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Histoire Recensions

1916

Broché : 376 pages
Editeur : PERRIN (23 octobre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2262030367
ISBN-13 : 978-2262030360
Dimensions : 21 x 2,9 x 14 cm

 1916

La plume vive et aiguisée de Jean-Yves Le Naour donne l’occasion de revisiter la Première Guerre Mondiale année par année. Ce 1916 est bien sûr le troisième volume d’une série qui, d’évidence, devrait en comporter cinq, à moins que l’historien ne décide de porter plus loin son regard, c’est-à-dire sur l’année 1919, celle des traités de paix, époque d’une importance capitale pour la compréhension du XX° siècle.

Facile et plaisant à lire, 1916 – L’enfer relate l’essentiel d’une année qui marque un certain statu quo, tant à l’Est qu’à l’Ouest. Jean-Yves Le Naour s’intéresse peu à la périphérie ; tout juste a-t-il quelques mots un peu dédaigneux à l’égard de l’épopée de Lawrence d’Arabie, lequel commence alors à rassembler une partie des tribus arabes pour chasser l’envahisseur turc. L’essentiel se passe à l’Ouest, l’année 1916 étant celle de Verdun et de la Somme, deux batailles gigantesques, une attaque allemande et la seconde alliée, qui n’auront d’autre résultat que de faire tuer un nombre considérable de soldats. En effet, malgré les pilonnages d’artillerie, il suffit de quelques hommes autour d’une mitrailleuse pour stopper les offensives les mieux préparées. Comme le rappellent les militaires les plus lucides : le feu tue. C’est la raison pour laquelle un Pétain se refuse à ces offensives aussi coûteuses qu’inutiles. Seule l’arrivée des Américains et des chars permettra d’opérer la guerre de mouvement, seule possibilité d’en finir avec l’enfer des tranchées.

Je l’ai dit, cette synthèse se lit plaisamment. Pourtant, elle ne réussit pas à éviter certains écueils. Pourquoi, par exemple, aussi peu de place à la bataille du Jutland, de loin la plus grande confrontation navale de la guerre ? Pourquoi peu de choses sur l’enfer, dans ce qu’il y a de plus concret, de plus terre à terre, vécu par le simple soldat, dans l’univers sordide et impitoyable des tranchées ? Il nous semble que l’auteur accorde trop d’importance aux manœuvres des coulisses, celles qui opposent entre eux des généraux jaloux et divisent les politiciens. S’il est vrai que l’Union Sacrée ne fut pas un long fleuve tranquille, il n’en reste pas moins qu’elle réussit à cimenter une nation qui, peu de temps avant 1914, ressemblait plus à un agrégat qu’à un corps uni.


Jean-Yves Le Naour, 1916. L’enfer, Perrin, 2014, 374 pages, 23 €

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Recensions Religion

A quoi sert un chrétien ?

Broché : 273 pages
Editeur : Cerf (30 octobre 2014)
Collection : EPIPHANIE
Langue : Français
ISBN-10 : 2204102954
ISBN-13 : 978-2204102957
Dimensions : 21 x 2,2 x 13,5 cm

 A quoi sert un chrétien ?

Il y avait longtemps qu’un ouvrage comme celui-ci n’avait pas vu le jour, je veux dire un livre s’interrogeant sur la santé actuelle de l’Eglise catholique et les réponses qu’elle peut apporter à son déclin en Occident. Jean-Guilhem Xerri a su relever le défi, mettant en avant ce que révélait de positif la crise actuelle et en donnant des raisons d’espérer.

