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Actualités Recensions

La mort en cendres : La crémation aujourd’hui que faut-il en penser ?

Broché: 208 pages
Editeur : Cerf (4 octobre 2012)
Collection : L’histoire à vif
Langue : Français
ISBN-10: 2204095990
ISBN-13: 978-2204095990
Dimensions : 19,4 x 13,6 x 2 cm

 La mort en cendres

Une révolution s’opère silencieusement sous nos yeux : pour leurs obsèques, 30 % des Français préfèrent la crémation à l’inhumation. Quand on leur demande la raison de leur choix, dans une grande majorité ils disent vouloir ne pas être à la charge de leurs enfants.

Si l’on regarde bien, choisir la crémation, c’est mourir deux fois : à la violence de la mort s’ajoute celle de la disparition du corps en cendres. Dans un monde où le corps est érigé en icône, voilà qui interroge. Comment comprendre : la même personne qui, de son vivant, voulait mordicus un corps parfait opte, à sa mort, pour une destruction radicale ? Damien Le Guay s’interroge : « J’ai tenté, explique-t-il, de comprendre les enjeux de la crémation, qui la dépassent, l’englobent, s’y trouvent logés sans que les partisans de la crémation s’en rendent souvent bien compte. » (p. 186). Depuis des temps immémoriaux la crémation est en vigueur dans d’autres civilisations, en Inde par exemple, mais les motifs y sont puissamment religieux alors qu’en Europe elle s’inscrit dans le cadre d’une incroyance tranquille, sinon revendiquée. Pour Damien Le Guay, la réduction du corps en cendres concrétise la vacuité symbolique et  anthropologique de l’Occidental, consommateur désabusé et désenchanté, qui ne croit plus en grand-chose et a balancé par-dessus bord les espérances collectives auxquelles il était autrefois arrimé. Quand la politesse mortuaire s’évanouit, que l’on ne souhaite pas voir la mort venir contaminer le monde des vivants, alors il devient urgent de se poser des questions sur notre  humanité. Il y a un au-delà de la mort auquel il convient de réfléchir. Le choix de la crémation en dit long du malaise contemporain, malaise que l’auteur résume ainsi : « Il faut considérer ce désir de cendres, ce souhait d’effacement, comme la conséquence ultime d’un échec de singularisation par ses seules qualités personnelles. » (p. 21) Autrement dit, l’anonymat et le conformisme à grande échelle inhérents aux sociétés contemporaines affectent l’idée que nous nous faisons de la mort. Anonymes ici-bas, réduits par le marché en consommateurs, en usagers et parfois en numéros, ayant rompu toute attache religieuse, nous choisissons, avec la crémation, un autre anonymat. La réduction en un petit tas de cendres nous fait passer dans l’oubli ; « il faut faire place nette, dégager, s’effacer, se restreindre » (p. 99). La révolution de la crémation peut avoir des conséquences incalculables. En réduisant le corps à quelques grammes de cendres, demandons-nous ce que devient l’humanité. Comme le disait Heiddeger : « Seul l’homme meurt. L’animal périt. » Le beau livre de Damien Le Guay a l’immense mérite de poser cette terrible question : En voulant tuer la mort, ne concourons-nous pas à la fin d’une certaine idée de l’humanité ?

Damien Le Guay, La mort en cendres, Le Cerf, 2012, 208 pages, 17 €

 

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Histoire Recensions

Sun Tzu ou l’art de gagner des batailles : Saratoga, Waterloo, Gettysburg, La Marne, La bataille de France, Stalingrad, La Normandie, La Corée

Broché: 304 pages
Editeur : Editions Tallandier (20 septembre 2012)
Collection : APPROCHES
Langue : Français
ISBN-10: 2847349197
ISBN-13: 978-2847349191
Dimensions : 21,4 x 14,4 x 2,6 cm

