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Recensions Religion

Les Actes des Apôtres

Broché : 152 pages
Editeur : Cerf (5 juin 2015)
Collection : Mon ABC de la Bible
Langue : Français
ISBN-10 : 220410468X
ISBN-13 : 978-2204104685
Dimensions : 19,5 x 1 x 12,5 cm

 Les Actes des Apôtres

Ancien professeur d’exégèses biblique au Centre Sèvres à Paris, Chantal Reynier était on ne peut plus qualifiée pour écrire ce petit livre sur les Actes des Apôtres, nouvel opus de la série des « ABC de la Bible ». En de courts chapitres, l’auteur introduit le lecteur dans une œuvre plus fouillée et plus enchevêtrée qu’il n’y paraît. Grâce à des chapitres bien découpés, Chantal Reynier réussit son pari à la perfection : faire entrer le néophyte dans l’intelligence du témoignage émanant des premières communautés chrétiennes. Le livre des Actes des Apôtres est « un texte qui présente l’expansion de la communauté chrétienne après l’événement de la Résurrection » (p. 23). C’est en effet grâce aux apôtres et aux disciples qu’est s’est répandu le message de Jésus. Les Actes forment un récit inaugural, celui de l’expansion des premières communautés et de la fixation de la foi chrétienne. En liens étroits avec l’Evangile de Luc, rédigés vers 80 – 85, « ils commencent avec le rappel des apparitions du Ressuscité et un nouveau récit de l’Ascension de Jésus qui envoie ses apôtres en mission. » (p. 16) Attribué à Luc, le récit est destiné à un dénommé Théophile, autrement dit à un chrétien de culture grecque. Après avoir donné un résumé de l’œuvre, l’auteur revient sur les principaux thèmes qui forment l’architecture des Actes : le rôle des témoins, la place centrale de l’espace méditerranéen, le style des nouvelles communautés chrétiennes, le christianisme face aux religions et cultures de l’époque… Le chapitre sur la réception des Actes montre toute leur importance dans la vie de l’Eglise contemporaine. Dans le Credo, dans la liturgie de l’Eglise et dans les grandes constitutions du concile Vatican II, les Actes des Apôtres révèlent la variété de leur richesse. Ils ont également influencé l’art européen à un degré insoupçonné.

Face à un petit livre aussi réussi il n’y a qu’une chose à dire : dommage qu’un travail comparable n’ait pas été réalisé pour chacun des livres bibliques. Chantal Reynier est pleinement parvenu à son but qui était, de façon simple et pédagogique, de donner l’essentiel en peu de pages.

 

Chantal Reynier, Les Actes des Apôtres, Cerf, 2015, 162 pages, 14€

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Portraits Recensions

C’est chose tendre que la vie : Entretiens avec François L’Yvonnet

Broché : 544 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (2 septembre 2015)
Collection : Itinéraires du savoir
Langue : Français
ISBN-10 : 222631489X
ISBN-13 : 978-2226314895
Dimensions : 22,5 x 3 x 15 cm

