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Recensions

L’affaire Richard Millet : Critique de la bien-pensance

Broché: 265 pages
Editeur : Jacob Duvernet (31 octobre 2013)
Langue : Français
ISBN-10: 2847244697
ISBN-13: 978-2847244694
Dimensions : 21,8 x 14 x 2,4 cm

 L’affaire Richard Millet

En 2012, un coup de tonnerre retentissait dans le ciel de l’édition. Richard Millet, essayiste et romancier, membre éminent du comité de lecture de Gallimard, publiait un petit texte destiné à faire du bruit dans le landerneau germanopratin : Eloge littéraire d’Anders Breivik. Aussitôt le livre paru l’auteur était cloué au pilori par les tenants de la bien-pensance qui, à force de pétitions, obtenaient le renvoi de son auteur de chez Gallimard, le condamnant à la mort sociale. En publiant ce petit texte, Richard Millet ne donnait-il pas le sentiment de trouver quelque excuse à l’acte monstrueux du tueur norvégien d’Utoya, exécuteur de sang-froid de 80 quelque jeunes Norvégiens ? Sans approuver le crime – quand même ! -, Millet ne laissait-il pas supposer, avec un titre aussi ambigu, que le geste fou de Breivik s’accompagnait d’une sorte de beauté formelle, d’une esthétique dans l’horreur ? En fait, aux yeux de l’écrivain, cette tuerie constituait un aboutissement logique. L’Europe est tellement ouverte aux quatre vents qu’il ne faut pas s’étonner si certains, fragiles, se mettent en fureur devant ce qu’ils considèrent comme d’insupportables agressions. Anders Breivik constitue la pointe paroxystique d’une population qui refuse sa conversion « en petit-bourgeois métissé, mondialisé et multiculturel, inculte, social-démocrate ». (p. 14)

De tout cela, écrit Muriel de Renvergé, on aurait pu discuter. Le problème, c’est que l’affaire Richard Millet aura réveillé de mauvais instincts, ceux d’une classe médiatique prompte à s’en prendre violemment à ceux qui, d’une manière ou d’une autre, n’entrent pas dans les limites qu’elle a elle-même fixées. Que des écrivains pétitionnent pour obtenir la tête d’un des leurs, le priver de son emploi, voilà une chose que l’on croyait révolue depuis 1945. Dans le massacre d’Utoya, R. Millet ne voit rien d’autre qu’une « évolution mortifère de la société occidentale contemporaine ». Mais de cela on n’a pas le droit de parler. On condamne sans jamais aborder le fond du sujet. Pour Muriel de Renvergé, cette affaire est grave car elle tend à accroire l’idée que dans la France de ce début de siècle on ne lit plus, on ne débat plus, on met à terre. R. Millet aurait certainement souhaité qu’on puisse débattre d’un sujet de fond qui renvoie à l’avenir et à l’identité de l’Europe. Il ne critique pas l’immigré extra-européen et sa culture, c’est l’angoisse d’une Europe culturellement exsangue, hébétée par la consommation à outrance, qui le hante. L’horreur qu’il voit advenir, « c’est la conjonction d’une fatigue culturelle et de l’économie de marché. ». Voilà qui vaut débat !

Muriel de Renvergé, L’affaire Richard Millet : Critique de la bien-pensance, 2013, Editions Jacob-Duvernet, 266 pages, 20 €

 

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Histoire Recensions

Dictionnaire amoureux de la Rome antique

Broché: 756 pages
Editeur : Plon (22 septembre 2011)
Collection : Dictionnaire amoureux
Langue : Français
ISBN-10: 225921245X
ISBN-13: 978-2259212458
Dimensions : 20 x 13 x 4,4 cm