 Sun Tzu ou l’art de gagner des batailles

Il y a 2 400, un sage chinois nommé Sun Tzu écrivait L’art de la guerre, un traité lu et assimilé par des générations de stratèges. Court, constitué d’aphorismes simples, L’art de la guerre donne des recommandations aux généraux pour leur donner la victoire à peu de frais. En effet, pourquoi vaincre son ennemi si c’est pour être, au bout du compte, aussi ruiné que lui ? Voulant vérifier la pertinence des axiomes développés par Sun Tzu, l’historien états-unien Bevin Alexander les applique à quelques batailles récentes de l’aire occidentale : Waterloo, Gettysburg, La Marne, Stalingrad… L’auteur s’applique à vérifier la pertinence des idées du célèbre Chinois sur le mode : « Regardez l’effarante conduite du général sudiste Lee à Gettysburg ! Il a perdu une bataille qu’il aurait dû gagner, tout simplement parce qu’il a méconnu les principes édictés par Sun Tzu. » Les conceptions stratégiques et tactiques de ce dernier sont simples et de bon sens : cacher ses intentions, éviter les gros de l’ennemi pour s’en prendre aux troupes de moindre importance, éviter les attaques frontales et ainsi de suite.

Si l’ouvrage se lit aisément, on touche néanmoins assez vite aux limites du genre. En effet, ce genre de systématisation ne tient pas devant la réalité des faits. L’auteur affirme que Napoléon a commis une erreur en attaquant de front l’armée de Wellington. La belle affaire ! Pouvait-il faire autrement alors qu’il était dans l’ignorance de la position et de la composition de l’armée ennemie ? Sun Tzu écrit que tout l’art de la guerre consiste à parvenir à ses objectifs en versant le moins de sang possible, par la ruse par exemple. Idée évidemment séduisante car, comme disait je ne sais plus quel grand stratège, « votre ennemi n’aime pas la guerre, il préférerait vous envahir sans rencontrer de résistance. » Le problème, c’est que le siècle dernier a développé un nouveau type de guerre, une guerre que les Anciens n’avaient pas prévu : la guerre de conquête et d’extermination, comme celle que les Allemands entreprirent lorsqu’en juin 1941 ils attaquèrent l’Union Soviétique. Deux ans plus tard, alors que l’initiative est passée à l’Armée Rouge, celle-ci ne feint pas, n’atermoie pas… Elle est si puissante qu’elle peut se permettre d’attaquer du fort au fort pour anéantir toute résistance ennemie. L’art opératif mis au point par les stratèges soviétiques s’apparente à la Blitzkrieg germanique : la guerre devient mouvement et rapidité, avec des pertes toujours plus lourdes. Il y a vingt-cinq siècles, Sun Tzu ne pouvait le prévoir.

Bevin Alexander, Sun Tzu ou l’art de gagner des batailles, Tallandier, 2012,296 pages, 20.90 €

 

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Histoire Recensions

Les Guerriers du froid : Vie et mort des soldats de l’armée rouge, 1939-1945

Broché: 512 pages
Editeur : Fayard (29 février 2012)
Collection : Divers Histoire
Langue : Français
ISBN-10: 2213663068
ISBN-13: 978-2213663067
Dimensions : 23,4 x 15,2 x 3,2 cm

 Les Guerriers du froid

Pour l’Union Soviétique, le bilan du second conflit mondial est accablant : plus de vingt millions de morts dont plus de huit millions de militaires, un triste record dont le pays eut longtemps à souffrir. Pour se faire une plus juste idée de ce bilan, il faut savoir que, en un laps de temps à peu près identique, les Etats-Unis eurent à déplorer trois cent mille morts. Il existe donc, de ce point de vue, une singularité soviétique qui tient, pour une large part, au mépris globalement affiché par les officiers généraux pour la vie de leurs hommes. Une sorte d’atavisme, autre déclinaison du « malheur russe » si bien analysé par Hélène Carrère d’Encausse, a imposé une sorte de permanence dans la comptabilité de l’horreur. Le général russe d’avant la Révolution de 1917 est peu économe de la vie de ses soldats. Quant au général soviétique, surtout lors de la période stalinienne, il fait encore moins de cas du sang de ses hommes. C’est par régiments entiers, en 1941 et 1942 surtout, que les frontoviki (surnom donné au fantassin soviétique) fonçaient à perdre haleine en direction des mitrailleuses allemandes. Cette singularité inouïe valait bien un livre. Cette « vie et mort des soldats de l’Armée Rouge, 1939-1945 », éclaire de façon dramatique les horreurs qu’eurent à subir les soldats soviétiques dont un écrivain a dit qu’ils étaient faits pour mourir. A l’aide des souvenirs des quelques anciens soldats encore en vie, Catherine Merridale a écrit ce mémorial destiné au souvenir de l’héroïsme de ces millions d’inconnus qui firent tant alors que le nazisme était sur le point d’engloutir la totalité de l’Europe.

