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L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes

Broché : 110 pages
Editeur : Climats; Édition : Nouvelle éd (28 février 2006)
Collection : CLIMATS NON FIC
Langue : Français
ISBN-10 : 2082131238
ISBN-13 : 978-2082131230
Dimensions : 21 x 1 x 13,5 cm

 L’enseignement de l’ignorance et ses conditions modernes

On peut même dire que l’auteur s’y montre prophète en affirmant que le système capitaliste a intérêt à produire de l’ignorance et que celle-ci est une condition nécessaire à sa perpétuation. Abrutir les citoyens à coups de divertissements massifs, lui suggérer que le bonheur résulte de la consommation, que la culture générale n’est d’aucune utilité, etc. tout cela doit concourir à l’idée que l’éducation ne correspond aucunement à l’idée que s’en faisaient ses concepteurs. Comme l’affirme d’emblée l’auteur, « les présents progrès de l’ignorance, loin d’être l’effet d’un dysfonctionnement regrettable de notre société, sont devenus une condition nécessaire à sa propre expansion. » Il faut entendre ici par progrès de l’ignorance l’ascension continue de l’absence de sens critique. Or, on n’a jamais vu que le sens critique boostait la consommation et le sens de la fête permanente et obligatoire à laquelle le citoyen est tenu (fête des voisins, des grands-pères et grands-mères, nuits blanches à Paris et ainsi de suite… « Festivus, festivus », disait le regretté Philippe Muray). Ce que déclare Michéa et ce qu’affirmait Muray ressort-il de la paranoïa ? Il faut croire que non. Les élites qui nous gouvernent (Michéa ne parle pas ici de nos gouvernements mais des élites économiques, financières et médiatiques qui, de façon souvent occultes tiennent les rênes) estiment que le progrès condamne l’humanité à travailler de moins en moins. Le travail va se faire de plus en plus rare. Que faire pour occuper les centaines de millions d’individus qui n’en auront pas ? Réponse, les occuper par « un cocktail de divertissement abrutissant permettant de maintenir de bonne humeur la population frustrée de la planète. » (Z. Brzezinski) D’où ce recours permanent à la consommation et au divertissement via les 35 heures, la fête à tout berzingue et les Center Parcs. L’homme de demain consommera et s’amusera. Dans ces conditions, mieux vaudra lui enseigner l’ignorance, c’est-à-dire le priver de tout sens critique.

Entre Le meilleur des mondes (A. Huxley) et 1984 (G. Orwell), l’essai de Jean-Claude Michéa laisse entrevoir un monde déshumanisé dans lequel l’homme ne sera que le minuscule rouage d’une gigantesque machine veillant à pérenniser un système qui, au bout du compte, ne profite qu’à une petite minorité. Angoissant !

 

Jean-Claude Michéa, L’enseignement de l’ignorance, Climats, 1999, 111 pages, 12€

 

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La France périphérique

Broché : 192 pages
Editeur : FLAMMARION (17 septembre 2014)
Collection : DOCUMENTS SC.HU
Langue : Français
ISBN-10 : 2081312573
ISBN-13 : 978-2081312579
Dimensions : 21 x 1,5 x 13,4 cm