 Dictionnaire amoureux de la Rome antique

La collection des Dictionnaires amoureux continue son petit bonhomme de chemin. Rien n’ayant été publié sur la Rome antique, il était assez naturel que Xavier Darcos, membre de l’Institut, s’y collât. Le résultat, il faut le dire, est plutôt probant. En un peu plus de sept cents pages, l’ancien ministre de l’Education Nationale, offre un tableau passionné de la civilisation romaine, soit la bagatelle de dix millénaires. Comme dans beaucoup d’autres opus de la même série, les entrées sont toujours originales : par exemple « Caligula, l’Ubu romain ? » ou encore « Alix au pays des merveilles ». Le lecteur met peu de temps pour découvrir à quel point l’auteur place haut sa passion pour la civilisation romaine. Cet amour vrai et profond pour ce monde disparu, mais à qui l’Europe doit tant, est surtout présent dans les articles consacrés à la poésie, à la philosophie ou à la vie quotidienne. Xavier Darcos dit toute sa reconnaissance et sa passion à ces phares qu’étaient Cicéron et Virgile. Il ne cache pas leurs limites, mais il a raison d’insister sur ce que la civilisation contemporaine leur doit : « Virgile a montré la voie dans des genres variés qui servirent de matrices à l’art occidental » (p. 719). Quant à Cicéron, l’auteur le voit comme un « môle, un brise-lames, largué dans le grand chambardement général du dernier siècle avant Jésus-Christ » (p. 181). La passion de l’auteur pour la civilisation romaine met avant tout l’accent sur le bon sens romain, sur les prodigieux bâtisseurs qu’ils ont été… La filiation entre notre époque et la Rome antique ressort ici avec évidence.

Cela dit, ce Dictionnaire amoureux n’est pas sans défauts. Il suppose, comme du reste beaucoup de ses congénères, une connaissance au moins chronologique de l’objet étudié. Entre un Jules César et un grand empereur comme Marc-Aurèle, il y a deux cents ans d’écart, ce qui n’est pas rien ! On s’arrêtera guère sur ce qui paraît être d’énormes impasses – Marius, Sylla pour n’en rester qu’aux noms propres… – mais il est vrai que le genre de la collection a ses limites. Plus dommageable en revanche nous paraît la légèreté avec laquelle le christianisme est introduit. L’article Constantin est par exemple truffé d’erreurs et d’approximations (la question du filioque n’est pas ce qu’en dit l’auteur et le mariage n’est pas et n’a jamais été un article du Credo) (pages 236 et 237). On passera vite sur ces détails pour mieux apprécier toute l’empathie de l’auteur à l’égard un monde à qui l’Européen doit tant.

 

Xavier Darcos, Dictionnaire amoureux de la Rome antique, 2011, 756 pages, 26 €

 

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Histoire Recensions

14-18 La première guerre mondiale

Relié : 605 pages
Editeur : Acropole Belfond (6 octobre 2011)
Langue : Français
ISBN-10: 2735703592
ISBN-13: 978-2735703593
Dimensions : 29,2 x 21 x 3,8 cm

 14-18 La première guerre mondiale

A l’orée du centenaire de la grande boucherie de 1914-1918, les publications de tout acabit ne vont pas tarder à envahir librairies et kiosques. Certains, dont Pierre Vallaud, auteur de cette Première Guerre mondiale, n’ont pas attendu la date phare de 2014 pour livrer leur version d’un conflit qui a tant compté pour l’histoire du XX° siècle. Pour beaucoup en effet, ce siècle commence le 2 août 1914 pour s’achever en 1989, chute du Mur de Berlin. Soixante-quinze ans pour un siècle, cela peut sembler court mais, à y regarder de plus près, la densité des événements est telle que l’on peut, pour une fois, mettre de côté les rigidités chronologiques.

Sans être révolutionnaire, le livre de Pierre Vallaud fournit une magnifique synthèse de ce conflit dantesque. Le lecteur sera indulgent sur quelques défauts mineurs. On pardonnera volontiers la désinvolture avec laquelle l’auteur traite la grande bataille navale du Jutland tant les qualités générales de l’ouvrage sautent aux yeux. Parmi celles-ci, retenons-en trois. Le texte est agrémenté de plusieurs centaines de photos et de dessins inédits ou rarement publiés. Pour la première fois dans l’histoire des guerres l’utilisation de la photo permettait de rendre encore plus proche la vie et la souffrance du soldat. Ce que la Guerre de Sécession avait permis d’entrevoir trouvait ici un couronnement. Les vues de ces cadavres rassemblés après la bataille disent plus de l’ampleur du carnage que tous les savants traités. L’auteur a eu également l’excellente idée d’enrichir l’ouvrage de lettres envoyées par les combattants à leurs proches. Il en ressort une émotion palpable, des moments d’humanité saisis sur le vif ; par exemple l’état d’esprit du soldat qui attend la permission désirée ou de celui qui s’apprête à monter en ligne. L’ouvrage est enfin remarquable par la place qu’il donne à des théâtres d’opération dont une certaine historiographie a minoré l’importance : Balkans, Proche-Orient, Caucase… Il y a même une photographie représentant des Tahitiens, encadrés de soldats français, prêts à faire le coup de feu contre quelque navire corsaire allemand ! Par son ampleur même, cette guerre fut vraiment un conflit mondial. L’auteur a su saisir la dimension planétaire d’un conflit qui n’avait pas de précédent.