Les guerriers du froid est moins l’histoire vécue au quotidien par le soldat soviétique qu’une histoire de la Seconde Guerre Mondiale vue par celui-ci. On attendait davantage l’auteur sur ce qui faisait le quotidien du soldat en campagne : la nourriture, la faim et le froid, le courrier… bref, l’ensemble des menus détails qui donnent chair à l’Histoire. Les approximations lues ici et là – l’auteur repeint en vert olive l’uniforme brun d’Ivan, autre sobriquet donné au soldat de l’Armée Rouge – ne permettent pas d’atteindre l’éclairage que le titre promet. Le lecteur s’attend à une lecture au ras du sol, l’histoire quotidienne du paysan et de l’ouvrier anonymes enrôlés dans la Grande Guerre Patriotique. En lieu et place il doit se contenter d’une énième version de la guerre à l’Est. Un peu décevant.

Catherine Merridale, Les guerriers du froid, Fayard, 2012, 510 pages, 25.40 €

 

 

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Biographies Recensions

Eugène cardinal Tisserant, 1884-1972

Broché: 716 pages
Editeur : Desclée de Brouwer (14 avril 2011)
Collection : PAGE D HISTOIRE
Langue : Français
ISBN-10: 2220062988
ISBN-13: 978-2220062983
Dimensions : 23,4 x 15 x 5 cm

 Eugène cardinal Tisserant, 1884-1972

L’énorme biographie qu’Etienne Fouilloux vient de consacrer au cardinal Tisserant nous fait souvenir, à nous Français, qu’il y a peu, des Français vivaient dans l’entourage du pape. Eugène Tisserant, prêtre du diocèse de Nancy, appelé à Rome en 1908, y demeurera jusqu’à sa mort, en 1972. Entre temps, il avait exercé plusieurs charges dont celles, éminentes, de responsable de la Bibliothèque vaticane puis de Préfet de la Congrégation des Eglises orientales.

Dès les premières pages, on est frappé par la précocité du jeune nancéen. Ordonné prêtre à 23 ans, Eugène Tisserant passe déjà pour un spécialiste des langues orientales anciennes. Il se construit une notoriété qui lui vaut, un an plus tard, de s’occuper des manuscrits orientaux à la Bibliothèque vaticane. A Rome, malgré certaines jalousies, il réussit à se tailler une belle carrière dont le point d’orgue sera la dignité de doyen du Sacré Collège.