 La France périphérique

Comment se fait-il que les Français aient tant de mal à faire société, comme si le ressort de l’appartenance collective était définitivement brisé ? Que s’est-il passé ? Comment en est-on arrivé là ? Christophe Guilluy, auteur du remarquable Fractures françaises, a décidé de relever le gant et de pointer les mauvais génies qui ont rendu si difficile l’unité du pays. Les Français se sont-ils rendus compte que le monde avait à ce point changé ? Les raisons sont nombreuses mais, à lire Christophe Guilluy, il y en a une qui l’emporte nettement sur les autres : la mondialisation. Son rouleau compresseur a fracturé la société française. A côté des grandes métropoles liées à la mondialisation heureuse, là où se créé la richesse, où vivent les décideurs économiques et politiques, il y a cette France périphérique des petites villes et du monde rural. Une France qui peine à boucler ses fins de mois, touchée qu’elle est par les plans sociaux et le chômage de masse, assignée à résidence pour des raisons foncières, inquiète de ne plus avoir son sort entre les mains, angoissée à l’idée de ne plus reconnaître le pays dans lequel elle a grandi, tourmentée par l’idée de devenir minoritaire chez elle. « La véritable fracture, souligne C. Guilluy, n’oppose pas les urbains aux ruraux, mais les territoires les plus dynamiques à la France des fragilités sociales. » (p. 24) Pour l’auteur, il ne faut pas se faire d’illusion, le mal est fait et il est désormais trop tard pour espérer suturer les plaies qui se sont ouvertes durant les dernières décennies. Le pire, c’est que la société culturelle promue par les élites a été imposée en dehors de toute voie démocratique. Quand les bobos de Saint-Germain-des-Prés promeuvent le cosmopolitisme, c’est la France des bonnets rouges qui trinque. Dans ce pays qu’elles ne reconnaissent plus tout à fait, les classes populaires « construisent, dans l’adversité, seules et sans mode d’emploi, cette société multiculturelle. » (p. 78) Et lorsque les banlieues bénéficient des millions d’euros liés à la politique de la ville, la France périphérique est livrée à elle-même. Et l’on s’étonne ensuite de la montée du Front National dans les urnes !

 

Christophe Guilluy, La France périphérique, Flammarion, 2014, 185 pages, 18 €

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Chine, l’âge des ambitions

Broché : 493 pages
Editeur : Editions Albin Michel (25 mars 2015)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10 : 2226312625
ISBN-13 : 978-2226312624
Dimensions : 24 x 3,5 x 15,5 cm

 Chine, l’âge des ambitions

Ayant passé plusieurs années en Chine, Evan Osnos livre un portrait saisissant d’un pays en pleine mutation. A travers une série de portraits de Chinois (artistes, internautes, etc.) qu’il a fréquentés durant son séjour, Evan Osnos raconte la Chine d’aujourd’hui, un pays qui vient de connaître de formidables changements en peu de temps. Dans une première partie, l’auteur décrit la réalité du boom économique, avec tout ce qu’il a de vertigineux, ses aspects positifs (par exemple l’accroissement du niveau de vie) et négatifs comme la montée de l’égoïsme et de l’individualisme. Pays paradoxal mélangeant économie de marché et dictature du Parti unique, sa situation génère une opposition qui se manifeste essentiellement sur le net. Comment un pays aussi ouvert sur le monde peut-il poursuivre à censurer et à museler ses opposants ? En dernier lieu, E. Osnos raconte « comment les aspirations de la nouvelle classe moyenne chinoise se traduisent par la quête de nouvelles valeurs » (p. 18). Fourmillant de détails anecdotiques, voilà un livre qui se laisse facilement saisir mais, il faut bien l’avouer, on le quitte avec des idées assez embrouillées. Qu’est-ce que la Chine aujourd’hui ? Paradoxes et contradictions sont si nombreux qu’il ne peut être question de les embrasser d’un seul coup. Nouveauté et modernité sont partout présentes, la tradition aussi. Des démocrates se lèvent en faveur de la démocratie, mais le nationalisme reste puissant. Internet connaît une explosion frénétique, mais le contrôle étatique ne relâche jamais son emprise. Bref, il est bien difficile, avec toutes ces contradictions, de savoir où va la Chine. Ce qui est certain, c’est que l’industrialisation folle des dernières décennies a créé des ruptures dont les séquelles risquent de demeurer. La corruption se situe à un niveau si élevé qu’on peine, ici, à s’en faire l’exacte mesure. Malgré la sévérité des peines judiciaires, la confusion entre affaires et politique a atteint un niveau tel que certains, prenant conscience du vide généré par la course au temps et au profit, se tournent vers des philosophies et religions ayant fait leur preuve, bouddhisme et christianisme pour commencer.