S’il ne s’agit pas du livre le plus fouillé relatif à la Première Guerre mondiale, le livre de Pierre Vallaud devrait figurer en bonne place parmi les livres qu’il faut avoir lu sur cette période. Une synthèse agréable, simple sans jamais tomber dans le simplisme.

 

Pierre Vallaud, 14-18 La première guerre mondiale, Acropole, 2008, 605 pages, 36 €

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Histoire Recensions

De la guerre en Amérique

Broché: 350 pages
Editeur : PERRIN (22 août 2013)
Collection : Tempus
Langue : Français
ISBN-10: 2262042721
ISBN-13: 978-2262042721
Dimensions : 17,2 x 10,8 x 4,2 cm

 De la guerre en Amérique

Il existe bien une exception américaine ! Thomas Rabino, dans cet éclairant essai, en donne d’éclatantes preuves. L’ouvrage, dont le titre est un clin d’œil à Tocqueville et à sa Démocratie en Amérique, postule l’idée que la culture de guerre fait partie de l’identité des Etats-Unis. Ceux-ci constituent l’exemple rare, voire unique, d’un pays libre et démocratique qui a élevé la culture des armes à un niveau rarement atteint. Que les Américains aient pris les armes pour acquérir leur indépendance lors de la seconde moitié du XVIII° siècle, soit ! Qu’ils se soient constitués en « arsenal des démocraties » pour abattre le nazisme et le fascisme, cela se conçoit aussi. Par contre, qu’après la Seconde Guerre mondiale ils aient été impliqués dans autant de guerres est plus surprenant. Mieux, c’est la seule démocratie à faire de la force militaire le fondement essentiel de sa puissance. Alors que l’Europe désarme, les Etats-Unis ne cessent d’augmenter leur budget militaire. Ce sont leurs bases et leurs porte-avions qui leur permettent de peser d’un tel poids dans les affaires du monde. Cette force est alimentée par des lobbies, un appareil militaro-industriel énorme et un patriotisme farouche. Les attentats du 11-Septembre ont permis de voir à quel point ce pays était atteint de fièvre guerrière. Dans cet essai percutant, Thomas Rabino dissèque les fondements de la culture de guerre propre à cette belliqueuse nation. Les multiples guerres dans lesquelles le pays a été engagé ainsi que la crainte de la menace terroriste ont sanctuarisé le territoire. Des médias peu objectifs créent une psychose propre à maintenir en armes un pays déjà envahi par quelque 300 millions d’armes individuels. Un patriotisme exacerbé tait toute tentative de s’opposer à cette sacralisation de la guerre. Quant aux opposants, comme le rappelle à satiété l’auteur, ils sont contraints à faire profil bas. L’inclination pour la guerre, et c’est le plus inquiétant, tient pour une grande part à une esthétisation de la violence, à un culte des engins de mort qui, parfois, n’est pas sans rappeler ce qui se passait dans les totalitarismes du XX° siècle. Mais, en l’occurrence, c’est l’appareil démocratique, vocabulaire et structures en tête, qui mène le bal des faux derches.

Toutefois, la conclusion de Thomas Rabino soulève quelque espoir de détente. Les avanies subies à l’extérieur (Irak) et sur son propre sol (la mauvaise gestion de l’ouragan Katrina) imposent de la modération. Il ne faudrait pas que, par un malsain retour de balancier, qu’interventionnistes à tout prix les USA redeviennent ce qu’ils ont été à un moment donné, des isolationnistes frileux.