Dans les premiers chapitres, faisant l’état des lieux de l’Eglise en Occident, il ne mâche pas ses mots, relevant ici les attaques dont la foi chrétienne est régulièrement l’objet, déplorant là le fait que de nombreux catholiques ne sont plus véritablement chrétiens. L’exculturation du catholicisme, relevé naguère par Danièle Hervieu-Léger, n’est pas une vue de l’esprit : le programme est en partie réalisé car, explique l’auteur, « plus la modernité se développe, plus la religion se rétracte » (p. 39). Cela dit, c’est à la fin d’un christianisme que nous assistons, non à la fin du christianisme. Un christianisme de compagnonnage peut se substituer à un christianisme d’autorité. Pour ce faire, Jean-Guilhem Xerri pointe trois préalables : ne pas se laisser absorber par la peur du déclin, considérer que l’effondrement de la culture et de la morale chrétiennes oblige à se proposer le cœur de la Révélation – la mort et la résurrection du Christ – et comprendre que la transmission peut se faire autrement que dans le seul rapport à la verticalité. Une vraie vie chrétienne doit reposer sur ces deux piliers que sont une vie intérieure de qualité, en relation étroite avec le Christ, et un esprit de charité qui donne envie. Donner envie ! Dans une époque ravagée par la perte de sens, n’est-ce pas ce à quoi tout chrétien est appelé ? Cette envie, c’est dans une alliance permanente entre prière et charité qu’il faut la chercher.

Ne nous leurrons pas : A quoi sert un chrétien ? n’est pas un livre de recettes. Il appelle simplement à se mettre dans des dispositions favorables, pour recevoir la Parole et comprendre le cœur de la foi, pour accueillir l’autre dans une relation de service et de fraternité. Cela n’a rien à voir avec un quelconque christianisme triomphant ou une volonté de revanche de la sécularisation.

 

Jean-Guilhem Xerri, A quoi sert un chrétien ?, Cerf, 2014, 274 pages, 20 €

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Histoire Recensions

Considérations sur Hitler

Broché: 214 pages
Editeur : PERRIN (2 octobre 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262043817
ISBN-13: 978-2262043810
Dimensions : 21 x 1,8 x 14 cm

 Considérations sur Hitler

Les Editions Perrin ont eu l’excellente idée de publier ces Considérations sur Hitler, éditées la première fois en Allemagne en 1978. Militant antinazi, Sebastian Haffner a quitté le III° Reich pour se réfugier en Grande-Bretagne. C’est bien plus tard qu’il s’est décidé à écrire ces Considérations, un livre assez étrange en vérité car très éloigné des codes de la biographie classique. C’est un peu comme si l’auteur réfléchissait devant le lecteur à voix haute. Cela suppose de sa part une mise à distance appropriée ; par exemple, aucun désir de dresser un portrait psychologique du dictateur, labeur que l’auteur laisse aux historiens.

En sept chapitres (Vie – Réalisations – Succès – Erreurs – Fautes – Crimes – Trahison) écrits avec une grande liberté de ton, S. Haffner évoque les hauts et les bas, les réussites, les forfaits et les horreurs du régime enfanté par celui qui, au sortir de l’adolescence, était davantage promis à la carrière d’un médiocre peintre qu’à celle de dictateur. Haffner montre avec conviction les talents d’Hitler. On aurait tort de faire de ce dernier un médiocre si l’on considère que, parti de rien, il devient en quelques années le maître omnipotent du plus puissant pays d’Europe. Beaucoup ont sous-estimé Hitler et s’en sont mordus les doigts. Une fois au pouvoir, tout a semblé lui réussir. Comment ne pas être impressionné par le redressement économique qui, grâce à ses intuitions, parce qu’il savait s’entourer de gens compétents, a fait du III° Reich le géant de l’Europe ? Le problème, insiste Haffner, c’est qu’Hitler ne pouvait rester dans ce statu quo. Deux questions hantaient le personnage, deux questions qui devenaient chez lui de véritables obsessions : l’extermination des juifs et la domination de l’Est de l’Europe, la Russie en particulier. Ces points de fixation ont entraîné la chute de l’Allemagne. Pire, soutient Haffner, voyant lui échapper la domination sur l’Europe dès la fin 1942, Hitler se concentra sur le second but : la liquidation du peuple juif.