Etienne Fouilloux a bâti son ouvrage à partir des milliers de lettres qu’en soixante ans de vie très active Eugène Tisserant expédia à travers le monde,  en France notamment. Quoique résidant à Rome, il restait en effet très attaché à sa terre lorraine et conservait beaucoup d’attachement à l’égard de ses maîtres et amis prêtres qu’il avait côtoyés dans sa jeunesse. S’il n’a pas publié les ouvrages que le public était en droit d’attendre de la part de ce fort en langues, le cardinal Tisserant était un homme de l’ancienne école : il passait beaucoup de temps à sa correspondance. Grâce à cette dernière nous en savons désormais plus de la personnalité de celui qui, lors du concile Vatican II, passait pour un conservateur notoire, un obstiné défenseur des prérogatives de la Curie. Le beau travail d’E. Fouilloux permet de dresser un portait fidèle du cardinal Tisserant, loin du réactionnaire buté que certaines relations se sont imaginées à susciter. Bourreau de travail, soucieux du niveau spirituel, moral et intellectuel du clergé, négociateur chevronné, Tisserant se dévoua corps et âme à la primauté et au prestige du Saint-Siège. Ce dévouement était loin d’être aveugle. Tisserant fut enfin un pasteur exemplaire, attentif aux besoins du diocèse suburbicaire dont Pie XII lui avait confié la charge. Partisan des nouvelles méthodes exégétiques, il percevait bien le renouveau dont l’Eglise avait besoin au milieu du siècle ; c’est à tort qu’une certaine critique en a fait un adversaire du renouveau conciliaire. Sa vive intelligence et son amour de l’Eglise le poussaient, quand il le fallait, à contrecarrer l’immobilisme des milieux romains. E. Fouilloux ne nous épargne pas les dernières années du cardinal, poussé vers la sortie alors que sa santé demeurait bonne. Son éviction de la Congrégation pour les Eglises orientales, sa mise à la retraite comme évêque du diocèse de Porto et Santa Rufina assombrirent les dernières années de ce grand serviteur de l’Eglise.

Le Tisserant d’Etienne Fouilloux est véritablement un modèle de biographie.

Etienne Fouilloux, Eugène cardinal Tisserant, 1884-1972. Une biographie, Desclée de Brouwer, 2012, 712 pages, 39 €

 

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Recensions Religion

Faire bouger l’Eglise catholique

Broché: 191 pages
Editeur : Desclée de Brouwer (13 septembre 2012)
Collection : ESSAIS RELIGION
Langue : Français
ISBN-10: 2220064654
ISBN-13: 978-2220064659
Dimensions : 17,4 x 10,6 x 1,4 cm

 Faire bouger l’Eglise catholique

Symptôme de notre époque : il paraît qu’il faut sans cesse innover et bouger… Comme si, en lui-même, le mouvement était synonyme de progrès. Nous voilà donc embarqués dans une sempiternelle danse de saint Guy. D’aucuns voudraient que l’Eglise, symbole d’une permanence de vingt siècles, fût elle-même touchée par les trépidations qui agitent notre monde. On sait ce qu’un tel mouvement perpétuel a de néfaste pour la foi qui, elle, a besoin de temps pour mûrir et grandir. Alors, faire bouger l’Eglise… et puis, pour aller où ?

Bien sûr, on aurait tort de considérer avec dédain les propos du P. Moingt, un des plus solides théologiens français de notre temps, néanmoins son manque de nuance et sa systématique prise de distance par rapport à l’institution ecclésiale ne servent pas toujours son propos. Faire bouger l’Eglise catholique est un petit livre de circonstance qui contient principalement trois conférences faites à l’appel de chrétiens dits critiques. Si l’on peut entendre les réserves du jésuite à l’égard d’un certain conservatisme romain et épiscopal, il n’empêche que ses critiques sonnent parfois creux. A côté de réserves portant sur tel ou tel à-côté sourd de la lecture de ce petit livre un malentendu qui porte sur des points capitaux. Le P. Moingt laisse par exemple entendre que l’apport principal de Vatican II réside en un catalogue d’innovations (cf. page 17 par exemple). C’est vrai que le concile est porteur d’innovations, mais celles-ci sont loin de constituer le centre, l’épine dorsale de l’œuvre des Pères de Vatican II. C’est la foi qui est au cœur de la préoccupation des Pères. Or, la foi n’a pas changé d’un iota avec le concile ; ce qui a été dépoussiéré c’est son expression, la façon de l’annoncer. De même, laisser entendre que Jésus a apporté « rien d’autre qu’un humanisme nouveau » est très réducteur. Jésus est porteur d’un humanisme ; pour autant, est-ce là le centre de son message ? Avant d’apporter un humanisme, c’est Dieu qu’il révèle. Si la Parole de Dieu donne à voir un humanisme qui tranche avec la doxa propre aux paganismes antiques, on est loin du cœur de la foi au Christ. Ce qui caractérise le christianisme, c’est la Révélation d’un Dieu qui se fait proche de l’homme par son Incarnation, un Dieu vainqueur de la mort. Le discours chrétien est un discours radical, pas l’humanisme du vicaire savoyard cher à Rousseau. Perdre de vue cet essentiel, n’est-ce pas, au bout du compte, par glissements successifs, aboutir à la stupéfaction de la page 77 où le P. Moingt écrit : « Pour ma part, je n’ai rien contre la messe. » ? Ouf, on respire !