 

Thomas Rabino, De la guerre en Amérique, Tempus, 2013, 751 pages, 12€

 

 

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Actualités Recensions

L’identité malheureuse

Broché: 240 pages
Editeur : Stock (9 octobre 2013)
Collection : Essais – Documents
Langue : Français
ISBN-10: 2234073367
ISBN-13: 978-2234073364
Dimensions : 21,4 x 13,6 x 2,8 cm

 L’identité malheureuse

Contrairement à ce qu’un certain déballage médiatique aurait pu faire croire, le dernier livre d’Alain Finkielkraut n’a rien d’une charge contre l’islam ou les banlieues. Il est loin d’être, comme on a pu le lire avec effarement dans un hebdomadaire national, un ramassis de propos de café du commerce. La plumitive qui a écrit cette bêtise connaît-elle Hume, Hobbes, Pascal et les autres philosophes et écrivains convoqués par l’auteur ? Il y a des polémiques qui ne font pas honneur à ceux qui les lancent, mais passons…

A partir de l’affaire du foulard de Creil en 1989, A. Finkielkraut s’interroge sur le présent et l’avenir du pays, plus précisément sur la modalité française de la civilisation européenne. A l’heure de la mondialisation, de l’arasement des frontières, que devient l’identité de la France ? Convoquant historiens, philosophes et écrivains, l’auteur du Mécontemporain se penche avec passion sur un pays où le vivre-ensemble ne va plus de soi. Que nous est-il arrivé ? Quel mauvais génie nous a-t-il entraîné dans une société atomisée, déculturée, où les anciens marqueurs, autrefois unanimement acceptés, ne font plus référence ? L’auteur commence sa réflexion par l’affaire du collège de Creil, lorsque deux adolescentes se voient refuser l’accès du collège pour port d’un foulard islamique. C’est de là qu’est parti le débat qui a vu la France refuser le voile islamique et, de façon plus générale, les signes d’appartenance ostentatoires ? Ce ne sont pas des critères religieux qui ont conduit à l’interdiction, mais la compréhension historique de ce qu’est l’identité de la France, une nation qui a porté au pinacle l’amour courtois, la galanterie et la littérature. La modernité, via ses composantes essentielles que sont la globalisation et l’immigration, est en train d’anéantir l’effort patient et obstiné des anciens. Plus grave, « pour la première fois dans l’histoire de l’immigration, l’accueilli refuse à l’accueillant la faculté d’incarner le pays d’accueil » (p. 115), d’où l’irruption des repentances et de la glorification des minorités. Que devient alors le droit de la majorité, son histoire, sa capacité à incarner l’essence d’une nation ? A l’heure de la bigarrure universelle on ne le sait plus trop, d’autant que ce qui était autrefois chargé de donner un sentiment commun, comme l’Ecole et la Famille, est en panne. Bref, à l’instar de Péguy, A. Finkielkraut, ne pouvant s’empêcher de voir ce qu’il voit, en tire des conclusions pessimistes. Avons-nous encore le choix ? Si on ne l’a plus, il ne nous reste plus qu’à accompagner « une transformation démographique qui n’a donné lieu à aucun débat, qui n’a même été décidée par personne » (p. 214) ; de quoi alimenter un peu plus cette « identité malheureuse ».

 

Alain Finkielkraut, L’identité malheureuse, Stock, 2013, 229 pages, 19.50€

 

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Histoire Recensions

La guerre Iran-Irak (1980-1988) : Première guerre du Golfe

Broché: 604 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (12 septembre 2013)
Langue : Français
ISBN-10: 2262041954
ISBN-13: 978-2262041953
Dimensions : 23,8 x 15,4 x 4,4 cm

 La guerre Iran-Irak (1980-1988) : Première guerre du Golfe

Dernière grande guerre du XX° siècle, la Première guerre du Golfe (1980-1988) a causé la mort d’environ 700 000 personnes, des soldats pour la plupart. Il était donc plus que bienvenu qu’un spécialiste s’empare de ce sujet. C’est désormais chose faite ! Pierre Razoux, déjà auteur d’un ouvrage remarquable consacré à l’Armée israélienne, éclaire ce conflit avec un luxe de détails assez impressionnant, surtout au plan militaire. A ce titre, cette guerre apparaît bien pour ce qu’elle fut, une guerre totale, une guerre du XX° siècle où chacun compte ses troupes : nombre de divisions, de chars, d’avions et de navires. Sommaire au début, la stratégie s’affine avec les années. L’armée irakienne, souvent sur la défensive, se professionnalise alors que l’iranienne, plus chichement dotée en armes, fait peser sur son ennemi un potentiel humain nettement supérieur. Dans cette lutte à mort il ne pouvait y avoir de vainqueur net et si l’Irak fut, à la fin, déclaré gagnant, il s’agissait d’une victoire à la Pyrrhus. L’auteur ne pouvait taire les conséquences économiques d’un conflit qui a pesé lourdement sur l’économie mondiale, sept ans après le brusque renchérissement du prix du pétrole décidé par l’OPEP. Autour d’une guerre totale l’auteur donne un livre s’intéressant à tous les aspects de cet affrontement. Il n’oublie pas de relater les affaires qui empoisonnèrent la vie démocratique en Occident comme l’affaire Gordji en France ou l’aide aux contras nicaraguayens tirée de la vente d’armes à l’Iran par des firmes américaines. L’argent n’ayant pas d’odeur, il est stupéfiant de voir combien un nombre impressionnant de pays, attiré par l’appât du gain, ont commercé à qui mieux mieux avec l’Iran et l’Irak qui n’étaient pas, c’est le moins qu’on puisse dire, des parangons de vertus.

