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Actualités Recensions

L’art de la marche

Broché : 226 pages
Editeur : Editions Albin Michel (4 mai 2016)
Collection : LITT.GENERALE
Langue : Français
ISBN-10 : 2226326065
ISBN-13 : 978-2226326065
Dimensions : 20,5 x 2 x 14 cm

 L’art de la marche

Ils sont de plus en plus nombreux à déguerpir, à fuir le monde bruyant et animé qui nous environne, pour marcher, s’emplir les poumons de l’air de la liberté. Que l’on soit pèlerin de Compostelle ou marcheur au long cours, c’est là le sentiment qui domine. S’affranchir du temps, de l’espace, des préoccupations journalières, il n’y a rien de mieux en matière de liberté. Lorsqu’il quitte Paris pour rejoindre une cabane située au fin fond de la Sibérie, c’est à l’accomplissement d’une liberté pleine et entière qu’aspire Sylvain Tesson. L’écrivain Olivier Bleys, qui livre son témoignage autour de L’art de la marche, est titillé par le même besoin. S’ajoute chez lui, semble-t-il, le goût de rompre la monotonie du quotidien en s’affligeant maux et tracas. L’auteur s’est donné comme défi de faire le tour du monde par étapes annuelles. Tous les ans, durant l’été, Olivier Bleys accomplit un périple de plusieurs centaines de kilomètres : d’Albi à Lyon, puis de Lyon à Alberville, d’Alberville à Andermatt en Suisse… Commencé à Albi, le récit qu’il livre ici s’achève en Hongrie, à quelques encablures de l’Ukraine. Dans un style délié, Olivier Bleys fait valoir ses talents de conteur… et de marcheur. Le périple qu’il accomplit, aussi loin que possible de la civilisation, atteste de réelles qualités physiques. Il s’avère que, même dans notre petite Europe, il est possible de vivre l’aventure. Pour ce faire, mieux vaut choisir de longues distances et préférer l’altitude et les sommets au cours plus rapide et plus sûr – mais plus encombré et plus pollué ! – que les vallées. Quand trouver de l’eau s’avère une tâche redoutable, le récit passionnant d’Olivier Bleys fait prendre conscience du confort qu’offre la civilisation.

Surgissent ici et là, cerise sur le gâteau d’un récit plein de panache, de pertinentes réflexions sur l’aménagement du territoire, pour dénoncer par exemple cette surenchère de panneaux, chicanes et dos d’âne qui défigurent nombre de nos villages. Un magnifique récit.

 

Olivier Bleys, L’art de la marche, Albin Michel, 2016, 227 pages, 16€

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Histoire Recensions

Une journée avec

Broché : 380 pages
Editeur : Perrin (4 mai 2016)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262050708
ISBN-13 : 978-2262050702
Dimensions : 14,1 x 3,4 x 21,1 cm

 Une journée avec

Fruit du travail commun d’une quinzaine de collaborateurs, Une journée avec se donne pour objectif de décrire la journée type d’un homme ou d’une femme illustre, de Charlemagne à Elizabeth II d’Angleterre. Autant dire qu’avec un tel sujet le lecteur se trouve bien plus souvent dans le cabinet de travail, la chambre à coucher ou la salle à manger d’un roi ou d’un président que sur un champ de bataille  ou dans une réunion diplomatique. La quinzaine de contributions présentées dans ce livre, toutes plaisantes à lire, donne raison au célèbre adage de Napoléon affirmant que, pour un domestique, il n’y a pas de grand homme. Si d’apparence Une journée avec nous emmène volontiers dans la petite histoire, il n’en reste pas moins que celle-ci possède des liens solides avec sa sœur jumelle, la grande histoire. En effet, il n’est pas dit que les habitudes horaires, alimentaires ou autres d’un personnage de premier plan n’ont pas eu d’influence sur sa destinée. La façon qu’avait Napoléon Ier de travailler et de mener une journée en dit long sur le comportement qu’il eut jusque dans les grandes affaires : cette hâte, cette hyperactivité qui parfois s’apparentait à de la précipitation a pu gâter de très pertinentes intuitions. On pourra conseiller à nombre de nos contemporains, soucieux d’être sans cesse connectés, « La vie de caserne de Charles de Gaulle à l’Elysée ». L’article donne à voir un De Gaulle détestant le téléphone, un engin qui coupe le fil de votre conversation et oblige à reprendre plusieurs fois la même démonstration. Une mention particulière au « Dimanche ordinaire de François Mitterrand », portrait très savoureux.