Un livre important pour comprendre le parcours de cet immense et atypique pays.

 

Evan Osnos, Chine, l’âge des ambitions, Albin Michel, 2015, 496 pages, 25 €

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La France à quitte ou double

Broché: 304 pages Editeur : Fayard (18 février 2015)
Collection : Documents
Langue : Français
ISBN-10 : 2213686505
ISBN-13 : 978-2213686509
Dimensions : 15,3 x 2,5 x 23,5 cm

 La France à quitte ou double

Se peut-il que la France se livre au Front National comme la Grèce s’est offerte au gouvernement d’extrême-gauche piloté par Alexis Tsipras ? Ce « quitte », François de Closets n’ose y croire. Pourtant, il se montre tellement perplexe face à l’insuffisance des réponses apportées par la classe politique qu’il fait de l’accession au pouvoir du parti de Marine Le Pen une probabilité à ne pas négliger. S’il dénonce avec vigueur le simplisme du programme du Front national, François de Closets tient surtout rigueur aux politiques d’avoir vécu dans le mensonge et la dénégation depuis quarante ans. Quarante années de laxisme et de lâcheté qu’il va peut-être falloir payer au prix fort. François de Closets estime que « le Front national prospère sur tous les errements de notre classe dirigeante. La remise en cause de l’identité nationale, la prescription de la mixité pluriculturelle, l’incertitude sur la laïcité, l’instrumentalisation de l’antiracisme, l’ignorance du communautarisme qui s’installe, font le jeu de Marine Le Pen. » (p. 296) Evacuant assez vite les questions identitaires et culturelles, l’observateur avisé qu’est F. de Closets revient avec force sur les graves errements économiques et sociaux qui, depuis des décennies, défont le pays : dette abyssale, présent acheté à crédit, désertification, abandon des populations habitant les périphéries… Voilà plusieurs décennies que l’auteur crie dans le désert, ne cessant de mettre en garde les responsables politiques et économiques. Les dangers qui guettent la France valent que tout soit mis sur la table sans quoi les déchirements sociaux et économiques seront tels que le champ libre sera donné à l’extrémisme. Un pays en cessation de paiement est toujours tenté par les sirènes du populisme ; ont-ils oublié cette leçon de l’histoire ces politiciens qui jouent leur partition sur le mot bien connu de la comtesse du Barry sur l’échafaud : « Encore une minute monsieur le bourreau ! ». De façon froide et réalise, l’auteur joue son rôle de lanceur d’alerte. Il le fait pendant qu’il est encore temps et que la France dispose encore de solides atouts. Attention, toutefois, à ne pas les gaspiller dans la frivolité et l’oubli des réalités.

Un livre grave et tonique.

 

François de Closets, La France à quitte ou double, Fayard, 2015, 301 pages, 20.90 €

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Une révolution sous nos yeux

Broché : 556 pages Editeur : L’artilleur
Édition : Poche (12 février 2014)
Collection : TOUC.ESSAIS
Langue : Français
ISBN-10 : 2810005702
ISBN-13 : 978-2810005703
Dimensions : 11 x 3,2 x 18 cm

 Une révolution sous nos yeux – Comment l’Islam va transformer la France et l’Europe