Au fond, insiste l’auteur dans sa conclusion – tel est l’objet du chapitre intitulé « Trahison » -, Hitler a eu du mépris pour le peuple allemand qu’il a tiré vers le gouffre. Il a été déçu par un peuple qui, à ses yeux, n’était pas prêt aux sacrifices colossaux que sa pensée mégalomaniaque imposait. Au cours des dix dernières années de sa vie, Hitler a méprisé ses compatriotes, « n’en recherchant plus le contact, devenant de plus en plus indifférent à leur sort et finalement retournant même contre eux sa volonté destructrice » (p.187). Une étude originale et éclairante.

 

Sebastian Haffner, Considérations sur Hitler, Perrin, 2014, 214 pages, 17.90 €

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Histoire Recensions

Les batailles qui ont changé l’histoire

Broché: 395 pages
Editeur : PERRIN (11 septembre 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262037582
ISBN-13: 978-2262037581
Dimensions : 24 x 3,2 x 15,5 cm

 Les batailles qui ont changé l’histoire

A la suite d’un John F. Charles Fuller (Les batailles décisives du monde occidental) ou d’un John Keegan (Anatomie de la bataille), Arnaud Blin a choisi de décortiquer onze batailles qui, à ses yeux, ont bouleversé le sens de l’histoire. Contrairement à ses illustres devanciers qui ont opéré un choix suivant une certaine logique, Arnaud Blin pense au contraire que la part du hasard est essentielle, qu’il n’y a pas lieu à chercher du sens là où il n’y en pas. Tout au plus peut-on dire qu’il a retenu des batailles revêtant un caractère incertain et aléatoire : il n’était en effet pas certain que l’Armée Rouge l’emporte sur l’Armée allemande à Stalingrad (1943) ni que les mamelouks battent les mongols à Ain-Jalut (1260). Les batailles exposées ici revêtent-elles toutes le caractère décisif que leur attribue l’auteur ? Oui et non. Pour importantes qu’ont été leurs conséquences, une bataille demeure, le plus souvent, l’affaire d’une journée. Le résultat d’un tel affrontement est généralement plus la conséquence que la cause d’une crise plus large. « Demain, dans la bataille, le roi portera la péché de son armée », fait dire Shakespeare à l’un des protagonistes de sa pièce Henri V. Ce que le dramaturge veut dire c’est qu’il y avait, bien avant l’affrontement, des causes générales qui faisaient que la bataille ne pouvait qu’être perdue. La défaite de la France en mai-juin 1940 se joue dès 1919. En ce sens, je ne crois guère qu’une bataille puisse, à elle seule, changer l’histoire. Quant au choix des batailles – j’y reviens ! -, il paraît plutôt judicieux. On aurait pu toutefois compléter la liste : Leipzig (1813) ou Waterloo (1815) se parent d’une dimension historique tout aussi importante que Borodino, seule bataille du Premier Empire à figurer ici. Plus près de nous, la bataille de Moscou (1941), au plan psychologique et symbolique, apparaît comme un tournant décisif de la Seconde Guerre mondiale, d’importance égale à celui de Stalingrad, la seule à être retenue dans le présent ouvrage.

Pour plaisant à lire qu’il soit, Les batailles… ont un côté un peu vain ; l’impression de la même histoire, racontée certes différemment, mais tous les ressorts semblent usés jusqu’à la corde.

Arnaud Blin, Les batailles qui ont changé l’histoire, Perrin, 2014, 395 pages, 23.90 €

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Recensions Religion

Au rythme des fêtes chrétiennes / L’année liturgique

Broché : 194 pages
Editeur : CERF (2 octobre 2014)
Collection : CATECHESE
Langue : Français
ISBN : 978-2-204-10278-0
EAN : 9782204102780
Dimensions : 21 x 1,5 x 14 cm