Tout en donnant un luxe de détails, surtout s’agissant des armements utilisés, Pierre Razoux place ce conflit dans une perspective plus générale qui est la configuration du Proche et du Moyen-Orient, minés par les conflits nationaux et religieux. Pierre Razoux n’oublie pas, évidemment, de s’emparer des conséquences que le conflit a générées sur les économies régionales et l’économie mondiale, notamment en matière de prix pétrolier. Tout en convenant que l’ouvrage s’intéresse d’abord à l’aspect militaire du conflit, c’est probablement ce que l’on a fait de mieux en France à ce jour.

 

Pierre Razoux, La guerre Iran – Irak, Perrin, 2013, 604 pages, 27 €

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Recensions Religion

Les Eglises, les religions et la Shoah

Broché: 358 pages
Editeur : Cerf (7 mars 2013)
Collection : Histoire
Langue : Français
ISBN-10: 2204098558
ISBN-13: 978-2204098557
Dimensions : 23,4 x 14,4 x 2,8 cm

 Les Eglises, les religions et la Shoah

Les rapports des Eglises avec le nazisme et la Solution finale n’ont pas fini de faire couler beaucoup d’encre. Les Eglises, les religions et la Shoah est un livre qui permet de s’interroger à frais nouveaux sur la complexité de ces relations. Sous la plume de divers contributeurs, quantité de problèmes historiques sont abordés : la sempiternelle question des silence de Pie XII face à l’extermination des juifs d’Europe, la position des Eglises en Allemagne devant la persécution des juifs, le silence de Dieu dans les camps et son retrait face à l’indicible… A côté de ces questions torturantes d’autres apports pointent toutes ces lumières qui ne vacillaient pas dans la nuit qu’a connue l’Europe de cette époque. Le sauvetage des juifs à Marseille, l’aventure héroïque de jeunes chrétiens allemands au sein de La Rose blanche et l’histoire héroïque du P. Jacques de Jésus, dont le procès en béatification vient de commencer, montrent qu’amour et miséricorde n’avaient pas complètement capitulé. Tout était compliqué et souvent injuste dans l’Europe de ces années noires. Certains articles montrent combien le déchaînement des événements avait éclipsé la question de Dieu. Rares, par exemple, furent les manifestations de la foi dans les camps. Les déportés étaient tellement obsédés par leur survie que la question n’avait pour eux aucun objet. Cette constatation amène inévitablement à s’interroger sur le silence de Dieu à Auschwitz, sur la façon dont on peut concevoir Sa toute-puissance et l’infini de son amour après cette expérience d’horreur et de déréliction.

Le lecteur ressortira difficilement indemne de la lecture d’un tel ouvrage. La foi, juive ou chrétienne, n’est pas sortie grandie de l’horreur des camps et de la Shoah. Doit-on voir ici une quelconque victoire posthume du nazisme, lui qui voulait éradiquer judaïsme et christianisme pour une religion de « croyants-en-dieu », c’est-à-dire d’adeptes d’un culte mêlant au sein d’une même bouillie philosophico-religieuse le culte du chef et la mythologie nordique ? Les Eglises, les religions et la Shoah n’est pas qu’un livre d’histoire, il est aussi porteur de leçons pour aujourd’hui. En ces temps qui voient l’évanouissement des normes morales au profit de la technique et du marché, l’apprentissage d’une histoire aussi dramatique que celle de la Shoah ne peut être que profitable.

