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Recensions Religion

A la recherche du temps sacré

Poche: 263 pages
Editeur : TEMPUS PERRIN (6 février 2014)
Collection : Tempus
Langue : Français
ISBN-10: 2262043434
ISBN-13: 978-2262043438
Dimensions : 17,6 x 10,6 x 2,2 cm

 A la recherche du temps sacré

Publié à l’origine en 2011, A la recherche du temps sacré, du grand médiéviste Jacques Le Goff, fait l’objet d’une heureuse réédition. Tout l’ouvrage consiste en une lecture de la célèbre Légende dorée de Jacques de Voragine. En effet, pour J. Le Goff, La légende dorée n’est rien d’autre qu’une somme sur le temps, « à partir du temps calendaire de la vie quotidienne » (p. 235). Evidemment, il ne s’agit pas du temps de l’homme pressé d’aujourd’hui, mais du temps de l’homme médiéval, un homme à l’espérance de vie précaire et dont une grande partie de l’univers mental est marquée par le sacré chrétien. Le temps sacré médiéval repose sur la division entre le temporal, temps cyclique de la liturgie chrétienne et le sanctoral, marqué par la vie des saints. Dans l’univers surnaturel qui est le sien, Jacques de Voragine tente de raisonner de façon originale, en esprit rationnel. Il découpe l’année liturgique en plusieurs parties, du temps de la rénovation qui commence à l’Avent jusqu’à celui de la réconciliation  qui va du 18 mai (fête de saint Urbain) jusqu’au 27 novembre (saint Josaphat et saint Barlaam). Chacune des périodes (rénovation, réconciliation, pérégrination…) est l’occasion pour Jacques de Voragine d’entreprendre une catéchèse sur de grands noms bibliques ou des saints vénérés au Moyen Age. Chaque notice est à ses yeux une possibilité de catéchèse permettant de montrer qu’il existe un axe chrétien du temps, un début et un achèvement, ce que du reste la liturgie montre sous une autre modalité. C’est  avec un remarquable esprit pédagogique que J. Le Goff nous entraîne dans ce voyage dans la vie des saints, des martyrs et autres docteurs de l’Eglise.

A la recherche du  temps sacré marque la déférence de l’auteur pour Jacques de Voragine. En dépit des apparitions du merveilleux et du surnaturel, La légende dorée est, pour l’époque, une œuvre scientifique dans la mesure où son auteur n’hésite pas à hiérarchiser l’information, à distinguer le bon grain de l’ivraie.

Pour J. Le Goff, l’entreprise du célèbre dominicain était grandiose : « en s’appuyant sur le temps enchanter, sacraliser le monde et l’humanité ». Enchanter le monde ? Voilà qui serait salutaire à l’univers désenchanté qui est le nôtre.

Jacques Le Goff, A la  recherche du temps sacré, Tempus, 2014, 258 pages, 8.50 €

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Histoire Recensions

Les vingt jours de Fontainebleau

Broché: 294 pages
Editeur : PERRIN (23 janvier 2014)
Langue : Français
ISBN-10: 2262039410
ISBN-13: 978-2262039417
Dimensions : 23,6 x 15,4 x 2,6 cm