Sur un thème original, conduit par des récits menés tambour battant, Une journée avec, s’il n’a pas la prétention de constituer un grand livre d’histoire, fait pénétrer le lecteur dans l’intimité des grands de ce monde, passé et présent. Ce faisant, il éclaire des personnalités et offre une vue originale sur leur cheminement intérieur.

 

Claude Quétel & Franz-Olivier Giesbert, Une journée avec, Perrin, 2016, 380 pages, 21€

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Un an dans la vie d’une forêt

Poche : 366 pages
Editeur : Flammarion (9 mars 2016)
Collection : Libres champs
Langue : Français
ISBN-10 : 2081375656
ISBN-13 : 978-2081375659
Dimensions : 17,8 x 1,5 x 10,9 cm

 Un an dans la vie d’une forêt

A l’instar des moines bouddhistes qui cherchent à contempler l’univers à partir d’un cercle de terre ou de sable appelé mandala, le biologiste américain David Haskell a voulu observer, au cœur de la forêt des Appalaches, à l’est des Etats-Unis, un mètre carré de verdure. Il a été poussé à faire cette expérience parce qu’il était convaincu « que l’écosystème forestier tout entier est visible sur une parcelle de la taille d’un mandala » (p. 8). Oui, il est possible, quand on est biologiste de chercher à comprendre une forêt par la contemplation d’un arbre ou d’un caillou, le vol d’un rapace, le ballet d’un écureuil. Tout devient objet d’examen, d’observation… et d’étonnement : la danse amoureuse des escargots, hermaphrodites comme chacun sait, le travail des fourmis, la gourmandise de ces milliards de minuscules insectes qui dévorent les feuilles tombées des arbres en automne, la façon dont les plantes se protègent d’un froid trop intense ou d’une brusque sécheresse… L’observation est ici d’une finesse et d’une méticulosité incroyables. Alors que le commun ne voit dans une salamandre qu’un animal, certes utile mais peu ragoutant, le biologiste s’extasie sur son système respiratoire, lequel permet à la salamandre (qui respire par la peau) « de se colleter avec ses proies sans devoir s’arrêter pour respirer. » (p. 68) L’architecture d’un arbre donne l’idée à l’auteur de voir quelles sont les ramilles qui, dans la courses qu’elles se livrent pour gagner de la lumière, échapperont à la mort. Mêmes les herbes les plus menues et les mousses les plus insignifiantes deviennent un objet d’étude. Dans le vaste théâtre de la nature, rien n’est là par hasard. Tout, y compris ce qui semble négligeable et infime, a son importance.

Hymne à la nature empli de poésie, remarquablement écrit et traduit, Un an dans la vie d’une forêt fait toucher du doigt la prodigieuse richesse et inventivité de la Création. Ce livre devrait être sur la table de chevet de tous ceux qui voient dans le progrès à tout crin la destinée ultime de l’espèce humaine. Notre avenir, dit D. Haskell, réside dans une communion étroite de l’homme avec la nature. Sachons la protéger ; il n’existe pas de terre de rechange.

