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Littérature Recensions

Dictionnaire amoureux des dictionnaires

Broché : 998 pages
Editeur : Plon (3 mars 2011)
Collection : Dictionnaire amoureux
Langue : Français
ISBN-10 : 2259205119
ISBN-13 : 978-2259205115
Dimensions : 20 x 5 x 13,5 cm

 Dictionnaire amoureux des dictionnaires

Dans la série des Dictionnaires amoureux publiée par les Editions Plon, celui consacré aux dictionnaires, que l’on doit à la plume précise et féconde d’Alain Rey, est sans doute le plus fourni. C’est que, aidé par une érudition sans failles, Alain Rey multiplie les entrées, tant classiques qu’originales. L’essentiel de ce monument est occupé par des biographies de créateurs, de tous ceux qui, dès les temps les plus anciens, avaient le ferme désir de mettre en catalogues la totalité du savoir connu. Le travail qu’ils ont fourni donne lieu à la seconde grande série des entrées de ce Dictionnaire amoureux ; je veux parler des grands dictionnaires qui, sous tous les temps et toutes les latitudes, ont marqué le savoir humain : dictionnaires allemands, anglais, chinois ou arabes, latin (merci Gaffiot !) et grec (merci Bailly !). Si le livre d’Alain Rey se moque des records, il n’omet pas d’exhiber des données parfois vertigineuses, comme ce dictionnaire chinois du XV° siècle qui finit par atteindre onze mille volumes ! Plus de deux mille rédacteurs s’y étaient attelés.

D’une précision diabolique, ce Dictionnaire amoureux des dictionnaires se caractérise surtout par la virtuosité de son auteur. Auteur de plusieurs dictionnaires dont le célèbre Dictionnaire culturel, Alain Rey fait preuve d’une science quasi universelle. Existe-t-il un dictionnaire au monde dont il n’ait entendu parler ? Paradoxalement, c’est peut-être cette profusion qui déconcerte le lecteur. Emmené sur des chemins inconnus, il risque d’être désarçonné par la fougue de l’auteur de ce dictionnaire pas tout à fait comme les autres. L’historien Jacques Le Goff était, aujourd’hui disparu, était appelé l’ « ogre historien » du fait de son appétit de travail. Ne pourrait-on pas qualifier Alain Rey, par comparaison, d’ « ogre linguiste » ?

 

Alain Rey, Dictionnaire amoureux des dictionnaires, Plon, 2011, 998 pages, 27 €

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Histoire Recensions

Une histoire buissonnière de la France

Poche : 574 pages
Editeur : Flammarion (28 août 2011)
Collection : ESSAIS
Langue : Français
ISBN-10 : 208123789X
ISBN-13 : 978-2081237896
Dimensions : 22 x 3,8 x 13,4 cm

 Une histoire buissonnière de la France

Pour qui souhaite lire une histoire décalée et originale de notre pays, il n’y a pas à hésiter : les historiens anglo-saxons sont les meilleurs dans ce genre d’exercice. L’Histoire buissonnière de la France, du britannique Graham Robb, va de pair avec l’époustouflante Fin des terroirs de l’américain Eugen Weber. Les Editions Flammarion ont eu l’excellente idée de rééditer le livre du premier, en poche, dans la collection « Champs ». Graham Robb n’est pas retourné à Mérovée et à Clovis, voire plus haut ; l’histoire qu’il nous propose concerne essentiellement les XVIII° et XIX° siècles. Qu’on ne s’attende pas à une histoire chronologique distillant dans le détail les événements politiques, économiques, sociaux et culturels qui ont marqué l’histoire tourmentée de la France de l’époque. A l’instar de ces voyageurs anglais qui découvraient l’Europe et la France, au temps où les grands périples se faisaient en diligence – avant l’arrivée du chemin de fer -, l’auteur est allé fouiller l’âme de la France, surtout son âme provinciale, ce qui faisait qu’elle paraissait davantage un agrégat de peuples mal mariés qu’une nation unie et indivisible. Quand il écrit cette Histoire buissonnière, que voit l’auteur ? Il décrit des populations qui parlent davantage patois que français, des humbles qui ne connaissent guère plus que leur canton, des croyances largement basées sur la superstition, bref, une nation hétéroclite de paysans et d’artisans, de territoires divers tenant mordicus à leurs particularités. Parmi les grandes évolutions qu’a connues le pays au XIX° siècle, il en est une qui est rarement mise en avant et qui pourtant, en liant les territoires et les hommes, en donnant un visage à la géographie de la France, s’est avérée crucial : la création d’un véritable réseau routier. Avant d’être industrielle et scientifique, c’est ici que Graham Robb voit le germe de la grande transformation qui va affecter l’Europe, en particulier celle de l’Ouest.