 

Renée Dray-Bensousan (sous la direction de), Les Eglises, les religions et la Shoah, Le Cerf, 2013, 358 pages, 22 €

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Histoire Recensions

1915 : L’enlisement

Broché: 388 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (17 octobre 2013)
Langue : Français
ISBN-10: 2262030359
ISBN-13: 978-2262030353
Dimensions : 21 x 14,2 x 3,6 cm

 1915 : L’enlisement

Des cinq années que couvre la Première Guerre mondiale, l’année 1915 est probablement la moins connue. 1914, c’est la bataille de la Marne ; 1916, Verdun ; 1917, le Chemin de Dames ; 1918, l’année de la victoire. Dans l’imaginaire collectif, la deuxième année de la guerre ne fait référence à aucun épisode majeur, comme si le front s’était totalement figé dans la boue des tranchées. Comme le sous-titre de l’ouvrage l’indique, si 1915 est synonyme d’enlisement, ce n’est pas que rien ne se soit passé ; au contraire, le Front de l’Ouest a connu deux offensives françaises majeures, en Artois et en Champagne. L’Etat-Major n’envisage qu’une guerre courte. Il faut donc forcer la décision. Celle-ci se fera par des poussées partielles sur telle ou telle partie du front et par des offensives de grand style. Dans l’esprit de Joffre, le généralissime des Armées françaises, cette stratégie vise à grignoter l’ennemi, lui infliger des pertes telles qu’il se résolve à la paix. N’étaient justement ces pertes, on pourrait rire de ces manœuvres de gribouille qui affaiblissaient infiniment plus l’attaquant que le défenseur. Face aux mitrailleuses allemande, le sacrifice de l’infanterie française fut totalement vain : plus de 300 000 morts pour récupérer quelques kilomètres carrés, gain dérisoire au regard des pertes. Ces échecs attestaient la faillite d’états-majors ineptes parce qu’adeptes d’offensives à outrance tournant toujours à la boucherie. Dès lors, on ne pouvait plus l’ignorer : la guerre allait durer.

Servi par un remarquable esprit de synthèse, Jean-Yves Le Naour décrit tous les aspects d’un temps indissociable de la guerre : la vie aux armées et à l’arrière, le jeu politique, les luttes de faction entre militaires, la mutation industrielle, la guerre à l’Est et en Orient… Dans cette vaste fresque, l’auteur pointe particulièrement la médiocrité de généraux – Joffre le tout premier – qui ne comprennent pas que le courage ne vaut rien face à la mitraille. Le malheur est que les militaires imposent leurs vues criminelles à une classe politique atone de laquelle se sont retranchés les plus lucides comme Clemenceau. Quant à l’Union Sacrée, Jean-Yves Le Naour la décrit davantage comme un pis-aller que comme un choix mûrement accompli et ardemment désiré.

Couvrant tous les aspects du conflit, 1915 éclaire de façon convaincante une année triste et méconnue.

 
Jean-Yves Le Naour, 1915, L’enlisement, Perrin, 2013, 388 pages, 23 €

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Recensions Témoignages

Vies ordinaires en Corée du Nord

Broché: 326 pages
Editeur : Editions Albin Michel (10 novembre 2010)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10: 2226217398
ISBN-13: 978-2226217394
Dimensions : 3 x 14,3 x 21,8 cm

 Vies ordinaires en Corée du Nord

Correspondante du Los Angeles Time en Corée du Sud, Barbara Demick connaît suffisamment la vie quotidienne en Corée du Nord pour y consacrer un ouvrage. Non pas qu’elle y ait fréquemment séjourné, mais elle a eu l’opportunité de rencontrer des transfuges, des Coréens du Nord qui n’en pouvaient plus du totalitarisme imposé par la dynastie initiée par Kim Il Sung. Aujourd’hui ces anciens réfugiés sont installés en Corée du Sud, heureux d’être libres tout en culpabilisant d’avoir laissé derrière eux des familiers et amis qui n’ont pas eu leur chance. Les informations relatives à la Corée du Nord sont très parcellaires tant le pays vit dans une opacité totale. Il n’existe pas d’endroit où la surveillance de la population est ainsi érigée en système de gouvernement. Dans ce régime policier où les mouchards sont nombreux et la propagande omniprésente, gare à celui qui prétendrait s’affranchir des directives du « Grand Leader », dictateur, chef de l’Etat et du Parti, généralissime, détenteur d’un pouvoir prétendu omnipotent et omniscient. A l’instar des anciens pays du Bloc communiste, il se trouve que la Corée du Nord vit dans un état chronique de pénurie. Des infrastructures antédiluviennes peinent à faire tourner des usines à bout de souffle. Avec une économie anémiée, le moindre dérèglement climatique peut générer une catastrophe. C’est ce qui s’est passé à la fin des années 1990 où des famines sévères ont touché de plein fouet un pays déjà moribond. Un à deux millions de victimes, dues autant à l’imprévoyance du régime qu’aux aléas climatiques. Pour beaucoup la coupe était pleine qui, tentant le tout pour le tout, passèrent en Chine pour rejoindre la liberté.