  Au rythme des fêtes chrétiennes

Les populations d’ici vivent dans un temps de plus en plus laïque : ici la fête de l’hiver a succédé à Noël, ailleurs c’est Pâques qui a dû s’effacer pour laisser place à une improbable faite de l’hiver. Dans une Europe qui a peur de son histoire comme de son ombre, le rythme du temps n’est plus scandé que par le rythme des saisons – encore pour combien de temps ? – et celui des innovations technologiques. La société traditionnelle égrainait le temps sur un rythme plus lent et plus régulier. Pendant des siècles, dans cet Occident encore chrétien, l’écoulement du temps, c’est-à-dire celui des jours et des siècles, était ponctué par le calendrier liturgique. Dans l’Occident d’autrefois, les fêtes chrétiennes jouaient un rôle énorme. Avec la sécularisation, l’empreinte chrétienne n’est visible que par un vocabulaire qui, en dépit des vicissitudes, demeure : Pâques, la Toussaint, l’Avent (et non l’Avant comme on le voit grotesquement écrit par des commerçants désireux de pousser à l’achat de galettes ou de calendriers), Noël… Les chapitres de l’ouvrage de Marie-Christine Bernard sont tous écrits selon la même ordonnance : un passage de l’Ecriture, souvent les Evangiles, suivi d’un commentaire écrit sur un ton très personnel. Evitant avec soin l’intellectualisme, l’auteur met à jour l’essentiel de ce qu’il faut retenir, la quintessence du message dans son rapport aux chrétiens d’aujourd’hui. « Comment comprendre cela ? » demande-t-elle à plusieurs reprises. Quel sens la naissance du Christ (Noël), sa mort (Vendredi Saint) et sa résurrection (Pâques) sur la croix ont-elles ? Pour chaque chapitre, Marie-Christine Bernard décrit le cadre et l’ambiance dans lesquels les événements de la Nouvelle Alliance se placent. Quel sens ont-ils au regard de la foi chrétienne et quel écho spirituel retentit-il jusqu’à nous ?

Avec le sens de la pédagogie qu’on lui connaît, Sœur Marie-Christine Bernard a su rendre vivantes des fêtes qui nous aident à ne pas désespérer de ce monde froid et technicien.

 

Marie-Christine Bernard, Au rythme des fêtes chrétiennes, Cerf, 2014, 192 pages, 14 €

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Recensions Religion

L’islam et nous

Broché : 274 pages
Editeur : CERF EDITIONS (11 septembre 2014)
Collection : L’histoire à vif
Langue : Français
ISBN-10 : 2204100560
ISBN-13 : 978-2204100564
Dimensions : 21 x 2 x 13,5 cm

 L’islam et nous

Dans le foisonnement d’ouvrages écrits sur l’islam, celui de Dominique Josse devrait faire date ; ce serait justice. Que voilà un livre intelligent ! Il dit en termes simples des choses parfois compliquées, il ose appeler chat un chat, affirmant la fracture irréversible qui sépare le christianisme de l’islam tout en appelant à la création de ponts. L’islam a hélas tendance à se dévoiler sous son jour le plus violent mais le chrétien, désabusé et noyé comme tout un chacun dans l’océan de la consommation, peut tirer du positif quand il observe le degré de foi manifesté par beaucoup de musulmans. L’islam serait-il la seule religion à résister au rouleau compresseur de la mondialisation ? Si oui, dans quelle mesure pourrait-il inspirer les chrétiens afin qu’ils montrent davantage d’assiduité à la prière et se montrent fiers de leur foi ?