 

David G. Haskell, Un an dans la vie d’une forêt, Champs Flammarion, 2016, 367 pages, 9€

 

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Comprendre le malheur français

Broché : 378 pages
Editeur : Stock (9 mars 2016)
Collection : Essais – Documents
Langue : Français
ISBN-10 : 2234075416
ISBN-13 : 978-2234075412
Dimensions : 13,6 x 2,5 x 21,5 cm

 Comprendre le malheur français

Comprendre le malheur français fait partie de ces réflexions qui ont le mérite de mettre au centre la France, son présent et son avenir. Contrairement au pays officiel qui demeure dans la dénégation, Marcel Gauchet prend très au sérieux ce malheur français. L’introduction met d’emblée le lecteur dans l’ambiance. Pourquoi le Français, s’il se dit individuellement satisfait de son sort, ne parvient-il pas à considérer la situation avec la satisfaction qu’en attendent les élites ?  Si les Français continuent de broyer du noir, c’est en grande partie parce qu’ils ont un rapport particulier à la mondialisation. L’hypothèse principale du sociologue est que « la France a négocié dans de très mauvaises conditions le tournant de la mondialisation » (p. 9) Alors que les élites économiques et médiatiques ne voient aucun inconvénient à cette course à la marchandisation générale et à l’américanisation, le peuple considère avec inquiétude le déclassement qui touche le pays. Autrefois grande puissance, un temps épargné par le déclin grâce à la vision gaullienne de la souveraineté, le pays s’enfonce depuis une trentaine d’années dans la médiocrité et la consommation. Ce n’est pas seulement l’immigration de masse qui angoisse les Français, affolés à l’idée de voir le pays, ses mœurs, ses us et coutumes se perdre dans la globalisation. M. Gauchet insiste d’abord sur la notion de grandeur perdue, sur l’aveuglement de la classe politique et la déception due à l’échec de l’Europe. Le modèle français, essentiellement due à la puissance de la notion d’Etat-nation, est en train de s’effondrer, peu à peu remplacé par le nivellement et le relativisme dont les puissants font leur miel. Dans la leçon de réalisme qu’assène l’auteur, parmi les mensonges et supercheries qu’il met à jour, retenons ce qui, d’après lui, constitue le malentendu politique français. Celui-ci a une source principale : « Les élites françaises ne connaissent plus l’histoire de leur pays et ne s’en sentent plus solidaires. » (p. 24)

La démonstration assénée par Marcel Gauchet est rude, mais nécessaire à entendre. Il nous fait mesurer l’ampleur du décalage qui existe entre le peuple français et ceux qui, selon lui, l’ont mené à l’impasse. Pour beaucoup, le bonheur ne passe pas par le stade de l’homme nomade, citoyen du monde, formaté par la novlangue contemporaine.

 

Marcel Gauchet, Comprendre le malheur français, Stock, 2016, 371 pages, 20 €

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Histoire Recensions

Une histoire de la marche

Broché : 370 pages
Editeur : Perrin (3 mars 2016)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262032521
ISBN-13 : 978-2262032524
Dimensions : 14 x 3,2 x 21,1 cm

 Une histoire de la marche

Le titre du livre d’Antoine de Baecque a toute son importance : il s’agit bien d’une histoire de la marche et non de l’histoire de la marche. Ce choix explique les nombreux blancs, ce que l’historien, pour des raisons qui lui appartiennent, ne dit pas. Rien, par exemple, sur les fabuleuses conquêtes d’Alexandre le Grand qui a fait parcourir à ses troupes – aller et retour – la distance qui part de la Grèce propre pour s’achever en Inde. S’il s’arrête un peu sur les itinéraires parcourus par le peuple hébreu ou les nomades du Grand Nord, ce qu’il y a d’historique dans cette histoire concerne essentiellement la conquête des Alpes par les marcheurs (ah ! le beau GR 5 qui va de Nice à Chamonix) et alpinistes. C’est au XIX° siècle que la marche devient un agrément physique, voire un sport. Jusques là, les grands marcheurs l’étaient par obligation, pour fuir un danger, par nécessité professionnelle et ainsi de suite. Dans la première moitié du XX° siècle, l’émergence du temps libre et des loisirs, le scoutisme ou le besoin d’aventure vont mettre tout un peuple de marcheurs sur des chemins dont des pionniers tracent les itinéraires (les chemins de Grande Randonnée voient leur tracé balisé au tout début des années 1950). En fin d’ouvrage, Antoine de Baecque rappelle que marcher signifie aussi s’engager et manifester. On ne compte plus, de Gandhi à Martin Luther King, les manifestations prenant la marche comme forme. La marche est aussi volonté de résister ou d’échapper à la destruction (Mao et la Grande Marche).