Parmi les quelques photos du livre, il en est une particulièrement saisissante : les deux Corées photographiées de nuit par un satellite. Alors que la Corée du sud scintille de mille feux, à l’instar de l’Europe occidentale ou du Japon, la Corée du Nord est plongée dans un noir absolu. C’est que dans ce pays de misère l’électricité est rationnée à quelques heures par jour. A la clarté d’une faible ampoule de 40 watts, les malheureux Coréens du Nord ont tout loisir pour ruminer sur l’état de privation dans lequel les a plongés un régime criminel. Le livre de B. Demick est une plongée dans la plus criminelle des absurdités.

 

Barbara Demick, Vies ordinaires en Corée du Nord, Albin Michel, 2010, 327 pages, 23.30 €

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Histoire Recensions

Joukov : L’homme qui a vaincu Hitler

Broché: 732 pages
Editeur : Librairie Académique Perrin (5 septembre 2013)
Langue : Français
ISBN-10: 2262039224
ISBN-13: 978-2262039226
Dimensions : 23,8 x 15,4 x 2,8 cm

 Joukov : L’homme qui a vaincu Hitler

Jean Lopez est à l’heure actuelle, en France, le spécialiste incontestable du front de l’Est, c’est-à-dire de l’implacable conflit qui opposa l’Allemagne hitlérienne à l’Urss de Staline. Féroce et impitoyable affrontement car c’est là, bien plus que sur les plages de Normandie, que s’est joué le sort de la guerre. Ce conflit géant qui a opposé des millions d’hommes et une masse colossale de matériel a constitué le théâtre d’opérations majeur du second conflit mondial. Car cette guerre fut vraiment terrible et dévastatrice : des millions de victimes, des destructions sans fin, une somme d’atrocités jamais dépassée au XX° siècle. C’est dans ce contexte apocalyptique que Georgi Joukov vit grandi son étoile. Rien ne prédisposait cet enfant de condition modeste et à la scolarité minimale de se voir confier les rênes de l’Armée Rouge, si ce n’est un amour de l’art guerrier vitaminé par un courage et une obstination de tous les instants. Au travers d’opérations militaires longuement disséquées, l’auteur ne nie pas les limites d’un homme orgueilleux et brutal. Néanmoins, il lui reconnaît les qualités qui lui ont permis de triompher d’adversaires multiples, et pas seulement l’Armée allemande. En effet, en plus d’avoir à mener des batailles contre cet adversaire redoutable qu’est la Wehrmacht, Joukov doit calculer avec la jalousie des autres grands chefs soviétiques et la duplicité d’un Staline qui n’hésite pas, afin de mieux assurer son pouvoir total, de faire jouer les rivalités.

La guerre à l’Est fut vraiment une guerre totale. Pas seulement par des batailles que l’expertise des auteurs décrit avec un grand luxe de précisions, mais aussi dans les rivalités qui déchiraient états-majors et chefs militaires. Avec un art consommé du « diviser pour régner », jusqu’au bout Staline a joué ses généraux les uns contre les autres. Il trouvait plaisir à les mettre en compétition car c’était, pensait-il, une assurance de poids contre le surgissement éventuel d’un nouveau Bonaparte, c’est-à-dire d’un soldat populaire suffisamment audacieux pour fomenter un coup d’Etat.

Pour apprécier pleinement le livre comme il convient, mieux vaut s’intéresser de près à l’histoire militaire. Ouvrage de passionné puisant aux meilleures sources, ce Joukov est ce que l’on fait de mieux en matière de biographie. Un somptueux et grandiose livre d’Histoire.

Jean Lopez & Lasha Otkhmezuri, Joukov, l’homme qui a vaincu Hitler, Perrin, 2013, 729 pages, 28 €