 C’est chose tendre que la vie

Tenter de résumer un livre aussi copieux est une gageure. Philosophe se définissant comme athée et fidèle (à la culture judéo-chrétienne), André Comte-Sponville est un de nos plus grands philosophes, en tout cas l’un des plus faciles à lire et à saisir. Contrairement à tant d’autres, voilà quelqu’un qui se refuse à jargonner et qui essaie de donner le goût de la réflexion et de la pensée. Dans ce livre d’entretiens menés par François L’Yvonnet, l’auteur de La sagesse des Modernes revient sur les sujets qui l’auront le plus marqué, en tout cas ceux qu’il aura travaillé avec autant de constance que de gourmandise : le bonheur, l’avenir des civilisations, l’art, la morale, l’éthique… On n’est pas obligé de suivre le philosophe en tout et, par exemple, il me semble qu’il prête à des valeurs très occidentales comme les droits de l’homme et la laïcité une aura qu’elles n’ont certainement pas sous d’autres cieux. Cela dit, comment ne pas être charmé par la culture et la mesure d’un intellectuel qui préfère Montaigne à Nietzsche et Pascal à Hegel. A maintes reprises Comte-Sponville dit son incroyance, mais il le dit à sa façon, belle, lucide et tendre. C’est qu’il demeure fidèle au terreau judéo-chrétien dans lequel il a grandi et mûri. Prêtant beaucoup de qualités aux sagesses orientales, A. Comte-Sponville insiste sur son attachement aux valeurs chrétiennes, non parce qu’elles seraient absolues, « mais parce qu’elles sont conformes à notre désir d’humanité, de justice, d’amour. » (p. 179) Avec modestie, il tente de tracer le chemin qui, grâce à la sagesse (surtout celle des Anciens), espère mener au bonheur, but de toute vie humaine. Alors, à quoi sert la philosophie ? A mieux vivre, répondent les philosophes et Comte-Sponville avec eux. Le but recherché, contrairement à ce que veut faire croire la doxa contemporaine, ne passe ni par la consommation ni par le divertissement. La sagesse, « c’est d’aimer la vie telle qu’elle est, telle qu’elle passe, heureuse ou malheureuse… » (p. 216). Pour avoir à ne pas se poser la question, le contemporain cherche l’oubli dans la futilité et le divertissement. C’est oublier que la vie est tragique : il y a trop de fragilité en nous et trop de dureté dans le monde. « Sagesse de Montaigne : ‘C’est chose tendre que la vie, et aisée à troubler… » Un superbe livre, plein de tendresse, d’ « humanité désolée et fraternelle ».

 

André Comte-Sponville, C’est chose tendre que la vie, Albin Michel, 2015, 538 pages, 24€

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Histoire Recensions

La bataille du Cotentin

Broché : 304 pages
Editeur : TALLANDIER (28 mai 2015)
Collection : L’histoire en batailles
Langue : Français
ISBN-13 : 979-1021004177
ASIN : B00G68N714
Dimensions : 21,5 x 0,2 x 14,5 cm

 La bataille du Cotentin

Il y a soixante-dix ans s’achevait la libération du Cotentin ; rien d’étonnant à ce que cette bataille fasse l’objet de nouvelles publications. Dans ce récit fort bien emmené, Christophe Prime suit pas à pas la libération de ce morceau de France des griffes de la machine de guerre nazie, du débarquement américain à Utah Beach jusqu’à l’opération Cobra, le plan de bataille qui chassa définitivement les Allemands de Normandie et les poussa à quitter précipitamment la France pour s’abriter derrière le Westphall. Très classiquement, l’auteur relate les lâchers de parachutistes à la vieille du Débarquement, le Débarquement lui-même et la poussée des troupes US à l’intérieur des terres, les réactions allemandes et ainsi de suite. Méthodiquement, aidé par une supériorité matérielle écrasante, les troupes américaines parviennent à chasser les Allemands de la péninsule. Elles le font parfois au prix fort car certaines de leurs divisions manquent cruellement d’expérience. Elles font face à des combattants allemands déterminés, les bleus étant encadrés de manière efficace par des soldats chevronnés, souvent des rescapés du terrible front de l’Est. Christophe Prime met en évidence les difficultés américaines… et les solutions qui sont prises pour y remédier. Si l’expérience lui fait défaut, le GI a pour lui l’enthousiasme et la volonté d’en découdre. Il jouit d’une supériorité aérienne totale et d’un service de santé de tout premier ordre. Pour beaucoup, la bataille du Cotentin constituera une expérience suffisamment forte, une aide qui se fera apprécier quand viendront la bataille des Ardennes et l’invasion de l’Allemagne. Quant aux Allemands, en dépit d’une infériorité numérique et matérielle constante, ils font preuve de leurs qualités habituelles : intelligence tactique, habileté à utiliser le terrain, supériorité de l’armement, etc. « L’armée allemande impose à son adversaire une terrible guerre d’usure dans le bocage et les marais du Cotentin. Chaque haie, chaque bosquet est un nid de résistance pour les soldats allemands. » La bataille du Cotentin fut une bataille rude et sanglante. Que dix-mille GI’s y soient tombés, des villes et villages rayés de la carte attestent la violence des combats qui aboutirent à la libération du sol national. Au total, le récit enlevé de Christophe Prime restitue bien l’ambiance fiévreuse de ces temps difficiles.