La marche ne se réduit pas à un exercice physique, elle va bien au-delà. L’auteur rapporte les propos de Pascal Picq, auteur de La marche. Sauver le nomade qui est en nous : « L’être humain est un bipède, un animal qui marche. Et c’est avec la marche que la pensée prend forme. » Ce point de vue original est souligné à satiété par Antoine de Baecque. Marcher fait partie d’un art de vivre, marcher aide à penser, à voir le monde différemment, découvrir des espaces inconnus, se construire une vie intérieure. L’effort des civilisations a été de sédentariser l’homme ; n’était-ce pas trop demander à celui qui marche debout ?

 

Antoine de Baecque, Une histoire de la marche, Perrin, 2016, 373 pages, 22 €

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Recensions Religion

L’avenir de Dieu

Broché : 286 pages
Editeur : CNRS (1 octobre 2015)
Collection : HISTOIRE
Langue : Français
ISBN-10 : 2271086671
ISBN-13 : 978-2271086679
Dimensions : 22 x 2,3 x 14 cm

 L’avenir de Dieu

Un livre signé Jean Delumeau suscite toujours l’intérêt. Sans déroger à cette règle, L’avenir de Dieu se signale par un autre caractéristique. Aujourd’hui âgé de 93 ans, Jean Delumeau évoque la possibilité que cet ouvrage soit son dernier. C’est la raison pour laquelle il s’attache ici à revenir sur les aspects principaux de son œuvre, les domaines dans lesquels il a poussé le plus loin sa recherche. Jeune historien, Jean Delumeau s’est intéressé au départ à l’alun de Rome, cette matière naturelle permettant aux teinturiers du Moyen Age finissant et de la Renaissance de fixer les couleurs. Puis, de fil en aiguille, un peu par hasard, il va s’intéresser à ce qui va constituer son grand œuvre, l’histoire des mentalités religieuses dans l’Occident médiéval dont il occupera la chaire au Collège de France. Si le champ d’exploration de l’auteur concerne les siècles passés, il n’en reste pas moins que l’emprunte de l’évolution des mentalités religieuses connaîtra une influence qui résonnera durant les siècles postérieurs. Certaines explications données par J. Delumeau demeurent encore d’actualité, par exemple pour expliquer la déchristianisation. L’image d’un Dieu punisseur et vengeur, dont on trouve encore des traces au début du XX° siècle, explique-t-elle en partie la rapidité de la déprise du christianisme dans nos sociétés ? Si on suit l’historien, c’est très possible. De même l’iconographie de la Vierge au grand manteau constitue-t-elle l’élément le plus visible du système d’assurance que s’était donné un peuple chrétien angoissé par son salut. L’avenir de Dieu est aussi l’occasion de revenir sur un de ses ouvrages phares, La peur en Occident, afin d’en distinguer initiateurs et destinataires. La diffusion de la peur fut davantage perçue dans les classes privilégiées et les prédicateurs lui attribuèrent une importance excessive. On sait que la peur ne suffit pas, loin de là, à faire des croyants conséquents. Autres chapitres passionnants, ceux concernant la localisation du paradis, paradis que les aventuriers, à commencer par Christophe Colomb, se faisaient fort de dénicher.