On a l’impression que, pour l’auteur, l’essentiel se résume à la question de l’autorité et du pouvoir. Faux, l’essentiel, c’est de lutter contre l’apostasie silencieuse de notre époque. Et cela, pas évident qu’une Eglise plus « démocratique » arrive à la contrecarrer.

Joseph Moingt, Faire bouger l’Eglise catholique, Desclée de Brouwer, 2012, 192 pages, 15 €

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Recensions Religion

Le Père Antonin Jaussen, o.p. (1871-1962) : Une passion pour l’Orient musulman

Broché: 132 pages
Editeur : Cerf (31 mai 2012)
Collection : L’histoire à vif
Langue : Français
ISBN-10: 2204088811
ISBN-13: 978-2204088817
Dimensions : 21,2 x 13,4 x 1,4 cm

 Le père Antonin Jaussen, o.p. (1871-1962)

            Entre l’Orient et l’Occident les différences sont nombreuses. Une des plus évidentes réside dans le fait qu’historiquement les Orientaux se sont généralement peu intéressés à ce qui se passait en Occident. Au contraire, dès la fin du XVIII° siècle avec l’expédition de Bonaparte en Egypte, nombreux furent les Occidentaux à se passionner pour ce qui venait de là-bas. La civilisation égyptienne, les conquêtes d’Alexandre, le début du christianisme, l’islam… tout cela faisait rêver égyptologues, historiens, scientifiques et… hommes d’Eglise. La liste est longue de ces rêveurs géniaux, fascinés par cet Orient à la fois proche et lointain, simple et compliqué, de Lawrence d’Arabie au père Lagrange, le fondateur de la célèbre Ecole Biblique de Jérusalem. Au sein du monde catholique, après les mercédaires spécialisés dans le rachat des esclaves chrétiens, les dominicains se prirent de passion pour l’Orient, chrétien et musulman. Le P. Jaussen est l’un d’eux. Né en 1871 en Ardèche, des études brillantes dans les langues orientales font prendre à sa vie un départ inattendu : celle de l’intellectuel et de l’aventurier de cette époque telle qu’on se l’imagine aujourd’hui. Il y a chez Jaussen du Guillaume de Rubrouck et du Henri de Monfreid. Polyglotte comme la plupart des membres de l’Ecole Biblique, il passe son temps entre l’étude, la découverte des populations et des lieux. C’est que le P. Jaussen n’a rien d’un intellectuel en chambre ; il n’aime rien moins que de rencontrer les bédouins. La Première Guerre Mondiale lui donne l’occasion de mettre ses connaissances de la culture locale au service de la cause alliée. Les autorités françaises le chargent en effet d’organiser le services de renseignements en Palestine et en Syrie. Après la guerre, il quitte Jérusalem pour Le Caire ; il est de l’équipe qui va fonder le prestigieux Institut Dominicain d’Etudes Orientales (IDEO). Bâtir un pont entre l’Orient musulman et l’Occident chrétien, c’était pour lui, accompagné de ces autres pionniers que furent les pères Anawati et de Beaureceuil, un véritable acte de foi.