Christophe Prime, La bataille du Cotentin, Tallandier, 2015, 302 pages, 20.90 €

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Mémoires Recensions

Mémoires

Broché : 576 pages
Editeur : Perrin (14 mai 2015)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262050775
ISBN-13 : 978-2262050771
Dimensions : 24,1 x 4,2 x 15,4 cm

 Mémoires

Après la Seconde Guerre mondiale, nombre de généraux allemands ont consigné leurs souvenirs. Le maréchal Erich Von Manstein, l’un des meilleurs cerveaux opérationnels de la Wehrmacht, est l’un d’eux. Paru dès les années 1950 sous le titre Victoires perdues, ses mémoires viennent d’être publiées pour la première fois en français. Pour ceux qui ne connaîtraient pas Von Manstein, il suffira de dire qu’il est l’inspirateur du plan qui amena l’écrasante défaite de la France en mai-juin 1940, le vainqueur de Sébastopol (1942) et celui qui a bloqué l’avance des armées soviétiques après Stalingrad. Les stratèges anglo-saxons et soviétiques l’ont consacré comme la plus grande intelligence de l’Armée allemande.

Dans la préface qu’il lui consacre, Pierre Servent dit de Von Manstein qu’il est « un remarquable joueur d’échecs » ainsi qu’ « un hobereau prussien à œillères ». La critique avait déjà été formulée dans la biographie consacrée par Benoît Lemay au célèbre maréchal. Erich Von Manstein est effectivement le type même du général prussien, fidèle à sa patrie, discipliné à l’extrême et se gardant de toute sensiblerie. Comme beaucoup de généraux allemands lors du conflit, Von Manstein a été peu regardant quant aux crimes commis sur la population civile, juive et non-juive, par les SS et l’armée. Comme d’autres responsables militaires allemands, Manstein, par ses silences, a couvert les crimes commis en Ukraine, Russie et Biélorussie. Il était le type même du cerveau froid ; seul lui importait le résultat obtenu sur le champ de bataille. Et c’est, nous semble-t-il, faire preuve d’anachronisme que de regretter que Von Manstein ne fût pas philosophe. C’était un militaire, forgé dans le plus pur style germanique. Cela dit, s’il était discipliné et méconnaissait les scrupules de type humanitaire, Manstein n’avait rien du nazi fanatique. Au contraire, s’il reconnaissait à Hitler des qualités qui ont pu contribuer aux victoires des années 1939-1942, il a vite pris en compte les limites d’un être irrationnel, soumis aux sautes d’humeur, colérique, prenant ses désirs pour des réalités.

Le style du maréchal est purement descriptif, direct, sans fioritures. On regrettera toutefois que les opérations militaires décrites dans ce volume ne soient pas accompagnées par davantage de cartes.

Erich Von Manstein, Mémoires, Perrin, 2015, 573 pages, 25 €

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Recensions Religion

Problèmes religieux contemporains

Broché : 280 pages
Editeur : Editions de Fallois (13 mai 2015)
Collection : FALL.LITTERAT.
Langue : Français
ISBN-10 : 2877068994
ISBN-13 : 978-2877068994
Dimensions : 15,5 x 2 x 22,5 cm

