Des nouvelles d’Agafia
Cet ouvrage fait suite au superbe récit, signé Vassili Peskov, paru en 1992 chez Actes Sud sous le titre Ermites dans la taïga. On se souvient de cette histoire d’une famille de vieux-croyants orthodoxes ayant fui le monde à la suite de la modernisation liturgique adoptée par le patriarche Tikhon au milieu du XVIII° siècle. Comme beaucoup d’autres croyants, ils – la famille Lykov – s’étaient encore un peu plus éloignés de la civilisation lorsque le communisme a pris pied en Russie : c’est qu’il ne faisait pas bon pratiquer une religion à l’époque des pères fondateurs de la patrie du communisme. Les Likov, parents et enfants, s’étaient réfugiés dans une vallée perdue de l’immensité sibérienne, vivant totalement en autarcie, n’ayant aucun lien avec ce qu’ils appelaient – et appellent encore – le « siècle », incarnation du mal car éloignant le croyant de l’essentiel, à savoir une relation intime et privilégiée avec Dieu. C’est en 1978, tout à fait par hasard, qu’un groupe de géologues, abasourdis, découvre l’existence de ces gens totalement coupés du monde, vivant des produits de la pêche, de la chasse, cueillette et petite agriculture. A l’été bref et intensif – quatre mois, guère plus, pour constituer les réserves de bois et de nourriture – succède le rude hiver sibérien, temps de latence qui permet au vieux-croyant de lire des livres de prières usés jusqu’à la moelle à la lueur d’une bougie. Coupés de tout, ignorant la marche du monde durant des décennies, la famille Lykov s’est forgée une philosophie où, face au dénuement, la moindre récolte ou la petite chasse fructueuses devient une bénédiction.
Salarié d’un journal soviétique, Vassili Peskov, dès 1992, s’est passionné pour le sort des Lykov. Lui, l’athée impénitent, s’est pris d’affection pour Agafia, la rescapée d’une famille tôt endeuillée. Chaque été, il s’est rendu en hélicoptère au domaine d’Agafia, mentionnant leur commune relation dans les courts chapitres qui constituent le présent livre. Racontée avec tendresse, cette histoire d’amitié, loin du barnum médiatique et de la surconsommation, est un vrai ballon d’oxygène. Un récit touchant.
Vassili Peskov, Des nouvelles d’Agafia, Actes Sud, 2009, 219 pages, 7,70€