Editorialiste au Financial Times, le journaliste américain Christophe Caldwell s’intéresse de près l’évolution contemporaine de l’Europe occidentale. Lauréat du Prix du livre incorrect 2012, il a écrit un livre choc dont le sous-titre est en lui-même tout un programme : « Comment l’islam va transformer la France et l’Europe ». Après les événements qui ont ensanglanté la capitale en ce début d’année, j’avoue avoir regardé d’un œil suspicieux le livre de C. Caldwell, présupposant une charge assez violente à l’encontre de l’islam. Mais quoi ! Péguy avait raison : il faut voir ce que l’on voit ! Quarante ans d’immigration peu contrôlée, voire incontrôlée, sont en train de bouleverser le visage du vieux continent. Cela mérite qu’on s’y attarde, qu’on laisse de côté anathèmes et jugements approximatifs pour analyser un phénomène qui se massifie. Livre choc, le livre de C. Caldwell est avant tout un livre d’analyses. L’arrivée massive de populations ayant une histoire et une culture qui ne sont pas les nôtres pose inévitablement question. L’erreur de beaucoup de politiques est de minorer les changements induits par de tels flux. Tout se conjugue pour donner du grain à moudre aux partis qui font de l’immigration leur cheval de bataille. Ce qui hier ne concernait que des lieux peu nombreux et facilement identifiables fait tâche d’huile, tant est si bien qu’on en est venu à parler des « territoires perdus de la République ». Bien qu’employant un langage modéré, l’auteur ose appeler un chat un chat. Quand des personnes appellent à l’application de la Charia dans nos sociétés démocratiques avec tout ce que cela suppose dans les comportements, comme la minorisation de la place de la femme, la vigilance s’impose. Une révolution sous nos yeux est un livre qui a pour vocation d’alerter, de pousser à la réflexion. Tout responsable politique qui se respecte devrait s’approprier la thématique développée ici. Sans langue de bois, à l’aide de nombreux exemples, l’auteur se montre convaincant. J’émets toutefois deux réserves : l’islam est plus divisé que ne l’affirme C. Caldwell et il faut aussi s’interroger sur la place et le rôle des musulmans modérés, voire même des musulmans laïques. Tout musulman n’est pas un adepte de la Charia.

 

Christophe Caldwell, Une révolution sous nos yeux, Editions du Toucan, 2009, 539 pages, 11 €

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Comment sommes-nous devenus si cons ?

Broché : 189 pages
Editeur : FIRST (11 septembre 2014)
Langue : Français
ISBN-10 : 2754066896
ISBN-13 : 978-2754066891
Dimensions : 21 x 1,5 x 14 cm

 Comment sommes-nous devenus si cons ?

Abasourdi devant toutes les idioties déversées par la sphère médiatique, frappé devant l’inconsistance du savoir délivré par l’Ecole, le linguiste Alain Bentolila sonne la charge contre ce qu’il appelle le délitement de l’intelligence collective. Lorsque les médias accordent, sur le même sujet, plus de poids aux propos d’un joueur de football qu’à ceux d’un professeur au Collège de France, alors oui, il faut se faire du souci devant cette perte de la raison. D’emblée l’auteur pointe un danger majeur : l’extinction du goût de la découverte, de la volonté de questionnement, du désir de comprendre et d’apprendre : « Une telle perspective me terrifie, car elle marquerait la rupture avec l’aventure des hommes, engagés depuis toujours dans une quête obstinée du savoir » (p. 9). Alain Bentolila pointe d’un doigt accusateur la télévision, arme d’abrutissement massive, Internet, qui accorde plus d’importance à la forme qu’au fond, les politiques, qui n’ont de cesse de suivre les modes et qui imaginent que doter les élèves d’outils technologiques à haute dose remplacera avantageusement la mémorisation et l’intelligence critique. Comme vient de le rappeler fort justement le philosophe Michel Onfray, l’école est d’abord là pour apprendre à lire, écrire, compter et penser. Or, ces missions fondamentales sont en passe d’être liquidées au profit d’une modernité qui pousse à papillonner, à passer d’un sujet à l’autre, à ne jamais approfondir un objet d’études. Autre cible d’Alain Bentolila, ce qu’il nomme les « années d’errance éducative », à savoir ces réformes décrétées d’en-haut qui s’empilent sans qu’une véritable ligne directrice apparaisse, une recherche pédagogique aventureuse qui fait des enfants des cobayes et dont on voit chaque jour les effets destructeurs. Que penser également d’une politique qui vise à substituer pour partie l’école aux familles ? Devant l’impéritie éducative de beaucoup de famille, on a voulu donner à l’Education nationale un rôle qui la dépasse. Or, rappelle l’auteur, c’est aux familles d’éduquer et à l’école d’instruire. La défaite de la pensée et de l’esprit critique dont on constate tous les jours les effets pervers peuvent engendrer des risques gravissimes : en faisant de l’individu un usager et un consommateur à moitié lobotomisé, que deviendra la démocratie ? Ce cri de colère d’Alain Bentolila contre l’abêtissement généralisé, il devient urgent de l’entendre.