L’auteur de cette biographie, le P. Jean-Jacques Pérennès, actuellement directeur de l’IDEO, était évidemment le mieux placé pour raconter la biographie d’un de ses grands prédécesseurs. Ce petit livre, toujours passionnant, constitue une introduction de qualité pour mieux apprécier la qualité de l’œuvre toujours vivante des dominicains en terre d’Islam.

Jean-Jacques Pérennès, Le père Antonin Jaussen o.p. (1871-1962) : Une passion pour l’Orient musulman, Le Cerf, 2012, p. 132, 13 €

 

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Recensions Religion

Traité des sacrements : Tome 7, Le mariage, sacrement de l’amour

Broché: 710 pages
Editeur : Cerf (26 janvier 2012)
Collection : Théologies
Langue : Français
ISBN-10: 2204093521
ISBN-13: 978-2204093521
Dimensions : 23,4 x 14,4 x 4,2 cm

 Traité des sacrements : Tome 7, Le mariage, sacrement de l’amour

C’est à une œuvre colossale que s’est attelé le P. Jean-Philippe Revel, dominicain. Quand on sait la littérature torrentielle à laquelle ont donné lieu les sacrements de l’Eglise, il fallait une bonne dose de courage pour s’attaquer à pareil sujet. Avec ce dernier opus, le P. Revel en est au cinquième tome d’une série qui doit en compter huit.

Le Traité du P. Revel suit une trame historique. Nous avons bien affaire à une histoire du sacrement de mariage à travers les âges, avec les évolutions et les débats auxquels ces derniers ont donné lieu. Les sacrements ont mis des siècles pour se forger ; par conséquent, lire leur histoire c’est comprendre leur actualité. Le tableau que dresse le P. Revel, impressionnant de rigueur et d’érudition, explique bien les tribulations subies par le sacrement de mariage. L’Eglise ne tarde pas à sanctifier l’union de l’homme et de la femme. Les Pères de l’Eglise sont généralement réticents à son égard. La perspective eschatologique qui est la leur les conduit à exalter la continence et la chasteté au détriment de l’union conjugale, laquelle est consommée dans l’œuvre de chair. Il faut attendre le XII° siècle pour que le mariage acquière définitivement le titre de sacrement.

Non content de donner une histoire complète du mariage (théologie, rite…), le P. Revel n’ignore rien des débats contemporains. La question des personnes divorcées remariées fait bien sûr l’objet de pages très complètes. Même chose s’agissant de la question du ministre du sacrement. En Occident, les époux sont considérés comme étant les ministres du sacrement, pas en Orient où le prêtre joue ce rôle. Dans un cas comme dans l’autre, le P. Revel n’hésite pas à dire sa préférence : par exemple il penche nettement en faveur de la position de Melchior Cano, reprise par certains théologiens et canonistes contemporains, qui dénie aux époux le rôle de ministres du sacrement. Les époux sont-ils nécessairement ministres ? Cette position traditionnelle dans l’Eglise latine n’a pas l’aval de tous ; n’est-ce pas la médiation du prêtre qui confère la grâce au sacrement ? Ainsi, alors qu’il passe en revue l’ensemble des dimensions du mariage, le P. Revel n’oublie pas les controverses nées de pratiques pastorales parfois discutées. Cette conjonction, mélangeant érudition et questionnements contemporains, fait de ce volume un incontournable. Comment ne pas remercier le P. Revel pour ce travail monumental et toujours pertinent ?

Jean-Philippe Revel, Traité des sacrements. VII – Le mariage, Le Cerf, 2012, 709 pages, 57 €

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Des missionnaires plongés dans la Grande Guerre

Broché: 367 pages
Editeur : Cerf (7 juin 2012)
Collection : L’histoire à vif
Langue : Français
ISBN-10: 2204096881
ISBN-13: 978-2204096881
Dimensions : 21,2 x 13,6 x 2,2 cm