Pour modeste qu’il soit dans sa pagination par rapport à des livres comme Le péché et la peur, L’avenir de Dieu possède la pertinence des meilleures synthèses : raconter l’essentiel de façon simple et en peu de pages. Pari tenté et pari réussi !

 

Jean Delumeau, L’avenir de Dieu, CNRS Editions, 2015, 286 pages, 24€

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Histoire Recensions

Histoire du monde – Les âges anciens : Tome 1

Broché : 450 pages
Editeur : Perrin (14 janvier 2016)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262047162
ISBN-13 : 978-2262047160
Dimensions : 16,8 x 3,8 x 24,1 cm

 Histoire du monde – Les âges anciens

Bien des historiens ont essayé, avec des fortunes diverses, de raconter l’histoire du monde de la façon la plus limpide et la plus synthétique possibles. En trois volumes d’environ 500 pages, John Roberts et Odd Westad ont réalisé un fabuleux travail, une synthèse aboutie consistant non pas à « écrire en continu l’histoire de tous les principaux pays », mais de chercher les lignes de faîte de l’histoire mondiale ainsi que les événements ayant durablement influencé l’espèce humaine. « J’ai cherché, disait John Roberts, à mettre l’accent sur ce qui semblait important, plutôt que ce sur quoi nous étions les mieux informés. » (p. 15)  Les deux premiers chapitres, le premier intitulé « Les fondations » et le second « Au seuil de la civilisation », récapitulent la méthode adoptée par les auteurs. Il ne s’agit pas d’empiler des dates, des événements et des lieux, mais d’observer la façon dont, lentement, les sociétés humaines vont se mettre en place, pierre après pierre. Tout cela pour arriver à des conclusions mûrement réfléchies, soigneusement pesées ; ainsi à la page 39 : « Quelque hcose qui ressemble à une véritable société se met à prendre obscurément forme à l’occasion de ces entreprises collectives compliquées que sont les expéditions de chasse. » Les deux historiens cherchent, soupèsent, observent, vérifient la lente émergence des sociétés humaines depuis les temps les plus reculés. L’émergence des civilisations est analysée avec une incomparable minutie, la naissance de l’agriculture puis, plus tard, de l’écriture, en sont les marqueurs les plus significatifs. Le projecteur est ensuite braqué sur la Mésopotamie, berceau des civilisations. Plus tard viendront l’Egypte ancienne, Babylone, la singulière odyssée du peuple hébreu, l’aventure grecque, le monde romain… sans oublier l’Inde et la Chine, des mondes ayant leurs caractères propres. L’émergence de plusieurs foyers de civilisations a tendance à donner raison à l’abbé Breuil, le préhistorien français, lequel avait coutume de dire que l’humanité n’avait probablement pas qu’un seul berceau.

Ce livre, fruit d’intelligences remarquables, est une mine. Plutôt que de noyer le lecteur sous des monceaux d’informations, il cherche à éclairer l’histoire des hommes en ce qu’elle a d’essentiel. Dans cette synthèse magistrale, tout paraît important. Un tel livre ne peut être lu que dans le plus grand silence, un crayon à la main. Prodigieux !

 

John Roberts & Odd Westad, Histoire du monde. Les âges anciens, Perrin, 2016, 450 pages, 22€

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La vie quotidienne au Moyen Age

Broché : 379 pages
Editeur : Perrin (23 avril 2015)
Collection : Pour l’histoire
Langue : Français
ISBN-10 : 2262041199
ISBN-13 : 978-2262041199
Dimensions : 21 x 3,3 x 14 cm