 Problèmes religieux contemporains

Alain Besançon est un historien qui prend la religion au sérieux. Il vient encore une fois d’en administrer la preuve dans son dernier ouvrage, Problèmes religieux contemporains. Les problèmes qui intéressent ici l’auteur n’ont bien souvent qu’un lointain rapport entre eux. De fait, les chapitres concernent des sujets fort différents : la définition de l’orthodoxie, l’Eglise et l’islam, l’Eglise et le communisme, la question du mariage des prêtres, etc. Alain Besançon n’entend pas donner de réponses définitives aux problèmes auxquels il réfléchit, ce n’est ni son intention ni son ambition. Fort de sa culture encyclopédique, il les scrute et les analyse avec sa loupe d’historien. Etant donné la variété des sujets traités, tout n’est pas du même intérêt. Reste qu’il faut considérer avec curiosité certains sujets dont l’actualité révèle chaque jour l’acuité comme la façon – jugée naïve et irénique par l’auteur – dont le concile Vatican II parle de l’islam. Alain Besançon se demande, d’autre part, si l’intelligence n’a pas déserté l’Eglise latine, la recherche théologique étant réduite à la portion congrue. Il traite la question du mariage des prêtres avec délicatesse, déclarant avec honnêteté qu’il a du mal à trancher la question. Mais, encore plus que certains chapitres traités avec finesse et savoir, ses Problèmes religieux contemporains contiennent des passages dont tout chrétien devrait faire son miel. Il est bon et nécessaire qu’un intellectuel catholique comme A. Besançon rappelle que « saint Augustin remarquait qu’à l’origine du christianisme il y avait eu trois miracles. Le premier est la résurrection du Christ. Le second est que les apôtres aient cru en cette résurrection. Le troisième est qu’il y ait eu des gens pour croire les apôtres. » (p. 15) Quant à la possibilité d’un dialogue de nature théologique entre le christianisme et l’islam, Alain Besançon n’y croit guère, tout simplement parce qu’il juge le contact des chrétiens avec l’islam de toxique. « Toxique, parce que l’islam ne reconnaissant pas l’autorité du document biblique, les apologètes chrétiens sont obligés de comparer la loi chrétienne et la loi coranique sur un plan intemporel et abstrait, et par conséquent d’adopter le point de vue anhistorique musulman. » (p. 35) L’acuité de l’analyste et la pertinence de l’historien qu’est A. Besançon fondent tout l’intérêt de cette lecture.

Alain Besançon, Problèmes religieux contemporains, De Fallois, 2015, 278 pages, 22€

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Recensions Témoignages

Immortelle randonnée

Poche : 288 pages
Editeur : Folio (2 octobre 2014)
Collection : Folio
Langue : Français
ISBN-10 : 2070455378
ISBN-13 : 978-2070455379
Dimensions : 11 x 2,7 x 17,7 cm

 Immortelle randonnée

Revenu de son expérience politique – il a été ambassadeur de France au Sénégal de 2007 à 2010 -, Jean-Christophe Rufin a donné de son périple sur les pas de saint Jacques un récit passionnant et tout en délicatesse. Le sous-titre – Compostelle malgré moi – peut surprendre, il est là juste par souci d’honnêteté. En effet, la perspective croyante ne fait pas partie du bagage spirituel que porte J-C. Rufin. Le périple à Compostelle comportera certes des instants de spiritualité qui, parfois, iront jusqu’à émouvoir l’écrivain, comme ces eucharisties célébrées devant un petit nombre de pèlerins dans telle église ou telle chapelle qui lui rappelleront la religion de son enfance, mais là n’est pas l’essentiel. Immortelle randonnée se veut le récit au quotidien d’un parcours de plus de huit cents kilomètres jalonnés de lieux de mémoire, de petits hôtels proprets, d’auberges plus ou moins bien tenues. C’est évidemment l’opportunité de multiples rencontres fortuites durant lesquelles l’occasion est donnée de constater les diverses façons qu’il y a à entreprendre ce pèlerinage. La palette est large entre celui qui scrupuleusement se met dans la peau d’un pèlerin du Moyen Age au jeune cadre espagnol qui assure juste les deux cents derniers kilomètres, histoire d’alimenter son cv. Mais, pour les stressés que nous sommes, Compostelle est l’occasion d’un dépouillement rédempteur. C’est même, selon l’expression de l’auteur, une sorte de pèlerinage bouddhiste ; « Il délivre des tourmentes de la pensée et du désir, il ôte toute vanité de l’esprit et toute souffrance du corps […] ; il met le moi en résonance avec la nature. » (p. 181) Le récit a tôt fait de débarrasser le lecteur de la gangue d’illusions qui pouvait éventuellement nourrir son optimisme spirituel. Hélas, il faut le dire, « le Chemin est seulement un des produits offerts à la consommation dans le grand bazar postmoderne. » (p. 77)