Alain Bentolila, Comment sommes-nous devenus si cons ?, First Editions, 2014, 190 pages, 14.95 €

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Le Nord c’est l’Est

Broché: 224 pages
Editeur : PHEBUS EDITIONS (14 février 2013)
Collection : Littérature française
Langue : Français
ISBN-10: 275290875X
ISBN-13: 978-2752908759
Dimensions : 14 x 1,5 x 20,5 cm

  Le Nord c’est l’Est

Si vous aimez les espaces confinés, le bruit incessant, les foules compactes, l’invasion technologique, fuyez ce livre. Si, en revanche, les espaces vides vous fascinent, si vous êtes porté à la contemplation de la nature – véritable Jean-Henri Fabre des temps modernes !- et si vous préférez les températures du Septentrion aux canicules tropicales, n’hésitez pas car vous êtes en possession d’une petite pépite.

Ayant passé des années à sillonner l’Extrême-Orient russe et une grande partie de la Sibérie, Cédric Gras livre un carnet de voyages passionnant. D’abord un mot sur le titre, qui a de quoi surprendre. En effet, par un caprice de la géographie aisément explicable, plus le voyageur gagne l’Est de la Russie, plus il trouve des températures n’ayant rien à envier à celles de l’Extrême-Nord. Les coefficients de nordicité les plus élevés se trouvent tout au bout de la Sibérie, pas forcément dans les régions les plus au nord. En choisissant la région de la Kolyma comme lieu de détention des déportés du Goulag, le régime communiste ne s’était pas trompé. Comment faire pour s’évader d’un camp situé au milieu de nulle part, quand la température est de – 30 à – 40° C l’hiver et le bourg le plus proche – c’est-à-dire quelques baraques misérables – à 100 ou 200 kilomètres ? Les paysages et les villages visités par Cédric Gras n’ont pas changé, ni depuis la colonisation entreprise au temps des tsars ni durant l’époque maximale d’exploitation du Goulag. Rien, même pas la beauté de la nature, ne saurait retenir des populations éloignées de tout, vivant chichement, se battant huit mois sur douze contre les éléments. Les jeunes s’en vont sur le continent, c’est-à-dire en Russie occidentale, laissant là les vieux et ceux qui ne veulent plus rien avoir affaire avec la société. Cédric Gras raconte avec humanité l’existence misérable de populations désespérées (ravages de l’alcoolisme) et sans avenir. Fascinante Sibérie ! Des hommes perdus dans un vide géographique, les derniers résistants d’un monde qui tire sa révérence. Des hommes qui, hélas, n’ont rien à faire avec notre univers rationaliste et technicien, créateur d’un homme empiffré de divertissement et de consommation. Un magnifique récit. « Si c’est une île ici, c’est une île de bonté, protégée des vices de l’égoïsme contemporain par les immensités qui les contraignent à la solidarité ». (p. 53)

 

Cédric Gras, Le Nord c’est l’Est, Phébus, 2013, 214 pages, 18 €

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Miser (vraiment) sur la transition écologique

 Miser (vraiment) sur la transition écologique

Broché: 191 pages
Editeur : Editions de l’Atelier (13 mars 2014)
Collection : D’autres lendemains
Langue : Français
ISBN-10: 2708242598
ISBN-13: 978-2708242593
Dimensions : 19,8 x 12,4 x 1,6 cm