 Les vingt jours de Fontainebleau

A la fin mars 1814 Napoléon, pris de court par des Alliés qui n’ont pas joué le jeu dans lequel il pensait les enferrer, gagne le château de Fontainebleau. Il va y rester jusqu’au 20 avril, date de son départ pour l’Ile d’Elbe. Que s’est-il passé entre temps ? Spécialiste de l’Empire et digne successeur de Jean Tulard, Thierry Lentz fait revivre jour après jour ce qui ressemble à une descente aux enfers pour celui qui, il y a peu, était encore le maître de l’Europe. Le vrai, c’est que, pour la première fois, Napoléon ne commande plus à son destin, il est à la merci des Alliés désireux d’abattre l’Empire et de restaurer la royauté. Ces Vingt jours de Fontainebleau ressemblent à un drame joué d’avance. Claquemuré dans son palais, Napoléon se trouve, pour la première fois de sa vie, à la merci des autres, en l’occurrence des puissances alliées qui occupent Paris, mais aussi de chefs militaires qui, ayant peur de tout perdre à la veille de la clôture de la tragédie, n’entendent pas se laisser dicteur leur conduite. Les maréchaux français tiennent à montrer que, pour respectueux qu’ils demeurent vis-à-vis de celui à qui ils doivent quasiment tout, ne sont pas prêts à tout sacrifier. L’épopée ne saurait se terminer dans un bain de sang. Certains, comme le maréchal Marmont, iront jusqu’à trahir pour sauvegarder leurs intérêts et ainsi complaire au nouveau régime. En fin d’ouvrage, l’auteur se lance dans un parallèle qui est loin d’être anachronique. Faisant la comparaison entre la fin de l’Empire napoléonien et celle du III° Reich, il tient à dire combien la conduite de l’Empereur a été sage. Jamais celui-ci n’a voulu entraîner son pays dans une sorte de Götterdämmerung, un crépuscule des dieux empli de massacres et de ruines ; « Le contexte social et politique autant que la personnalité de Napoléon, conclut l’auteur (p. 20), n’étaient pas compatibles avec un suicide collectif. » Le livre, au final, dit beaucoup de la personnalité de Napoléon, son inspirateur principal.             Servi par une science sûre, un rythme soutenu et l’utilisation des meilleures sources, l’ouvrage de Thierry Lentz fera certainement date et ce sera justice. Les pages de notes avec leur appareil critique sont d’ailleurs significatives de la valeur de l’ouvrage.   Thierry Lentz, Les vingt jours de Fontainebleau, Perrin, 2014, 294 pages, 23 €

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Actualités Recensions

Pourquoi les riches ont gagné

Broché: 153 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (8 janvier 2014)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10: 2226254706
ISBN-13: 978-2226254702
Dimensions : 22,4 x 14,4 x 2 cm

 Pourquoi les riches ont gagné

Le livre de Jean-Louis Servan-Schreiber n’est pas le premier à s’ouvrir sur cette parole de Warren Buffett, la deuxième fortune des Etats-Unis : « La guerre des classes existe toujours, mais c’est nous, les riches, qui la menons. Et nous la gagnons. » De fait, jamais les riches n’ont été aussi nombreux. En France, est considéré comme riche celui dont les revenus dépassent 4 500 euros mensuels ; c’est dire si l’écart est considérable entre un salarié qui gagne bien sa vie, et qui est donc considéré comme riche si l’on tient compte des mesures de l’INSEE, mais qui est bien loin d’atteindre les 20 milliards de patrimoine de Bernard Arnault. La richesse est protéiforme, multiforme ; elle tient au talent (entrepreneurs, artistes…) comme à l’héritage. Pourquoi, à l’échelle du monde, la multiplication des riches ? Tout simplement parce que « des décennies de croissance à l’échelle internationale ont empilé de telles masses d’argent qu’il en découle une prolifération des riches » (p. 39). Après quelques chapitres sur les soucis, besoins et caprices des riches, suit en fin de livre le chapitre-phare, les pages qui expliquent les raisons du succès des riches (parce qu’ils sont devenus de puissants acteurs sociaux, qu’ils sont experts en stratégie fiscale planétaire, qu’ils possèdent le pouvoir d’informer, etc.) A en croire l’auteur, les riches ont de quoi être tranquilles très longtemps. En effet, ils ont gagné la guerre des classes en devenant un modèle envié. Certes on peut les jalouser mais leur ostentation médiatique ne joue pas l’effet repoussoir que l’on croit. Enfin – cerise sur le gâteau ! – « tout se passe comme si les riches avaient gagné, financièrement bien sûr, mais aussi politiquement et presque idéologiquement ». (p. 20) On pourrait se consoler en pensant que, logiquement et mathématiquement, l’élévation du nombre de riches entraîne l’arrachement à la pauvreté des plus petits, ce qui est vrai. En revanche, ce qui peut sembler désespérant, c’est le fait que la lutte contre les inégalités – – qui n’ont jamais été aussi élevées – semble complètement obsolète ; elle ne semble plus intéresser grand monde. Pour les acteurs politiques, ce n’est pas la réduction des inégalités qui est première, c’est la création d’emplois. Tout en concevant bien ce changement, Jean-Louis Servan-Schreiber indique que la situation actuelle est destinée à durer : quand on est riche, il y a tout lieu de croire que c’est pour longtemps. Et tant pis pour les pauvres !   Jean-Louis Servan-Schreiber, Pourquoi les riches ont gagné, Albin Michel, 2014, 154 pages, 14.50 €