Bien des récits ont été écrits sur le pèlerinage à Compostelle, mais peu possèdent un intérêt comparable à celui de Jean-Christophe Rufin. Evidemment, la qualité de l’observation ainsi que la beauté du style ne sont pas pour rien dans la qualité de ce « Compostelle malgré moi ». On n’est pas académicien français par hasard.

Jean-Christophe Rufin, Immortelle randonnée, Folio, 278 pages, 7€

 

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Actualités Recensions

Qui est Charlie ?

Broché : 252 pages
Editeur : Seuil (5 mai 2015)
Collection : H.C. ESSAIS
Langue : Français
ISBN-10 : 202127909X
ISBN-13 : 978-2021279092
Dimensions : 13,6 x 1,7 x 20,3 cm

 Qui est Charlie ?

La réaction de l’historien et sociologue Emmanuel Todd aux grandes manifestations qui ont suivi les attentats contre Charlie Hebdo a déjà fait couler beaucoup d’encre. Il est vrai que, pour séduisante que paraisse sa thèse, elle est sujette à controverse. La « sociologie de la crise religieuse » (j’aurais plutôt dit « a-religieuse » en ce qu’elle concerne un pays sécularisé à l’extrême mais dont certains référents demeurent ancrés dans l’histoire religieuse) entreprise par Emmanuel Todd mérite examen. L’auteur voit dans les manifestations de masse du 11 janvier dernier, d’après lui porteuses de conformisme et d’islamophobie, la trace d’une sorte de continuité historique. S’appuyant sur des enquêtes et des cartes, E. Todd tente de démontrer que c’est la France de la périphérie, héritière de la culture catholique, portée sur les inégalités sociales et économiques, qui a apporté un soutien massif à la République. Autrement dit, la France provinciale et jadis catholique (E. Todd nomme cette permanence de « catholicisme zombie», un catholicisme dont il ne reste que quelques traces culturelles mais qui continue d’agir sur les consciences) a rejoint les bobos et une partie de la gauche socialiste pour défendre les acquis d’une République méfiante à l’égard de ses minorités sociales et religieuses. Si cette thèse paraît fortement étayée, elle offre également de sérieuses déficiences. En effet, pour séduisante qu’elle paraisse, elle est fragile par sa volonté de systématiser ce qui ne saurait l’être. A cet égard il est ennuyeux que les cartes proposées offrent, par leurs nombreuses exceptions, de solides résistances à la thèse que développe le sociologue. Le problème ne tiendrait-il pas au fait qu’E. Todd tente d’ancrer sa démonstration dans une réalité historique qui n’a plus cours ? Un tableau de la France religieuse du début du XX° siècle, par exemple, n’offre plus guère de points de comparaison avec celui d’aujourd’hui. Nous avons changé de monde et la France d’aujourd’hui n’a plus la même figure que celle d’autrefois. Tout se passe comme si l’auteur ne voulait pas prendre en compte ces changements, vertigineux à l’échelle d’une nation et des quelques décennies passées. Facile à lire, Qui est Charlie ? possède les défauts de ses qualités. Dans son désir de généraliser une théorie séduisante, E. Todd s’est laissé piégé. Vous avez beau secouer un récipient contenant de l’eau et de l’huile ; à la fin jamais ils ne se mélangent.