 Des missionnaires plongés dans la Grande Guerre

Auteur d’une histoire de l’Eglise qui fait date et après avoir publié les Carnets du cardinal Alfred Baudrillart (Le Cerf), le P. Paul Christophe, prêtre du diocèse de Lille, s’attaque à un sujet jusqu’à présent peu abordé : l’histoire des missionnaires français rappelés en France pour les besoins du front. Les missionnaires dont il s’agit dans ce volume sont exclusivement des membres des Missions Etrangères de Paris. En exhumant les lettres qu’ils ont échangées avec le supérieur ou les directeurs du Séminaire de Paris, le P. Christophe relate les tourments et les espoirs de prêtres qui étaient partis en Asie sans esprit de retour. En août 14, une fois la guerre déclarée, la patrie a besoin de tous ses enfants, y compris les missionnaires. Employés principalement à des tâches non combattantes, ils assistaient en première ligne à ce premier suicide de l’Europe ; un peu plus de 16 % d’entre eux furent tués au front. Les lettres que le P. Christophe donne à lire montrent l’état d’esprit d’hommes qui étaient des prêtres, des chrétiens et des patriotes. Défendre la patrie attaquée était chez eux comme une évidence… qui ne se faisait pas sans remords. Ils étaient déchirés à l’idée de laisser seules les communautés chrétiennes qu’eux-mêmes et leurs prédécesseurs avaient évangélisées. Chez beaucoup l’avenir est angoissant. Il y a bien sûr la guerre, mais aussi l’après-guerre. Partis une première fois sans idée de retour – « C’est seulement en 1922 que le principe des congés sera introduit dans la Société des Missions Etrangères » (p. 21) – beaucoup se demandent ce que sera leur retour en Asie. Dans quel état trouveront-ils les communautés qu’ils ont dû laisser. On ne fermera pas le beau livre du P. Paul Christophe sans, tout comme lui, éprouver de l’admiration  pour ces missionnaires, « pour la force de caractère qui les soutient dans l’épreuve, pour l’énergie des vétérans déployée dans leur mission et pour la foi qui les anime. » (p. 334)

A plusieurs reprises l’auteur évoque et publie des lettres du P. Pierre Compagnon, qui fut missionnaire au Japon et revint en France en 1900, nommé directeur du Séminaire de Paris. Le R.P. Pierre Compagnon est un aïeul. Il est né en 1859 à Beaurepaire-en-Bresse. Dans la famille, nous ne sommes pas peu fiers de lui.

Paul Christophe, Des missionnaires plongés dans la Grande Guerre, Le Cerf, 2012, 367 pages, 27 €

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Actualités Recensions

Les yeux grands fermés

Broché: 240 pages
Editeur : Denoël (18 mars 2010)
Collection : Médiations
Langue : Français
ISBN-10: 2207261778
ISBN-13: 978-2207261774
Dimensions : 22,4 x 13,4 x 1 cm

 Les yeux grands fermés

Pas la peine de se raconter des histoires ! En France, la machine à intégrer ne fonctionne plus très bien. Le pays a un véritable problème vis-à-vis de son immigration. Pourtant, ils sont nombreux, dans le monde politique, médiatique et économique, à souligner que l’immigration est une chance pour la France et que, dans le monde globalisé qui s’ouvre, la notion de frontière devient caduque. Il y a, chez ces belles âmes, à la fois généreuses et naïves, l’idée que le multiculturalisme est l’horizon indépassable de l’humanité future. Pour Michèle Tribalat, sociologue et démographe, la force de la vigilance antiraciste est devenue si puissante qu’elle agit comme un anesthésiant : « L’immigration est sacralisée au point que le désaccord ne peut exister et être raisonnablement débattu » (p. 10). L’enjeu est grave. Si l’auteur prend la peine d’écrire ce livre, c’est pour livrer au grand public des informations qui ont généralement peu d’écho dans les médias. Il suffit à l’auteur de cinq chapitres pour démonter la doxa officielle. Contrairement à beaucoup d’autres pays, il règne ici, s’agissant des chiffres, un flou artistique qui s’apparente à de la manipulation ; le nombre d’immigrés qui entre en France, légalement ou clandestinement, est systématiquement minoré. Cela tient au fait, selon Michèle Tribalat, que notre pays manque d’un outil statistique fiable. Ce laxisme est aggravé par l’incohérence des politiques successives et la primauté des lois communautaires européennes de plus en plus adaptées à notre univers mondialisé. En tout cas, insiste l’auteur, il n’est pas vrai que l’immigration s’avère un facteur décisif dans le développement de l’économie nationale. Au contraire l’impact économique de l’immigration demeure négatif parce que l’immense majorité des immigrants est peu ou pas formée. L’effet démographique de l’immigration sur les territoires accentue le déséquilibre entre des banlieues massivement peuplées d’immigrés et des territoires ruraux dans lesquels le Français de souche est hégémonique. Bien sûr, il serait possible de lutter contre certains effets délétères d’une immigration mal contrôlée. Le problème, c’est que le contexte idéologique dominant empêche toute réflexion sereine sur les politiques d’immigration, laquelle est nécessairement considérée comme positive. En ce sens, la contribution de Michèle Tribalat au débat est vraiment nécessaire.