« Nous avons le pied collé sur l’accélérateur et nous fonçons vers l’abîme ». C’est sur ces mots d’introduction que commence un ouvrage qui se donne pour vocation de tracer des pistes concrètes afin d’aborder les mutations prochaines. Car, inéluctablement, mutations il y aura et, comme les auteurs le disent avec humour, mieux vaut « penser le changement que changer le pansement ». C’est que le temps presse. La fonte des calottes polaires, la désertification, la pollution des sols et des sous-sols, la volonté de bétonner encore et toujours ont drastiquement réduit notre marge de manœuvre. Il devient grand temps d’agir. Après un rapide tour d’horizon de la situation mondiale, les auteurs avancent résolument des alternatives susceptibles d’enrayer la crise écologique sans trop perturber les sociétés. Il va falloir, avancent-ils, faire aussi bien avec moins. Ils mettent en avant des recherches et des travaux ayant des conséquences très pratiques. Mais tout cela n’est rien si la volonté n’y est pas : celle des décideurs comme celle des consommateurs. Les auteurs promeuvent maintes solutions d’ordre technique ou financier afin de réaliser la transition écologique qu’ils appellent de leurs vœux et qui avance à pas comptés. L’important, au fond, quel que soit le domaine concerné (l’énergie, l’agriculture, la démographie, la technologie, etc.), réside moins dans les recettes techniques que dans l’envie, le courage, le désir de faire ensemble. Les meilleures solutions, même appuyées par des ponts d’or, ne peuvent pas grand-chose si elles ne sont pas sous-tendues par une envie et une énergie débordantes. « La transition aura lieu, affirment les auteurs, avec plus de succès si nous sommes animés d’une envie de faire ensemble, d’un désir de transmission de savoir-faire entre nous, de don de soi, et d’un goût du partage sans contrepartie systématique » (p. 121).Sans ces préalables, toutes les questions touchant l’argent, le désintérêt des élites ou les défis technologiques deviennent vaines.

Intelligent et mené de bout en bout par un bel entrain, Miser (vraiment) sur la transition écologique a de quoi titiller la conscience des plus sceptiques. Si c’était le but des auteurs, eh bien il est réussi.

 

Alain Grandjean & Hélène Le Teno, Miser (vraiment) sur la transition écologique, Editions de l’Atelier, 2014, 191 pages, 17 €

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Lettres béninoises

Broché: 185 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (22 janvier 2014)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10: 2226254692
ISBN-13: 978-2226254696
Dimensions : 20,4 x 14 x 2 cm

 Lettres béninoises

Rien n’est plus hasardeux que de décrire le futur. Beaucoup s’y sont risqués avec des fortunes diverses. L’économiste Nicolas Baverez se livre lui aussi à l’exercice. L’action de ses Lettres béninoises se situe en 2040. Alassane Bono, béninois, nouveau directeur du Fonds Monétaire International, débarque en France pour tâcher de remettre sur les rails un pays en totale déshérence. Dans les lettres qu’il envoie à sa famille et ses amis, il décrit l’état de décrépitude d’une France rongée par la dette, la désindustrialisation, la misère, l’abandon des institutions, le communautarisme. Disons-le, le tableau que dresse Nicolas Baverez de la France de demain a quelque chose d’apocalyptique. Ayant passé du 5ème au 25ème rang dans le monde pour la richesse et la puissance, la France est un pays en pleine déliquescence. Cette dégradation spectaculaire est d’abord le fruit d’un déni de réalité de la part des élites. Economie en faillite, dette colossale, abandon de l’euro, classe politique incapable, paupérisation, multiplication des zones de non-droit, etc. Tout y est et tout y passe ! Face à une Afrique qui redresse la tête et à la multiplication des puissances émergentes, l’Europe passe pour un continent anesthésié, seule l’Allemagne, comme toujours, arrivant à tirer son épingle du jeu. C’est n’est pas que les Français de 2040 manquent de ressort. Au contraire, Nicolas Baverez – alias Alassane Bono – voit du réconfort à la vue de ces entrepreneurs et de quelques politiques qui ne se résignent pas à la fatalité. Le problème, au fond, réside dans un Etat aussi obèse qu’impuissant, aveugle au cours du temps car ayant été incapable de mener les réformes nécessaires. D’un pessimisme noir, l’auteur n’en fini pas de décrire cette France qui tombe, titre d’un essai précédent. « Les Français ont ruiné l’Etat, fait-il écrire à son héros, en s’installant dans l’illusion que chacun, sans travailler, pouvait vivre à crédit aux dépens de son voisin. » (p. 35).