  La vie quotidienne au Moyen Age

Depuis les travaux d’une Régine Pernoud et d’un Jacques Le Goff, une certaine image du Moyen Age tend à s’estomper. A la vision sanglante et sordide qu’avait imposée un Michelet ou un dessinateur comme Gustave Doré fait aujourd’hui pièce un monde plus accord avec la réalité. Le Moyen Age, c’est l’Inquisition et les Croisades, mais c’est aussi l’amour courtois, le moulin à roue et la sauvegarde du legs antique dans les monastères. Les historiens s’attachent trop aux événements politiques, diplomatiques et culturels d’une période. Ce faisant, n’avaient-ils pas tendance à oublier ce qui fonde la société, ce qui la charpente dans ses unités les plus petites, lui permettant de faire corps ? Rien de tel que d’étudier la vie quotidienne dans ses composantes les plus diverses : comment l’homme médiéval s’habillait-il, se chauffait-il, se distrayait-il, se soignait-il, mourait-il et ainsi de suite ? En de courts chapitres, agréables et faciles à lire, Jean Verdon réussit à donner un visage aux hommes et aux femmes de ce temps, bien loin des images d’Epinal forgées par l’historiographie d’autrefois. Vu le sujet, cette Vie quotidienne apparaît très factuelle. Mais l’auteur n’a pas oublié de prendre un peu de recul. Certaines de ses observations paraissent particulièrement frappantes. J’ai noté celles-ci : que l’homme médiéval était moins sensible que nous au temps qui passe, et que « la soumission à la nature, la croyance en un au-delà ont peut-être permis à l’homme médiéval d’acquérir, malgré une existence plus courte que la nôtre, une certaine sagesse que nous ne possédons plus. » (p. 372)

Le livre foisonnant de Jean Verdon ravira le lecteur désireux de découvrir ou de redécouvrir la période. Quant au lecteur affûté, il pourra trouver à redire. En effet, tâcher d’embrasser un temps long de dix siècles en des chapitres variés et courts ne permet pas d’aller au fond des choses. Se distraire, voyager ou se nourrir, qu’on ait vécu sous Charlemagne ou Louis XI, devaient relever de pratiques différentes. Au sein de l’immense Moyen Age il en existait beaucoup de petits. Ce petit bémol ne doit toutefois pas dissimuler le bonheur de la découverte.

Jean Verdon, La vie quotidienne au Moyen Age, Perrin, 2015, 379 pages, 21€

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Ce pays qui aime les idées

Broché : 480 pages
Editeur : FLAMMARION (26 août 2015)
Collection : Au fil de l’histoire
Langue : Français
ISBN-10 : 2081303531
ISBN-13 : 978-2081303539
Dimensions : 24,1 x 3 x 15,4 cm

 Ce pays qui aime les idées

Professeur à Oxford, francophile, Sudhir Hazareesingh continue de se passionner pour la vie littéraire et l’histoire politique de notre pays. Il est vrai que les deux ont souvent connu des relations passionnées et tumultueuses. Ce n’est pas la première fois qu’un intellectuel étranger est fasciné par l’intérêt, voire l’amour, que les Français portent pour les idées. Il n’est pas inintéressant de constater qu’il y a quelques décennies la France avait le parti communiste le plus puissant d’Europe occidentale et que, à l’opposé de l’échiquier politique, le mouvement royaliste L’Action Française berçait les illusions monarchistes de centaines de milliers de nos compatriotes. Dans l’Entre-Deux-Guerres Maurice Chevalier avait chanté la diversité des appartenances politiques des Français, suggérant ainsi que le pays n’était pas encore remis de ses dissensions : « Le colonel était d’Action Française, Le commandant était un modéré, Le capitaine était pour le diocèse, Et le lieut’nant boulottai du curé… » L’efflorescence d’idées, qu’elles soient politiques, artistiques ou littéraires, amuse l’auteur. En tout cas, elle suscite suffisamment son intention pour que ce dernier publie ce qu’il qualifie d’Histoire d’une passion française. Peuple autrefois littéraire, les Français n’ont jamais caché leur intérêt pour la bataille d’idées. L’auteur a retenu une dizaine de domaines dans lesquels s’est exercée cette passion nationale ou qui, à l’image du premier chapitre, montre ce paradoxe très français : on se flatte d’être cartésien, d’honorer Descartes, son Cogito et sa rigueur logique mais, en même temps, on s’enthousiasme pour les apôtres du structuralisme et de la déconstruction. Qu’ont de commun l’esprit de finesse et de géométrie des âges classiques avec l’embrigadement dans les ligues patriotiques des avant-guerres et l’aveuglement d’une grande part du peuple de gauche à l’endroit du Petit père des peuples ? Sudhir Hazareesingh clôt son ouvrage sur la domination d’une vision décliniste de la France donnée par Alain Finkielkraut ou Eric Zemmour, terriblement éloignée des visions futuristes des socialistes utopiques du XIX° siècle. Etrange pays que le nôtre, remarque l’auteur, hanté par le souvenir de ses luttes picrocholines et soucieux par son aspiration à l’universel. Passionnant !