Dominique Josse a divisé son ouvrage en trois grandes parties : les sources de l’islam, la théologie de l’islam et la pratique de l’islam. J’ai rarement lu un livre aussi pédagogue sur le sujet. Sans entrer dans le détail, le sentiment est que l’auteur s’attache à donner du Dieu de l’islam une image radicalement différente du Dieu des chrétiens – une image respectueuse, mais différente – qui s’explique par le fait que l’islam est « la religion naturelle du Dieu révélé » (Alain Besançon) (p. 54). L’auteur fait souvent référence à la notion d’extrinsécisme chère au grand orientalisant Louis Gardet : l’image que les musulmans d’Allah est si puissante, si transcendante, si éloignée de la condition humaine que le croyant, même au paradis, est toujours placé sous le regard terrible et pénétrant du Tout-Puissant. Le Dieu musulman, contrairement au Dieu chrétien, se situe loin de la condition humaine : il est l’Omniscient, l’Omnipotent, Celui qui voit et sait tout et devant lequel le croyant n’a qu’une attitude à adopter : la soumission. L’islam n’est pas la religion de l’amour, mais de la foi, une foi pure, un bloc massif, impénétrable. Dans sa dernière partie, D. Josse insiste sur les différences irréversibles qui distinguent islam et christianisme. Cependant, alors que le canon résonne en Syrie et en Irak, il émet un rêve : que, sans renoncer à ce qui fonde leur foi, chrétiens et musulmans se rapprochent pour donner un peu d’âme à un monde desséché et desséchant. Depuis qu’on a liquidé Dieu en Occident et quand on considère le mal-être ambiant, on se demande où est le progrès !

 

Dominique Josse, L’islam et nous, Cerf, 2014, 274 pages.

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Mémoires Recensions

Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas

Broché : 272 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (27 août 2014)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10 : 2226256881
ISBN-13 : 978-2226256881
Dimensions : 22,5 x 2 x 14,5 cm

 Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas

A l’âge de 84 ans, il n’était pas étonnant que Paul Veyne, l’un de nos plus grands spécialistes de l’Antiquité romaine, songe à livrer ses mémoires. D’emblée, une petite déception. On pouvait en effet s’attendre à un livre plus exhaustif et plus bavard de la part d’un de nos plus grands historiens, qu’il racontât par exemple la genèse et le travail qui ont accompagné ses principales œuvres. Or, Paul Veyne a choisi de raconter l’homme qu’il était et qu’il demeure ; il a refusé de se révéler en historien prenant la pose à l’ombre d’une œuvre considérable tant par son ampleur que par son originalité (N’est-il pas l’un des premiers à avoir dépoussiérer l’image des gladiateurs, « des hommes libres, passionnés par leur métier et la violence » – page 70). La trame chronologique choisie par notre auteur s’efface peu à peu au profit de ses appétences et de ce qu’il juge ou jugeait « intéressant » : l’Italie, dont il est tombé amoureux fou du catalogue artistique (voir son Musée imaginaire paru chez Albin Michel), l’alpinisme, la Rome antique… Il s’attarde plus sur son adhésion au Parti communiste qu’à sa période de formation à Normale Sup. En fin de compte, Paul Veyne a été militant au PCF comme il était dans la vie : une sorte de grand adolescent voyant généralement les choses à distance, peu convaincu et pas du tout servile… La fin du livre se clôt sur les drames qui l’ont touché de près, comme le suicide de son fils. Mais, peut-être inspiré par les philosophes antiques, il évite regrets et remords pour mieux se souvenir des moments heureux.

La religion enfin. En disant son regret de ne pas être croyant, Paul Veyne fait cependant montre d’un certain sens religieux. Il dit par exemple son affection pour sainte Thérèse d’Avila, son attachement à l’Evangile de Jean, mais refuse d’adhérer au dogme et à l’éthique catholiques. Le rebutent divers articles du Catéchisme de l’Eglise catholique. Il y a du Lucien Jerphagnon chez Paul Veyne : l’attrait pour la philosophie antique païenne va de pair avec une inclination certaine pour le message du Christ et à une attention convaincue à l’égard de la religion chrétienne, vue comme une « ensorceleuse que n’égale aucune autre religion au monde ».

 

Paul Veyne, Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas, Albin Michel, 2014, 260 pages, 19.50 €

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Actualités Recensions

Comment sommes-nous devenus si cons ?

Broché : 189 pages
Editeur : FIRST (11 septembre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2754066896
ISBN-13 : 978-2754066891
Dimensions : 21 x 1,5 x 14 cm

 Comment sommes-nous devenus si cons ?