D’aucuns trouveront le tableau dressé par Nicolas Baverez trop noir. Sans doute y a-t-il une part d’exagération dans cette peinture d’une France pauvre et déclassée. Il n’empêche : les grandes tendances sont déjà et les problèmes que décrit l’auteur sont ceux que lui-même ou un Alain Peyrefitte décrivait il y a déjà trente ans. Trop de dénis, de réformes bâclées ou empêchées donnent du grain à moudre à l’auteur de ces Lettres béninoises.

 

 Nicolas Baverez, Lettres béninoises, Albin Michel, 2014, 186 pages, 14,25 €

 

 

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Pourquoi les riches ont gagné

Broché: 153 pages
Editeur : ALBIN MICHEL (8 janvier 2014)
Collection : ESSAIS DOC.
Langue : Français
ISBN-10: 2226254706
ISBN-13: 978-2226254702
Dimensions : 22,4 x 14,4 x 2 cm

 Pourquoi les riches ont gagné

Le livre de Jean-Louis Servan-Schreiber n’est pas le premier à s’ouvrir sur cette parole de Warren Buffett, la deuxième fortune des Etats-Unis : « La guerre des classes existe toujours, mais c’est nous, les riches, qui la menons. Et nous la gagnons. » De fait, jamais les riches n’ont été aussi nombreux. En France, est considéré comme riche celui dont les revenus dépassent 4 500 euros mensuels ; c’est dire si l’écart est considérable entre un salarié qui gagne bien sa vie, et qui est donc considéré comme riche si l’on tient compte des mesures de l’INSEE, mais qui est bien loin d’atteindre les 20 milliards de patrimoine de Bernard Arnault. La richesse est protéiforme, multiforme ; elle tient au talent (entrepreneurs, artistes…) comme à l’héritage. Pourquoi, à l’échelle du monde, la multiplication des riches ? Tout simplement parce que « des décennies de croissance à l’échelle internationale ont empilé de telles masses d’argent qu’il en découle une prolifération des riches » (p. 39). Après quelques chapitres sur les soucis, besoins et caprices des riches, suit en fin de livre le chapitre-phare, les pages qui expliquent les raisons du succès des riches (parce qu’ils sont devenus de puissants acteurs sociaux, qu’ils sont experts en stratégie fiscale planétaire, qu’ils possèdent le pouvoir d’informer, etc.) A en croire l’auteur, les riches ont de quoi être tranquilles très longtemps. En effet, ils ont gagné la guerre des classes en devenant un modèle envié. Certes on peut les jalouser mais leur ostentation médiatique ne joue pas l’effet repoussoir que l’on croit. Enfin – cerise sur le gâteau ! – « tout se passe comme si les riches avaient gagné, financièrement bien sûr, mais aussi politiquement et presque idéologiquement ». (p. 20) On pourrait se consoler en pensant que, logiquement et mathématiquement, l’élévation du nombre de riches entraîne l’arrachement à la pauvreté des plus petits, ce qui est vrai. En revanche, ce qui peut sembler désespérant, c’est le fait que la lutte contre les inégalités – – qui n’ont jamais été aussi élevées – semble complètement obsolète ; elle ne semble plus intéresser grand monde. Pour les acteurs politiques, ce n’est pas la réduction des inégalités qui est première, c’est la création d’emplois. Tout en concevant bien ce changement, Jean-Louis Servan-Schreiber indique que la situation actuelle est destinée à durer : quand on est riche, il y a tout lieu de croire que c’est pour longtemps. Et tant pis pour les pauvres !   Jean-Louis Servan-Schreiber, Pourquoi les riches ont gagné, Albin Michel, 2014, 154 pages, 14.50 €