Michèle Tribalat, Les yeux grands fermés, Denoël, 2012, 222 pages, 19 €

 

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C’est une chose étrange à la fin que le monde

Broché: 313 pages
Editeur : Robert Laffont (19 août 2010)
Collection : ROMAN
Langue : Français
ISBN-10: 2221117026
ISBN-13: 978-2221117026
Dimensions : 21,4 x 13,2 x 3 cm

 C’est une chose étrange à la fin que le monde

Jean d’Ormesson n’en fait pas mystère : il a eu la chance de croquer la vie à pleines dents. La littérature, les femmes, les voyages, les produits de la terre… il les a aimés à s’en damner. Mais voilà qu’à l’automne de sa vie les interrogations métaphysiques le pressent. Agnostique tout en étant plutôt fidèle à la civilisation léguée par le christianisme, il n’avait jamais été à ce point taraudé par la question du sens de la vie.  Le voilà arrivé à un âge où les questions existentielles prennent le dessus. Fini de rire, voici le temps des interrogations ! Sous forme de chapitres très courts, l’auteur se livre à une histoire rapide de l’univers à partir de la fameuse question jadis posée par Spinoza : Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?      Il y a deux siècles, le biologiste Laplace avait répondu à Napoléon qu’il n’avait pas eu besoin de Dieu dans le cadre de son travail, Dieu n’étant d’ailleurs qu’une hypothèse. « Mon cher Laplace, semble rétorquer Jean d’Ormesson, en êtes-vous si sûr ? » Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?

Dans cette courte histoire de l’univers à laquelle se livre l’auteur d’Au plaisir de Dieu, les explications de type mécaniste paraissent bien pâlichonnes. Pour l’auteur, sans doute manquent-elles même de poésie. Bien sûr, nous ne sommes sûrs de rien, perdus que nous sommes dans l’immensité sidérale. Alors, à quoi se raccrocher ?

L’auteur, s’il a du mal à croire, espère tout. Protagoniste de l’histoire humaine, le Vieux à qui l’auteur donne la parole – Dieu – rigole de la mesquinerie et du peu de confiance qui lui est accordé : « Ah ! les malins ! Comme ils savent mettre en scène la pièce que j’ai écrite ! Et le pire est qu’il leur arrive de siffler l’auteur. » L’auteur semble avoir pris un malin plaisir à avoir écrit un tel livre. Il s’escrime avec bonheur sur un terrain sur lequel on ne l’attendait pas. N’attendez pas que les interrogations auxquelles il se livre lui gâtent l’existence. Au contraire, elles rendent la vie encore plus palpitante. Après avoir raconté l’histoire de l’univers et les différents âges de la vie, Jean d’Ormesson continue de s’amuser, comme il semble l’avoir toujours fait : la gaîté, la gratitude, le bonheur, les livres…

Intelligent et revigorant.

Jean d’Ormesson, C’est une chose étrange à la fin que le monde, Robert Laffont, 2010, 313 pages, 21.30 €