Mêlant érudition et humour, cette Histoire buissonnière de la France est un petit chef-d’œuvre d’originalité qui confirme le fait suivant : l’histoire, y compris la grande, s’élabore dans la vie quotidienne des peuples.

Graham Robb, Une histoire buissonnière de la France, Champs Histoire, 2011, 592 p., 10 €

 

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Histoire Recensions

Dictionnaire amoureux de la Rome antique

Broché: 756 pages
Editeur : Plon (22 septembre 2011)
Collection : Dictionnaire amoureux
Langue : Français
ISBN-10: 225921245X
ISBN-13: 978-2259212458
Dimensions : 20 x 13 x 4,4 cm

 Dictionnaire amoureux de la Rome antique

La collection des Dictionnaires amoureux continue son petit bonhomme de chemin. Rien n’ayant été publié sur la Rome antique, il était assez naturel que Xavier Darcos, membre de l’Institut, s’y collât. Le résultat, il faut le dire, est plutôt probant. En un peu plus de sept cents pages, l’ancien ministre de l’Education Nationale, offre un tableau passionné de la civilisation romaine, soit la bagatelle de dix millénaires. Comme dans beaucoup d’autres opus de la même série, les entrées sont toujours originales : par exemple « Caligula, l’Ubu romain ? » ou encore « Alix au pays des merveilles ». Le lecteur met peu de temps pour découvrir à quel point l’auteur place haut sa passion pour la civilisation romaine. Cet amour vrai et profond pour ce monde disparu, mais à qui l’Europe doit tant, est surtout présent dans les articles consacrés à la poésie, à la philosophie ou à la vie quotidienne. Xavier Darcos dit toute sa reconnaissance et sa passion à ces phares qu’étaient Cicéron et Virgile. Il ne cache pas leurs limites, mais il a raison d’insister sur ce que la civilisation contemporaine leur doit : « Virgile a montré la voie dans des genres variés qui servirent de matrices à l’art occidental » (p. 719). Quant à Cicéron, l’auteur le voit comme un « môle, un brise-lames, largué dans le grand chambardement général du dernier siècle avant Jésus-Christ » (p. 181). La passion de l’auteur pour la civilisation romaine met avant tout l’accent sur le bon sens romain, sur les prodigieux bâtisseurs qu’ils ont été… La filiation entre notre époque et la Rome antique ressort ici avec évidence.

Cela dit, ce Dictionnaire amoureux n’est pas sans défauts. Il suppose, comme du reste beaucoup de ses congénères, une connaissance au moins chronologique de l’objet étudié. Entre un Jules César et un grand empereur comme Marc-Aurèle, il y a deux cents ans d’écart, ce qui n’est pas rien ! On s’arrêtera guère sur ce qui paraît être d’énormes impasses – Marius, Sylla pour n’en rester qu’aux noms propres… – mais il est vrai que le genre de la collection a ses limites. Plus dommageable en revanche nous paraît la légèreté avec laquelle le christianisme est introduit. L’article Constantin est par exemple truffé d’erreurs et d’approximations (la question du filioque n’est pas ce qu’en dit l’auteur et le mariage n’est pas et n’a jamais été un article du Credo) (pages 236 et 237). On passera vite sur ces détails pour mieux apprécier toute l’empathie de l’auteur à l’égard un monde à qui l’Européen doit tant.