 

Sudhir Hazareesingh, Ce pays qui aime les idées, Flammarion, 2015, 469 pages, 23.90€

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Le marché n’a pas de morale

Broché : 159 pages
Editeur : Cerf (6 novembre 2015)
Collection : ACTUALITE
Langue : Français
ISBN-10 : 2204105473
ISBN-13 : 978-2204105477
Dimensions : 21 x 1,3 x 13,5 cm

 Le marché n’a pas de morale

Comment faire société lorsque le projet commun fait défaut et que le pays n’est plus qu’un ramassis de communautés juxtaposées qui s’ignorent ? Dans cet ouvrage dense et tonique, Mathieu Detchessahar dresse un tableau sans complaisance de la société française contemporaine. D’où proviennent ces délitements ? Pour l’auteur, la racine de ces fractures est à chercher du côté de ce qu’il appelle « les échecs du projet de société de marché » (p. 19) En même temps qu’elle déconstruisait l’ordre ancien, la société de marché proposait « une nouvelle idole, une ultime sacralité : l’abondance matérielle comme horizon de tous nos besoins et solution à tous nos maux. » (p. 20) Autrement dit, le tout économique a tellement désenchanté le monde qu’il nous est devenu difficile de faire société. Le problème, c’est que l’augmentation du niveau de vie ou la hausse du PIB ne font pas un projet collectif. Au contraire, ils nuisent à ce dernier en ce qu’ils provoquent le repli sur soi. Cela ne revient pas à dire que la société de marché n’a pas de morale. Au contraire, elle s’adosse aux modes et mouvements culturels véhiculés par l’ordre libertaire, c’est-à-dire des droits de l’homme non bordés, suite de revendications de type sociétal visant à satisfaire les ego. Dans cette optique, il convient de balayer tout ce qui pourrait rappeler l’ordre ancien, du socialisme utopique au catholicisme. Problème, le culte inouï porté à la tolérance et à la liberté absolue entraîne des corollaires corrosifs pour les liens sociaux : relativisme culturel, culte du moi et horizontalité marchande sont par nature incapables de porter un projet susceptible d’entraîner l’adhésion de la majorité. L’illustration de cette société flottante se traduit dans le modèle des très grandes sociétés, géants mondialisés devenus, aux dépens des Etats, « des autorités centrales de la société de marché. » (p. 52) Désormais, c’est la très grande entreprise qui dit le bien, position illusoire car son objectif premier est de remplir les poches des actionnaires.

Dans ce livre pessimiste, Mathieu Detchessahar montre avec brio que la seule logique marchande ne fonde pas un projet de société. Elle fait même tout le contraire. Pour contrer ses effets délétères, il faudrait refaire de la politique, c’est-à-dire réfléchir sur le sens de la vie, sur l’homme et ses fins. Il y a urgence !

 

Mathieu Detchessahar, Le marché n’a pas de morale, Cerf, 2015, 160 pages, 14€