerf, 2015, 160 pages, 14€

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Biographies Recensions

Isaac Babel

Broché : 343 pages
Editeur : Perrin (2 septembre 2015)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262040168
ISBN-13 : 978-2262040161
Dimensions : 21,1 x 2,9 x 14,2 cm

 Isaac Babel

La littérature russe ne s’est pas éteinte avec la révolution de 1917. Gorki, Mandelstam, Pasternak et Soljenitsyne figurent au panthéon des grands écrivains russes dont les œuvres les plus fortes ont paru à l’époque de la tyrannie stalinienne ou lors de la glaciation brejnévienne. Parmi ces auteurs, Isaac Babel occupe une place singulière. Moins, au départ, pour son œuvre écrite que pour sa carrière. Ayant adopté les idées révolutionnaires en rétorsion des pogroms auxquels se livraient régulièrement les autorités tsaristes, Babel rejoint le camp de la révolution dès 1917. A l’instar de nombreux juifs, il se prend de sympathie pour une révolution qui, il l’espère, rendra la vie moins rude à ses compatriotes et à ses coreligionnaires. En 1920, il accompagne l’armée de cavalerie qui doit s’emparer de Varsovie, lors de la guerre entre la Pologne et le jeune Etat soviétique. De cette chevauchée, il en tirera une œuvre mondialement connue : L’armée de cavalerie, œuvre par la suite plus connue sous le titre de Cavalerie rouge. L’œuvre montre toute l’ambivalence qui est celle de nombreux intellectuels ayant embrassé la cause communiste : une sorte de sympathie critique, une ligne de crête sur laquelle, le régime se durcissant, il devient de plus en plus difficile de se tenir debout. Sur le plan littéraire, Cavalerie rouge dévoilait un style puissant. Sur le plan idéologique, la cause semblait plus difficile à entendre et à défendre. En effet, avec Cavalerie rouge, dit l’auteur, « Babel fait preuve d’un insolent aplomb en baptisant de la sorte une brassée de récits où le lecteur ne trouvera ni l’histoire de cette armée, ni la description de ses régiments, ni un catalogue de ses prouesses. » (p. 106) Chose étonnante, une grande partie de la vie de l’écrivain se déroula entre Moscou et Paris. Babel entretint des liens étroits avec les deux André, Gide et Malraux. Lors des Grandes Purges (1937-1938), le couperet ne tarda pas à s’abattre sur l’auteur de Cavalerie rouge. Son œuvre était jugée « d’une valeur artistique indéniable, mais sans rien de prolétarien » (p. 114). Gorki mort, il n’y avait plus personne pour défendre un romancier qui avait souvent flirté avec la liberté de pensée car, s’il épousait la plupart des convictions communistes, Babel tenait à garder son esprit critique. Cette liberté de ton ne devait pas tarder à être payée comptant : Babel fut fusillé en 1940.

 

Adrien Le Bihan, Isaac Babel, Perrin, 2015, 343 pages, 22€

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Recensions Religion

La « famille chrétienne » n’existe pas : L’Église au défi de la société réelle

Broché : 220 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (2 septembre 2015)
Collection : SPIRITUALITE
Langue : Français
ISBN-10 : 2226316361
ISBN-13 : 978-2226316363
Dimensions : 19 x 1,6 x 12,5 cm

 La « famille chrétienne » n’existe pas

Habitué aux travaux bibliques, André Paul a laissé la théologie pour s’intéresser de près au synode romain de 2014 et 2015 consacré à la famille. Le catholique qu’il est regrette que les pères synodaux n’aillent pas suffisamment loin dans leur souci de réforme, notamment en ce qui concerne l’accueil des personnes divorcées-remariées et homosexuelles. La faute, selon lui, à cette très vieille idée selon laquelle il existerait une « famille chrétienne », une famille type, idéale, réunissant en son sein idéal de vie, grâce et sainteté. Or, nous dit l’auteur, cette famille hors-sol, chimérique et fantasmée, n’existe tout simplement pas. Notant le désir du pape François et de certains évêques de dépoussiérer des pratiques ecclésiales qui font trop la part belle à une discipline qu’il juge surannée, André Paul regrette le poids que continue de faire peser sur les pratiques pastorales une morale hantée par le péché et le sexe. Après avoir dénoncé cette famille irréelle souhaitée par l’institution ecclésiale, André Paul reproche à cetet dernière d’accorder trop d’importance au sexe, pas assez à l’amour, oubliant au passage que Jésus a combattu le modèle de la famille antique dans laquelle l’épouse pouvait être répudiée au moindre saute d’humeur de son mari. Cet éloignemnet de l’Evangile, il le retrouve dans le ton de certaines déclarations officielles où l’empathie et la compréhension cèdent la place à la commisération.

A travers les paroles dures qu’il adresse à l’institution, l’auteur ne fait rien d’autre que souhaiter une approche plus sympathique de l’Eglise à l’égard de la société. L’évangélisation ne gagnera rien de condamnations et stigmatisations. Dans son essai trop court, on regrettera que l’éminent bibliste fasse fi des éléments canoniques et historiques qui ont assuré la stabilité du mariage en Occident. Les choses ne sont jamais simples. Le souci très louable de l’auteur eut été mieux servi s’il avait consenti à regarder l’œuvre de grands anciens comme Jean Gaudement et Gabriel Le Bras, deux spécialistes du mariage aujourd’hui décédés et dont les travaux mettent en lumière la complexité de l’édification du sacrement de mariage, clé de voûte de la famille durant des siècles.

 

André Paul, La « famille chrétienne » n’existe pas, Albin Michel, 2015, 208 pages, 15€