Abasourdi devant toutes les idioties déversées par la sphère médiatique, frappé devant l’inconsistance du savoir délivré par l’Ecole, le linguiste Alain Bentolila sonne la charge contre ce qu’il appelle le délitement de l’intelligence collective. Lorsque les médias accordent, sur le même sujet, plus de poids aux propos d’un joueur de football qu’à ceux d’un professeur au Collège de France, alors oui, il faut se faire du souci devant cette perte de la raison. D’emblée l’auteur pointe un danger majeur : l’extinction du goût de la découverte, de la volonté de questionnement, du désir de comprendre et d’apprendre : « Une telle perspective me terrifie, car elle marquerait la rupture avec l’aventure des hommes, engagés depuis toujours dans une quête obstinée du savoir » (p. 9). Alain Bentolila pointe d’un doigt accusateur la télévision, arme d’abrutissement massive, Internet, qui accorde plus d’importance à la forme qu’au fond, les politiques, qui n’ont de cesse de suivre les modes et qui imaginent que doter les élèves d’outils technologiques à haute dose remplacera avantageusement la mémorisation et l’intelligence critique. Comme vient de le rappeler fort justement le philosophe Michel Onfray, l’école est d’abord là pour apprendre à lire, écrire, compter et penser. Or, ces missions fondamentales sont en passe d’être liquidées au profit d’une modernité qui pousse à papillonner, à passer d’un sujet à l’autre, à ne jamais approfondir un objet d’études. Autre cible d’Alain Bentolila, ce qu’il nomme les « années d’errance éducative », à savoir ces réformes décrétées d’en-haut qui s’empilent sans qu’une véritable ligne directrice apparaisse, une recherche pédagogique aventureuse qui fait des enfants des cobayes et dont on voit chaque jour les effets destructeurs. Que penser également d’une politique qui vise à substituer pour partie l’école aux familles ? Devant l’impéritie éducative de beaucoup de famille, on a voulu donner à l’Education nationale un rôle qui la dépasse. Or, rappelle l’auteur, c’est aux familles d’éduquer et à l’école d’instruire. La défaite de la pensée et de l’esprit critique dont on constate tous les jours les effets pervers peuvent engendrer des risques gravissimes : en faisant de l’individu un usager et un consommateur à moitié lobotomisé, que deviendra la démocratie ? Ce cri de colère d’Alain Bentolila contre l’abêtissement généralisé, il devient urgent de l’entendre.

Alain Bentolila, Comment sommes-nous devenus si cons ?, First Editions, 2014, 190 pages, 14.95 €

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Histoire Recensions

Les derniers jours de Louis XIV

Broché : 308 pages
Editeur : PERRIN (18 septembre 2014)
Collection : Pour l’histoire
Langue : Français
ISBN-10 : 2262043353
ISBN-13 : 978-2262043353
Dimensions : 20,9 x 2,7 x 14 cm

 Les derniers jours de Louis XIV

Grand roi, le Roi-Soleil fut à l’approche de la mort tel qu’il a été dans la vie : soucieux de sa dignité, s’élevant au-dessus des mesquineries du quotidien pour donner à sa fin toute la majesté souhaitée. Les derniers jours de Louis XIV sont ceux d’un grand chrétien. Certes, le roi avait la foi du charbonnier mais, après tout, cette foi, dont certains se gaussent, a ceci de particulier qu’elle est aussi bien l’apanage des puissants que des humbles. Louis XIV n’était pas un métaphysicien : il croyait comme beaucoup croyaient au XVII° siècle. Dieu était, voilà tout Humain, on se devait de l’honorer et de lui rendre grâce.