 

Xavier Darcos, Dictionnaire amoureux de la Rome antique, 2011, 756 pages, 26 €

 

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Recensions Religion

Charles le Catholique : De Gaulle et l’Eglise

Broché: 389 pages
Editeur : Plon (3 novembre 2011)
Langue : Français
ISBN-10: 2259212573
ISBN-13: 978-2259212571
Dimensions : 23,8 x 15,4 x 3,6 cm

 Charles le Catholique

Le livre de Gérard Bardy, Charles le Catholique, n’est pas le premier à mettre en scène la foi du Général de Gaulle. Michel Brisacier l’avait fait en son temps avec un livre intitulé La foi du Général ; de même qu’Alain Larcan avec De Gaulle inventaire. La culture, l’esprit, la foi. Bien d’autres ont été écrits sur ce thème : les convictions profondes qui animaient ce « souverain » (J. Lacouture). Cette abondance n’est pas le fruit du hasard. La foi du Général de Gaulle est  une sorte de foi du charbonnier, empreinte de piété et de référence constante à l’Ancien Testament et à l’Evangile. Sa correspondance privée est émaillée de citations bibliques. Souvent il fait référence à l’abnégation, à l’esprit de sacrifice, à l’héroïsme… Ce n’est pas le train-train qui l’intéresse, mais les vertus qui suscitent l’espérance. Tout, dans son attitude, atteste l’héritage catholique, familial d’abord, scolaire ensuite : élevé dans une famille très croyante le jeune Charles de Gaulle avait fait ses études chez les jésuites ; il en a été durablement marqué. « Son acceptation des sacrifices,  […]  son souci permanent de la dignité de l’homme, son respect de la morale tant privée que publique, le caractère sacré qu’il donne à la famille, sa relation à la souffrance, au handicap et à l’argent, ses manifestations de charité chrétienne faites avec une extrême discrétion » (p. 12) tout chez De Gaulle indique la prégnance d’une foi catholique indissociable des grandes heures de l’histoire de France. Toute laïque qu’elle est, la France demeure toujours dans son esprit « la fille aînée de l’Eglise ».

Toute sa vie De Gaulle manifesta une foi profonde. S’il savait, en tant que président d’une République laïque, marquer la distinction entre ce qui ressort du comportement public du privé, il était enclin à avoir de la France une image puisée dans la littérature chrétienne. Dans ses discours et ses allocutions les mots à connotation religieuse sont légion. En privé, sous une grande pudeur, le Général de Gaulle manifestait une grande piété. Devant la grandeur divine, il n’hésite pas à se reconnaître humble pécheur.

Gérard Bardy nous gratifie d’un ouvrage remarquable, autant par la facilité de lecture que par la sûreté de l’information. De Gaulle fut sa vie entière imprégné des valeurs classiques du catholicisme. Finalement, tant par son style que par ses croyances, De Gaulle apparaît comme un homme du XIX° siècle, un siècle qui, contrairement au mot féroce de Léon Daudet, fut loin d’être stupide

Gérard Bardy, Charles le Catholique : De Gaulle et l’Eglise, Plon, 2011, 385 pages, 22 €

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Actualités Recensions

Décivilisation

Broché: 216 pages
Editeur : Fayard (2 novembre 2011)
Collection : Documents
Langue : Français
ISBN-10: 2213666385
ISBN-13: 978-2213666389
Dimensions : 21,2 x 13,4 x 1,8 cm