 

Emmanuel Todd, Qui est Charlie ?, Seuil, 2015, 243 pages, 18€

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Actualités Recensions

Les déshérités ou l’urgence de transmettre

Broché : 207 pages
Editeur : Plon (28 août 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2259223435
ISBN-13 : 978-2259223430
Dimensions : 20,1 x 1,9 x 13,1 cm

 Les déshérités ou l’urgence de transmettre

La culture et, avec elle, ce qu’elle suppose de transmission et d’accomplissement, est-elle en train de disparaître ? C’est par une anecdote que F.-X. Bellamy commence son livre, cette soirée de 2011 où, à l’Opéra de Rome, le chef d’orchestre Ricardo Muti prend le public à témoin. Il a honte, avoue-t-il, de penser que l’Italie contemporaine est en train de tuer la culture sur laquelle l’histoire du pays est bâtie. Plus près de nous, d’autres chiffres nous arrivent, cinglants, à vous ficher un coup de poing à l’estomac : de plus en plus de jeunes sont incapables de trouver le sens d’un texte et la simple lecture devient pour eux un supplice. Comment se fait-il qu’au pays de l’école gratuite et obligatoire la transmission du savoir s’opère dans des conditions de plus en plus malcommodes ? Dans la première partie de cet ouvrage vigoureux et plein de panache, l’auteur rappelle que les programmes jadis défendus par Descartes, Rousseau et Bourdieu sont en train de magnifiquement s’accomplir. Eux qui prétendaient que la culture est discriminatoire, que l’enseignant sert à la reproduction des élites et que l’éducation est porteuse de violence ; eux qui ont bénéficié de la transmission et d’un enseignement de qualité en sont arrivés à dénier ce droit aux jeunes. Le résultat de ces fariboles ne s’est pas fait attendre : inculture à tous les niveaux, abrutissement devant les écrans et la télé-réalité, indistinction, culte de l’ego, etc. Le jugement de F.-X. Bellamy est sans appel : « La crise de la culture est le résultat d’un travail réfléchi, durable, explicite. » (p. 25). Le problème c’est que – mais nous sommes trop affairés pour le voir – la culture nous est essentielle en ce sens qu’elle augmente ce que nous sommes. Elle ne constitue pas un accessoire pour une élite privilégiée ; elle est constitutive de l’être humain dans ce qu’il a de plus nécessaire. Aussi pouvons-nous être certains que la disparition de la culture ou, au minimum, son confinement dans quelques strates de la société, risque de nous conduire à l’ensauvagement, à l’indistinction et « aux radicalités les plus délirantes » (p. 206). Il est vital de voir que la culture est ce à quoi on reconnaît d’abord une civilisation. Pour ce faire, le rôle de la transmission est essentiel : elle seule peut stopper la déconstruction en direction de laquelle la société toute entière est entraînée. Un livre vital et nécessaire.

 

François-Xavier Bellamy, Les déshérités, Plon, 2014, 207 pages, 17€

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Portraits Recensions

Houellebecq économiste

Broché : 160 pages
Editeur : FLAMMARION (3 septembre 2014)
Collection : ESSAIS
Langue : Français
ISBN-10 : 2081296071
ISBN-13 : 978-2081296077
Dimensions : 20,1 x 0,1 x 13,2 cm

 Houellebecq économiste

Réfléchir sur la place et le rôle de l’économie contemporaine à partir de l’œuvre littéraire de Michel Houellebecq, il fallait y penser ! C’est sans doute qu’en lisant les œuvres de l’auteur des Particules élémentaires, Bernard Maris s’est dit qu’il y avait entre lui et l’écrivain la même détestation de l’économie. Postulat singulier quand on songe que Bernard Maris est… économiste. Mais, comme Houellebecq, Bernard Maris a un souhait : que l’économie regagne la place que jamais elle n’aurait dû quitter, l’arrière-plan. Car, selon Maris et Houellebecq, l’économie n’est pas une science, juste « une discipline vide et ennuyeuse ». Cette charge surprenante d’un économiste à l’encontre de sa discipline – laquelle est « une idéologie précise, vicieuse, délétère » (p. 45) – s’explique par le dégoût qu’inspire à l’auteur le tout économique, la marchandisation du monde, l’impitoyable loi de l’offre et de la demande qui réduit l’homme à n’être qu’un consommateur, un usager servile. En quelques courts chapitres Bernard Maris règle ses comptes avec une vision purement technicienne de l’économie en passant les romans de Houellebecq au filtre de quelques grands noms des sciences économiques comme Marschall, Marx ou Malthus. De ces noms émerge l’incomparable figure du britannique John Maynard Keynes, le premier à avoir saisi la nature profonde du capitalisme, lequel vise à l’infantilisation des populations par l’injonction à la consommation. La réflexion devient philosophique, voire religieuse. A quoi sert une telle agitation, sinon à obvier la peur de la maladie et de la mort ?