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Histoire Recensions

Sous le feu : La mort comme hypothèse de travail

Broché: 266 pages
Editeur : TALLANDIER (9 janvier 2014)
Collection : CONTEMPO.
Langue : Français
ISBN-13: 979-1021004306
ASIN: B00EU77CMS
Dimensions : 21,4 x 14,6 x 2,6 cm

 Sous le feu

Ancien officier d’active de l’Armée française, Michel Goya est devenu un spécialiste reconnu des armées d’aujourd’hui. Fort de son expérience de terrain, s’appuyant aussi bien sur le témoignage des Poilus de 1914-1918 que sur celui de soldats venant de vivre des conflits contemporains (Irak, Afghanistan…), il se penche sur le comportement du simple soldat. Les guerres modernes peuvent être considérées comme des sortes de laboratoire à visée anthropologique. « Le but de ce livre, écrit l’auteur (p. 19), est d’accompagner le combattant dans cet univers afin d’essayer de comprendre les phénomènes qui s’y déroulent ». L’étude de Michel Goya rejoint celles dont les historiens anglo-saxons se sont fait une spécialité à l’instar de John Keegan qui, dans Anatomie de la bataille, décrit l’univers du soldat au sein de la mêlée : un monde clos à tel point que le combattant ignore pratiquement tout du déroulement de la bataille. La plume alerte de Michel Goya et la densité de son propos donnent au sujet une perspective nouvelle. Le lecteur apprendra ainsi qu’à la guerre l’énorme majorité des hommes ne fait rien d’autre que suivre. Beaucoup ne font même pas le coup de feu ; seule une poignée, ceux dont l’esprit se conforme le plus facilement à l’atmosphère du combat, se bat véritablement. Ainsi, durant la guerre de Corée (1950-1953), la moitié des pilotes américains n’a jamais ouvert le feu sur un appareil ennemi. De même les pertes et dommages occasionnés à l’ennemi sont généralement le fait d’une minorité d’individus. Sur les 20 000 pilotes d’avions de chasse du III° Reich, seul un groupe de 500 d’entre eux a obtenu la moitié des victoires aériennes. En revanche, si la peur de tuer est un puissant inhibiteur, « l’expérience de la guerre réduit la peur de mourir alors que cette d’être mutilé physiquement et psychologiquement augmente » (p. 52). Cela dit, l’énorme majorité de la troupe, si elle n’adopte pas une conduite héroïque, obéit aux ordres et tient à faire son devoir. Le fait de se comporter honorablement et de ne pas laisser tomber les camarades est un puissant facteur de cohésion parmi la troupe. En revanche, la ferveur patriotique n’apparaît pas fondamentale.

Comment les hommes se comportent-ils devant l’extrême danger ? Plus qu’un énième ouvrage sur la guerre, Sous le feu est à considérer comme un ouvrage d’ethnologie. En quelques pages bien senties, l’étude de Michel Goya dit beaucoup de la façon dont l’individu appréhende la guerre, temps souvent banalement ennuyeux et rarement héroïque. Aujourd’hui, alors que les armées sont devenues professionnelles, la mort est bel et bien devenue une « hypothèse de travail » (sous-titre du livre).

Michel Goya, Sous le feu : La mort comme hypothèse de travail, Tallandier, 2014, 267 pages, 20.90 €