 Décivilisation

Après La grande déculturation,  Renaud Camus revient à la charge contre l’époque contemporaine et ses travers. Dans La grande déculturation, il s’en prenait à l’école. Le changement d’appellation – le Ministère de l’Instruction Publique devenu Ministère de l’Education Nationale -, indiquait un changement de paradigme : l’Ecole est désormais chargée de suppléer les familles dans le registre de l’éducation. Une trentaine d’années après, le résultat est patent : tant l’école que la famille peinent à prendre en charge une jeunesse tiraillée entre modes éphémères et consommation. Avec Décivilisation, Camus insiste : quelles sont les causes profondes de ce qu’il faut bien appeler la mort de la culture ? Il le fait dans le style qui lui est propre : sans chapitre, en phrases longues… une écriture au final très personnelle. Si on suit bien sa pensée, c’est à se demander si la démocratisation de la culture n’est pas à l’origine de la disparition de cette dernière. Ce que l’auteur appelle l’hyper-démocratie a fait sortir « la démocratie de son lit politique pour la projeter dans des domaines qui, à première vue, ne lui sont guère congénitaux… » Parmi ceux-ci, la culture et la famille, lesquelles, en dernier ressort, ne peuvent, sous peine de disparaître, s’apparenter à des instances démocratiques. La consommation de masse entraîne un relativisme destructeur en matière culturelle.  Nombreuses sont les conséquences de ce déclassement de la culture. La langue, véhicule privilégié de toute civilisation, s’affadit, parsemée qu’elle est de niaiseries et de grossièretés. L’abandon du nom au profit du prénom, si commun à la télévision, est, mine de rien, le signe d’un véritable bouleversement anthropologique.  Le nom engage sa responsabilité, celle d’une lignée. En lieu et place voici venu le temps du gentil copinage celui du prénom roi, « marque d’une société désaffiliée, qui refuse l’héritage des pères ». Finalement, l’usage répété de ce dernier consonne bien avec une société « qui n’aspire qu’à se distraire, à s’étourdir, à oublier l’oubli. »  En 200 pages, Renaud Camus règle son compte à la société du divertissement, celle de « la vie sans pensée ». Ce combat, pratiquement perdu d’avance, vaut qu’on s’y intéresse tant ses conséquences risquent d’être incalculables.

 

Renaud Camus, Décivilisation, Fayard, 2011, 206 €, 17 €

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Recensions

Vendée : Du génocide au mémoricide

Broché: 444 pages
Editeur : Cerf (6 octobre 2011)
Collection : Politique
Langue : Français
ISBN-10: 220409580X
ISBN-13: 978-2204095808
Dimensions : 21,4 x 13,4 x 2,6 cm

 Vendée : Du génocide au mémoricide

La France est un pays curieux, prompt à faire la leçon au reste du monde mais incapable de réfléchir sur son propre passé. Le 23 janvier dernier,  le Parlement votait une loi pénalisant la négation du génocide arménien, loi faisant suite à une série de lois mémorielles plaçant l’histoire sous la coupe des politiques. Que l’on soit d’accord ou non, le fait est là : la loi a été votée. Or, n’est-il pas curieux de constater que la classe politique, si prompte à donner des bons et des mauvais points au reste du monde, demeure étrangement silencieuse dès qu’est évoqué le drame de la Vendée ? Comme reconnaître les massacres perpétrés en Vendée c’est mettre à mal le dogme républicain, pas touche ! Depuis bientôt trente ans Reynald Secher se bat pour que soit reconnue cette évidence : en 1793, la Convention et le Comité de salut public se sont rendus coupables d’un massacre qui a toutes les apparence d’un génocide. Contrairement au mythe officiel forgé depuis Michelet, la Vendée a été le théâtre d’une boucherie. Les estimations tournent autour de 120 000 morts, hommes, femmes et enfants. Quant au mot « génocide », il n’est pas usurpé : les Vendéens furent exterminés parce qu’ils étaient Vendéens.

Péguy disait : « Celui qui ne gueule pas la vérité lorsqu’il la connaît se fait le complice des menteurs et des faussaires ! » Rien n’est plus vrai s’agissant de la Vendée. Avec l’auteur, il faut bien le dire, le crier : la Convention a mené là une politique rationnelle, soigneusement pesée, d’anéantissement. Qu’on se souvienne des colonnes infernales, des noyades de Nantes, des exécutions sommaires (nourrissons y compris), embrochés, sabrés, brûlés vifs, etc. Un paroxysme dans l’horreur. Ce génocide, bien peu le dénoncent. Comme il n’est pas à l’honneur de la République, on préfère l’oublier, en enfouir le moindre souvenir. Au crime contre une population s’est ajouté un crime contre la mémoire, un « mémoricide ». Souhaitons qu’un jour la France regarde sans fard ce sinistre passé et que les parlementaires abrogent enfin « les lois d’anéantissement et d’extermination des 1er août et 1er octobre 1793, votées par leurs prédécesseurs. » (p. 15)

 

Reynald Secher, Vendée. Du génocide au mémoricide, Le Cerf, 2011, 444 pages, 24 €