En de courts chapitres, Alexandre Maral raconte le dernier conseil, la dernière promenade, la dernière messe, le dernier adieu du roi… jusqu’aux funérailles. Chaque chapitre est l’occasion d’admirer la constance et le courage de Louis XIV face à la mort. Accablé par de nombreux deuils dans les dernières années de sa vie, le roi puise sa force dans sa foi. Devant le spectacle de son corps en putréfaction (la gangrène), c’est lui qui console familiers et courtisans. Alors, oui, même si l’on peut en vouloir au Roi-Soleil d’avoir trop aimé les bâtiments et la guerre, reproches que lui-même s’adressa, comment ne pas être admiratif devant une mort aussi digne ? Un roi aussi grand devait être grand dans la mort. Il laissait un pays fatigué, mais sublimé par une geste glorieuse, pour une part fondatrice de l’Etat moderne : « Je m’en vais, mais l’Etat demeurera toujours », éclatante et élégante manière de quitter le monde : le roi est mort mais l’Etat lui survit – « Le roi est mort. Vive le roi ! » Frappante également est cette sorte de publicité qui est donnée à ces derniers jours. Alors qu’aujourd’hui tout est fait pour dissimuler la maladie grave d’un chef de l’Etat, il s’agit ici, avec les moyens dont on dispose, de ne rien cacher. Le roi doit être dans ses derniers jours tel qu’il a été dans la vie : on ne cache rien de celui qui, par la naissance, s’élevait au-dessus du commun des mortels.

Si l’on peut regretter un certain manque de souffle dans le récit, il faut savoir gré à l’auteur de s’emparer d’un sujet plus actuel qu’il n’y paraît.

 

Alexandre Maral, Les derniers jours de Louis XIV, Perrin, 2014, 308 pages, 22.50 €

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Histoire Recensions

Histoire de la guerre

Broché : 628 pages
Editeur : PERRIN (28 août 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 226203544X
ISBN-13 : 978-2262035440
Dimensions : 21,1 x 4 x 14,3 cm

 Histoire de la guerre

Décédé il y a deux ans, l’historien britannique John Keegan s’est illustré à la fin du siècle dernier comme l’un des meilleurs spécialistes mondiaux d’histoire militaire. On se souvient de son Anatomie de la bataille et de sa façon très originale de considérer l’affrontement d’une journée entre deux armées : une vue au raz du sol, celle du combattant noyé dans la masse, aveuglé par la fumée, assommé par un bruit assourdissant. Avec John Keegan, la narration des batailles d’Azincourt (1415), de Waterloo (1815) et de la Somme (1916) prend un aspect saisissant et particulièrement concret. Avec l’Histoire de la guerre, Keegan répète en grand la leçon tirée de l’Anatomie de la bataille. Une bataille, ce sont des hommes qui souffrent, éprouvent des sentiments confus et parfois contradictoires dans un climat de violence poussé au paroxysme. Si une certaine historiographie – par exemple celle liée à l’Ecole des Annales – a eu tendance à minimiser le rôle de la guerre dans l’histoire, Keegan replace cette dernière au centre. Comme le pensait Clauzewitz et d’autres après lui (Raymond Aron), la guerre accouche de l’histoire ; la meilleure preuve en est que la plupart des grandes civilisations sont nées de la guerre. Mais plutôt que de se livrer à une histoire chronologique, Keegan a choisi de faire reposer son récit sur les principales forces sur lesquelles repose l’art de la guerre : les fortifications, la logistique, l’invention du fer, l’utilisation de la poudre… Une connaissance encyclopédique du sujet était nécessaire pour aboutir à une pareille maîtrise. Une telle histoire ne donne lieu à aucune généralisation, la guerre s’inscrivant dans l’histoire humaine au même titre que l’économie ou les arts. Une conclusion s’impose : la guerre est liée à la culture, elle révèle les grandes tendances culturelles d’un peuple ou d’une civilisation, ce qu’a par exemple bien montré Victor D. Hanson avec son remarquable Carnage et culture. A noter que, contrairement à beaucoup d’historiens militaires anglais, John Keegan propose une histoire très universelle, pas du tout « britanno-centrée ». Preuve en sont les exemples qu’il tire de l’histoire des Hittites ou des Maoris… Rien n’est plus universel que la guerre.

John Keegan, Histoire de la guerre, Perrin, 2014, 628 pages, 26 €