Au fait, pourquoi Houellebecq ? Pourquoi Bernard Maris voit-il en lui l’une des personnes qui comprend le mieux le monde et l’économie contemporaine ? « Aucun romancier n’avait, jusqu’à lui, aussi bien perçu l’essence du capitalisme, fondé sur l’incertitude et l’angoisse. » Le capitalisme engendre de l’angoisse, non simplement parce qu’il génère inégalités et chômage de masse, mais parce qu’il se sert et use jusqu’à plus soif de nos névroses comme l’inassouvissement de nos désirs et l’incapacité à être insatisfait.

Houellebecq économiste, un livre puissant qui met à nu les fragilités psychologiques du monde contemporain.

 

Bernard Maris, Houellebecq économiste, Flammarion, 2014, 153 pages, 14€

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Actualités Recensions

La révolution arabe

Broché : 392 pages
Editeur : Perrin (26 mars 2015)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262043337
ISBN-13 : 978-2262043339
Dimensions : 24 x 3 x 15,5 cm

 La révolution arabe

Bien avant l’espoir de changement suscité par les printemps arabes de ces dernières années, le monde arabo-musulman n’en finit pas de réfléchir à sa propre réforme. Encore faut-il savoir ce que l’on met sous ce mot. En effet, il y a un gouffre entre les musulmans qui espèrent une société pluraliste, où religion et politique ne seraient pas mêlés, et ceux qui, au contraire, veulent revenir à l’islam des origines. D’aucuns, dans le mouvement appelé Nahda, ont cherché à assimiler ces deux éléments contraires. « Les réformateurs, écrit Zakya Daoud dans son dernier ouvrage, ont voulu restituer l’islam originel dans sa pureté doctrinale, mais ils n’ont pas, parallèlement, mené la réflexion sur l’islam en tant que civilisation ayant évolué dans un contexte multiple. » Réformer des sociétés cumulant les retards en cherchant à revenir à l’islam des origines ressort de la quadrature du cercle. Comment des sociétés aussi imprégnées de religieux pourraient-elles faire leur aggiornamento sans assigner à la religion une place plus réduite ? Diminuer les inégalités, mettre fin aux frustrations, se débarrasser des tyrannies… Le but ne manquait pas de grandeur. Tel était celui des Nasser et autres Bourguiba, chefs d’Etat qui ne pouvaient pas admettre qu’en dépit de tous ses atouts le monde arabe ne puisse combler l’écart le séparant de l’Occident et des dragons asiatiques. Sans doute manquait-il une théorie de l’Etat susceptible de laisser davantage de liberté aux forces libérales et centrifuges. La seule volonté de quelques hommes politiques ne suffit pas à décréter l’existence d’une société de confiance. Les bons sentiments sont loin de faire une bonne politique. La preuve en a été administrée dans maints pays. A travers les exemples historiques qu’elle donne, l’auteure donne la preuve de la difficulté des sociétés arabo-musulmanes de se choisir un destin digne de leur passé. On a pu croire que l’échec du réformisme avait été fatal aux musulmans libéraux, dépassés et marginalisés par les fondamentalistes. Or, ce qui vient par exemple de se passer en Egypte donne de l’espoir à ceux qui espèrent des sociétés dont l’homogénéité ne passerait pas entièrement par la religion. Encore faudrait-il que l’Etat retrouve l’autorité qui lui fait souvent défaut et qui permet aux extrémistes de s’engouffrer dans la brèche créée par la misère et la frustration.

Zakya Daoud, La révolution arabe, Perrin, 2015, 392 pages, 24€